Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 241

Le mardi 26 novembre 2024
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le mardi 26 novembre 2024

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le Forum d’Halifax sur la sécurité internationale

L’honorable Peter M. Boehm : Honorables sénateurs, en fin de semaine, j’ai eu le plaisir de participer une fois de plus au Forum d’Halifax sur la sécurité internationale en compagnie de quelques-uns de nos collègues.

Créée en 2009, cette importante conférence annuelle rassemble des parlementaires et des experts en matière de défense, de sécurité et de politique étrangère de partout dans le monde.

L’honorable Peter MacKay, un fier Néo-Écossais qui était alors ministre de la Défense nationale, a joué un rôle clé dans la création du forum en tant que tribune pour discuter, de ce côté-ci de l’Atlantique, de politiques visant à complémenter et renforcer des efforts semblables en Europe, entre autres.

Ce forum bénéficie toujours du soutien enthousiaste du ministre canadien de la Défense nationale et de son ministère, y compris les Forces armées canadiennes et la cheffe d’état-major de la Défense. En effet, autant le ministre Blair que la générale Jennie Carignan étaient présents et très actifs en fin de semaine. Cette année, ils étaient accompagnés de Mélanie Joly, notre ministre des Affaires étrangères.

J’ai participé à cet événement à divers titres au fil des ans. Cette année, j’ai eu le plaisir de présider une discussion sur la sécurité dans l’Arctique, qui a fait l’objet d’une étude exhaustive de la part du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale de la défense et des anciens combattants, qui a présenté son rapport en juin 2023.

En compagnie de nos collègues les sénateurs Boniface, Kutcher et Patterson, j’ai eu l’honneur de participer à une rencontre avec Ruslan Stefanchuk, le Président de la Verkhovna Rada, le Parlement ukrainien. En compagnie du sénateur David Wells, nous avons aussi discuté avec Sergiy Boyev, sous-ministre de la Défense et de l’Intégration européenne de l’Ukraine.

Le moment le plus émouvant pour moi a eu lieu lorsque j’ai donné une étreinte à mon ami le dissident russe Vladimir Kara‑Mourza, qui a récemment été libéré, et à son épouse dévouée et courageuse, Evguenia, que j’ai rencontrée pour la première fois lors d’une édition précédente du forum.

Sa libération d’une prison en Sibérie, qui a été négociée par les États-Unis dans le cadre d’un échange de prisonniers entre plusieurs pays, a non seulement permis de libérer l’une des voix les plus importantes et les plus éloquentes de l’opposition russe, mais aussi de réunir un homme courageux et sa famille aimante.

Chers collègues, les sujets abordés au forum cette année comprenaient les attentes concernant la seconde administration Trump, la manière de remporter la victoire en Ukraine, la situation au Moyen-Orient, la réduction des tensions dans le détroit de Taïwan et les défis actuels posés par l’intelligence artificielle.

Le Forum d’Halifax sur la sécurité internationale est devenu le principal forum et le principal lieu de rassemblement aux fins de discussions sur la sécurité internationale dans l’hémisphère occidental. La participation des parlementaires canadiens est donc essentielle pour que nous puissions, nous aussi, apprendre et laisser notre marque.

J’ai eu l’honneur de participer à nouveau cette année en tant que parlementaire avec plusieurs de nos collègues. Merci.

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Son Excellence Ruslan Stefanchuk, président de la Verkhovna Rada de l’Ukraine.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

La bataille de Kowang-san

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour évoquer l’une des batailles les plus importantes de la longue et riche histoire des Forces armées canadiennes. La bataille de Kowang-san, également connue sous le nom de « première bataille de la colline 355 », s’est déroulée du 22 au 25 novembre 1951.

[Traduction]

Cette bataille figure parmi les moments marquants de la guerre de Corée, et le Royal 22e Régiment en était. Cette unité d’infanterie canadienne, que l’on surnommait affectueusement les « Van Doos », était réputée pour son courage sous le feu de l’ennemi.

Cette bataille s’inscrivait dans les efforts plus vastes que menaient les forces des Nations unies pour défendre leurs positions contre les attaques chinoises et nord-coréennes. Elle a eu lieu dans les alentours d’une colline stratégique appelée mont Kowang, ou Kowang-san, qui surplombait des routes de ravitaillement et des voies de communication essentielles.

Les Van Doos venaient à peine de gagner leur position que les lignes offensives chinoises et nord-coréennes lançaient une série d’attaques visant à capturer ce point stratégique. Les assaillants étaient bien coordonnés et faisaient suivre les salves d’artillerie intenses par des vagues et des vagues de soldats d’infanterie afin d’écraser les défenses canadiennes.

Les Van Doos savaient ce qu’un échec coûterait à leurs alliés le long de la ligne de défense de l’ONU et aux civils sud-coréens qui étaient à Séoul, à une quarantaine de kilomètres derrière eux. Pendant quatre jours, luttant désespérément dans la neige et la boue, rampant sous les barbelés et évitant tirs de mitrailleuses, grenades, attaques au mortier et bombardements d’artillerie, nos valeureux Canadiens se sont battus avec bravoure et abnégation afin de repousser l’ennemi.

Le 25 novembre, après quatre jours de lutte acharnée, les forces chinoises, constatant qu’elles seraient incapables de capturer Kowang-san, furent forcées de se replier. Les Van Doos ont remporté cette bataille de haute lutte et réussi à conserver la colline même s’ils étaient beaucoup moins nombreux que leurs adversaires.

La deuxième bataille de Kowang-san a prouvé que les Forces canadiennes avaient ce qu’il fallait pour défendre des positions clés dans des conditions difficiles. La réputation de professionnalisme et de résilience au combat du Royal 22e Régiment s’en est trouvée renforcée. Même si cette bataille a causé la mort de beaucoup de soldats, elle a marqué un moment décisif dans la lutte pour le contrôle de la péninsule coréenne.

[Français]

Honorables sénatrices et sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour célébrer le 73e anniversaire de la bataille de la colline 355 et honorer le service et les sacrifices consentis par nos braves Canadiens et les membres du Royal 22e Régiment.

Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Georgina McGrath, une fervente défenseure des victimes de la violence entre partenaires intimes. Elle est accompagnée de Kyron Power, Kim McGrath et Sarah Walters. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Manning.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le chef Darcy Bear, O.C., C.M., S.O.M.

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole pour célébrer un chef extraordinaire et historique de la nation dakota de Whitecap, le chef Darcy Bear, qui a été investi de l’Ordre du Canada le 3 octobre. Sa vision, son dévouement et ses efforts inlassables ont transformé sa communauté et laissé une marque indélébile sur notre fédération.

Le parcours du chef Bear a commencé en 1991, lorsqu’il a été élu pour la première fois au conseil de la nation dakota de Whitecap. En 1994, il est devenu chef, poste qu’il occupe avec distinction depuis 30 ans, en date d’octobre dernier.

Sous la direction du chef Bear, la nation dakota de Whitecap est devenue un modèle de développement économique et de bonne gouvernance. Sous son égide, la communauté a réussi à attirer pour environ 160 millions de dollars d’investissements et à créer 700 emplois dans la région. À 6 %, le taux de chômage à Whitecap est remarquablement bas, ce qui en fait un incontournable dans la région.

(1410)

La vision du chef Bear va de pair avec ces hauts faits économiques. Il a milité pour l’amélioration des infrastructures, fait paver les rues, amélioré les services publics et amené l’Internet par fibre optique dans tous les commerces et habitations de Whitecap. Ces avancées ont eu une incidence notable sur la qualité de vie de l’ensemble de la population.

Cela dit, ce qui distingue peut-être le plus le chef Bear, c’est qu’il a été de toutes les luttes pour l’autonomie gouvernementale. Sa détermination sans faille a culminé avec un moment historique, l’adoption du projet de loi C-51, qui a fait son chemin jusqu’à la Chambre des communes. Ce traité sur l’autonomie gouvernementale reconnaissait la Première Nation dakota de Whitecap ainsi que les droits constitutionnels que leur confère l’article 35 et marquait le début d’un nouveau chapitre dans l’histoire de l’autonomie gouvernementale. Enfin, cette nation, formée des descendants des héros canadiens de la guerre de 1812, était reconnue en bonne et due forme.

Les réalisations du chef Bear ne sont pas passées inaperçues. Ses nombreuses distinctions, dont l’Ordre du mérite de la Saskatchewan et un doctorat honorifique de l’Université de la Saskatchewan, montrent à quel point le monde était conscient de ses exploits.

Aujourd’hui, l’Ordre du Canada vient célébrer la marque qu’il a laissée sur le pays. L’exemple du chef Darcy Bear est une source d’inspiration pour de nombreuses Premières Nations et autant d’organismes de développement économique du Canada. La plus haute distinction civile du pays témoigne de la gratitude et du respect que lui voue le Canada pour son attachement de longue date à la cause publique et au développement communautaire.

Alors que nous soulignons cette reconnaissance bien méritée, nous nous réjouissons de la prospérité continue et des contributions nationales de la Première Nation dakota de Whitecap sous la direction du chef Darcy Bear. Son héritage inspirera sans aucun doute les futures générations de dirigeants partout au Canada.

Chers collègues, beaucoup d’entre vous connaissent le chef Bear, alors joignez-vous à moi pour le féliciter pour ses contributions et ses réalisations.

Merci. Hiy kitatamihin.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de médecins qui travaillent pour des organisations humanitaires à Gaza. Ils sont accompagnés de Peter Larson et de Lorraine Farkas. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Woo.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Conférence des Parties

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, la COP 29, soit le sommet sur le climat des Nations unies, qui s’est tenue à Bakou, en Azerbaïdjan, s’est terminée ce week-end.

Le thème de la Conférence des Parties de cette année était le financement. Les pourparlers sur le climat ont abouti à un accord de 300 milliards de dollars, mais ils ont laissé de nombreux pays et groupes insatisfaits. Les effets les plus graves des changements climatiques, qui, dans de nombreux cas, sont dévastateurs pour la vie et l’économie et, parfois, menacent des pays, se font sentir dans des pays en développement, en particulier de petits États insulaires comme Samoa, les Îles Marshall et nos voisins des Caraïbes. Ces pays ont demandé aux pays développés comme le Canada, qui sont les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre de l’histoire et dont les économies ont bénéficié d’industries à fortes émissions, de leur verser 1,3 billion de dollars. Cet argent est destiné à compenser les pertes et les dommages causés par les phénomènes météorologiques extrêmes liés aux changements climatiques, à aider ces pays à s’adapter aux effets actuels et futurs des changements climatiques et, surtout, à les aider à abandonner progressivement le charbon, le pétrole et le gaz pour effectuer la transition vers l’économie verte de l’avenir.

Lors de la COP, l’ancien président des États-Unis Al Gore a présenté un exposé convaincant fondé sur des données probantes dans lequel il a souligné que, en 2023, les chiffres liés à la température de l’air et à la température à la surface de la mer à l’échelle mondiale, à l’étendue de la glace de mer en Antarctique, aux incendies de forêt au Canada et au blanchissement corallien fracassaient des records, que les catastrophes causées par des phénomènes météorologiques extrêmes avaient coûté à l’économie mondiale 3,28 billions de dollars au cours de la dernière décennie et que la pollution de l’air générée par les combustibles fossiles tue 8,7 millions de personnes chaque année.

Cependant, chers collègues, la COP 29 n’a pas servi uniquement à souligner les dangers de la crise climatique. Al Gore y a également parlé de solutions pratiques et intelligentes, et la majorité des 70 000 participants, qui représentaient près de 200 pays, étaient à Bakou pour promouvoir l’adoption urgente de solutions climatiques, qu’elles soient de nature technologique, financière, économique ou politique.

Je remercie le Groupe des sénateurs canadiens de m’avoir donné leur place à la COP, et je suis heureuse d’avoir pu compter sur la présence de mes collègues les sénateurs Kingston, Dalphond et Galvez. D’autres parlementaires et des dirigeants autochtones étaient présents, dont le chef Willie Littlechild. De même, des représentants de la société civile, du monde des affaires, de la science, du travail, de la jeunesse, des femmes, de la santé, dont la présidente de l’Association médicale canadienne, ainsi que des dirigeants gouvernementaux étaient présents, y compris l’impressionnante équipe de négociation du Canada, qui n’a pas ménagé ses efforts.

Chers collègues, le processus de la COP n’est peut-être pas parfait, mais la coopération mondiale et la diplomatie climatique sont essentielles. Nous avons entendu les espoirs exprimés à l’égard du prochain sommet du G7.

Honorables collègues, dans un groupe de législateurs à la COP, le maire d’une ville ukrainienne nous a rappelé que nous n’héritons pas de notre planète de nos ancêtres; nous l’empruntons à nos enfants et à nos petits-enfants.

Voilà de sages paroles que nous apprécions tous, j’en suis certaine.

Merci. Wela’lioq.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Florian Eblenkamp, coordonnateur de la politique, et de Paulina Chan, de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN). Ils sont les invités de l’honorable sénatrice McPhedran.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le désarmement nucléaire

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je remercie infiniment le Groupe des sénateurs canadiens de m’avoir accordé ce temps de parole. Je lui en suis très reconnaissante.

Chers collègues, plus tôt aujourd’hui, le sénateur Ravalia, la sénatrice Moodie et moi-même, en partenariat avec les International Physicians for the Prevention of Nuclear War Canada et la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires, avons organisé un séminaire parlementaire intitulé « Nuclear Disarmament: A Public Health Imperative ». L’événement a réuni des parlementaires et d’éminents experts dans le cadre d’un échange franc au sujet des conséquences dévastatrices de la guerre nucléaire sur la santé et de ses répercussions sur le plan humanitaire.

Je tiens à remercier le sénateur Ravalia et la sénatrice Moodie d’avoir collaboré à ce séminaire et d’avoir apporté leur expertise professionnelle en tant que médecins à cette importante discussion. À l’instar des autres experts médecins participants, ils comprennent que la menace de conflit nucléaire et de dévastation présente de multiples facettes : il ne s’agit pas seulement d’une question de défense à l’échelle internationale, mais aussi d’une crise en matière de santé publique, d’aide humanitaire et de climat.

Les États-Unis ont récemment alloué 1,7 billion de dollars à la modernisation de leurs armes nucléaires, et, compte tenu des menaces constantes de la Russie et de la Chine, les risques de conflit nucléaire intentionnel ou accidentel augmentent. Au début de la semaine dernière, la Russie a adopté une nouvelle doctrine sur les armes nucléaires qui a considérablement abaissé les critères d’utilisation des armes nucléaires et a lancé un missile balistique de portée intermédiaire sur le territoire ukrainien.

Ce matin, les parlementaires ont appris que même une guerre nucléaire limitée utilisant moins de 3 % de l’arsenal nucléaire mondial entraînerait des effets catastrophiques en cascade à l’échelle mondiale.

Parmi les principaux conférenciers, il y a des invités que nous avons salués ici aujourd’hui : le Dr John Guilfoyle, le Dr Ira Helfand, la Dre Nancy Covington, Lia Holla, ainsi que Florian Eblenkamp, le représentant de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires qui est venu de Genève et qui est avec nous aujourd’hui.

Il convient tout particulièrement de parler d’Aigerim Seitenova, originaire du Kazakhstan, une survivante de troisième génération des essais nucléaires soviétiques, qui a livré un témoignage poignant sur les effets intergénérationnels de l’exposition aux radiations nucléaires sur la santé et le taux de mortalité.

Chers collègues, à quoi pourraient ressembler les mesures parlementaires? Plus de 40 sénateurs ont déjà signé l’engagement du Parlement à promouvoir le désarmement nucléaire. Nous pouvons encourager le gouvernement à envoyer une délégation d’observateurs à la troisième réunion des États parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires en mars 2025.

Les sénateurs peuvent choisir d’assister à la troisième réunion des États parties et à la conférence parlementaire sur le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires en tant que délégués indépendants. Nous pouvons participer au deuxième Sommet des jeunes et des parlementaires sur le nucléaire, qui se tiendra du 12 au 14 février 2025, à Ottawa.

Honorables sénateurs, s’il vous plaît, prenons conscience de cette crise et travaillons ensemble. Merci beaucoup. Meegwetch.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du Dr John Guilfoyle, président d’International Physicians for the Prevention of Nuclear War Canada (IPPNWC) et ancien médecin en chef du Manitoba, et de la Dre Nancy Covington, membre du conseil d’administration d’IPPNWC. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Ravalia.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

Les 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, nous entamons cette semaine les 16 jours de mobilisation pour mettre fin à la violence contre les femmes. Toutes les 10 minutes, une femme dans le monde est tuée par un proche, selon les Nations unies. Cela donne froid dans le dos.

Parmi les violences qui montent en flèche, l’exploitation sexuelle des femmes a beaucoup changé de visage depuis 20 ans. Il est temps que les gouvernements protègent davantage les femmes en ligne, car les histoires d’abus qui sont mises au jour sont affolantes.

(1420)

Une enquête explosive de Reuters a montré les dessous de ce qui est présenté par OnlyFans, une plateforme très populaire, comme une façon pour les femmes de gagner de l’argent en vendant leur propre matériel pornographique. Pourtant, la réalité, c’est que les trafiquants sexuels utilisent ces plateformes pour exploiter ces femmes.

Selon les procureurs de cet État, pendant deux ans, une jeune femme du Wisconsin a été littéralement tenue captive par son conjoint dans leur maison et forcée à se livrer chaque soir à des performances sexuelles devant une caméra, qui étaient la plupart du temps téléversées sur OnlyFans. Cette femme a tenté de s’enfuir, mais pour l’en empêcher, son bourreau lui a versé de la graisse brûlante sur le corps. Enfin libérée, la victime a déclaré ce qui suit :

Ces deux ans ont été aussi longs que des décennies, et j’avais mal et j’étais seule et prête à mourir [...] Je ne crois pas que je guérirai complètement.

Son agresseur a été condamné à 20 ans de prison. OnlyFans s’en tire sans une égratignure.

OnlyFans prétend donner du pouvoir aux femmes pour qu’elles puissent tirer profit d’images sexuellement explicites de leur corps dans un environnement sécuritaire. Or, l’enquête de Reuters a permis de retrouver une dizaine de femmes qui ont été trompées, terrorisées ou réduites à l’esclavage pour que des trafiquants gagnent de l’argent sur ce site.

Le phénomène est mondial. L’influenceur Andrew Tate, qui a des millions d’adeptes sur les réseaux sociaux, est accusé d’avoir forcé des femmes en Roumanie à produire de la pornographie pour OnlyFans et d’avoir empoché les profits. Tate nie ces allégations.

Pourquoi nos pouvoirs publics ne forcent-ils pas ces plateformes toutes-puissantes, qui diffusent de la pornographie, à obtenir le consentement des personnes impliquées? OnlyFans dit qu’elle demande des preuves de consentement depuis 2022.

Il s’agit d’une industrie légale seulement si les participants sont majeurs et consentants. Or, l’absence actuelle de réglementation fait que les pires abus se produisent et que des vies de femmes et de jeunes filles sont détruites. Au nom de quelle liberté permet-on à des entreprises avides de profits de participer à l’exploitation de femmes et de jeunes filles? Cela me dépasse.

Je le sais, cette réalité est sordide. On préfère ne pas la voir. Toutefois, dans cette Chambre, nous sommes non seulement des sénateurs, mais des parents et des grands-parents. Comme société, nous avons le devoir de permettre aux jeunes femmes de s’épanouir, d’avoir des relations intimes saines et de ne pas tomber aux mains d’exploiteurs cachés derrière des écrans.

Merci.


[Traduction]

AFFAIRES COURANTES

Projet de loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire (Loi de David et Joyce Milgaard)

Projet de loi modificatif—Présentation du trentième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L’honorable Brent Cotter, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, présente le rapport suivant :

Le mardi 26 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l’honneur de présenter son

TRENTIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires), a, conformément à l’ordre de renvoi du jeudi 10 octobre 2024, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement, mais avec des observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

Le président,

BRENT COTTER

(Le texte des observations figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 3317.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Arnot, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 7 décembre 2021, la période des questions commencera à 16 h 45.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois

Message des Communes

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois, accompagné d’un message informant le Sénat qu’elle a adopté ce projet de loi sans amendement.

Le discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence la gouverneure générale du Canada :

À Son Excellence la très honorable Mary May Simon, chancelière et compagnon principal de l’Ordre du Canada, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite militaire, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite des corps policiers, gouverneure générale et commandante en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Charles S. Adler : Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénateur Plett, et je demande le consentement du Sénat pour qu’il reste ajourné à son nom après mon intervention d’aujourd’hui.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord

Son Honneur la Présidente : Il en est ainsi ordonné.

Le sénateur Adler : Honorables sénateurs, c’est un honneur pour moi de pouvoir m’adresser à vous pour la première fois. Étant donné que j’ai 70 ans et que la règle sur la retraite obligatoire ne saurait être plus limpide, je serai ici pendant au plus quatre ans et neuf mois. Compte tenu des normes du Sénat, c’est peu de temps pour atteindre des objectifs. Il serait donc irréaliste de ma part de vous présenter une longue liste. Parmi mes principaux objectifs, soulignons la promotion et la protection de la démocratie et des droits de la personne au Canada et dans le monde. En vérité, je n’ai pas choisi ces buts. Ce sont eux qui m’ont choisi.

(1430)

L’histoire commence il y a 102 ans, dans un minuscule village hongrois coincé entre l’Ukraine et la Roumanie, où mon père, Miklosz Mike Adler, est né de deux parents juifs orthodoxes qui tenaient le magasin général du village. Ils vendaient de la nourriture, des vêtements et beaucoup d’eau gazeuse. Les relations de la famille Adler avec ses clients n’auraient pas pu être meilleures. À l’aube du XXe siècle, il existait un système de troc. Les agriculteurs apportaient leurs récoltes au magasin, et c’était le travail de mon père et de ses frères d’apporter ces récoltes dans une ville où ils pouvaient les vendre contre de l’argent sonnant. La vie n’était pas facile. Les routes menant à la ville se trouvaient dans une zone inondable. Les chemins de terre étaient parfois tellement boueux que, bien des jours, seul un bœuf pouvait tirer la charrette des Adler. Acheminer les marchandises au marché, ce qui prenait parfois des heures, prenait plusieurs jours lorsque les routes étaient boueuses.

Même si cette vie était pénible, c’était une belle vie, malgré le gant noir de la brutalité qui se cachait juste au coin de la rue. Avant que mon père n’atteigne l’âge de 17 ans, Adolf Hitler a braqué ses yeux sur toute l’Europe, plaçant une cible dans le dos et une étoile jaune sur la poitrine de chaque Juif. Ils ne seraient pas autorisés à posséder des magasins généraux. Leurs commerces devaient être pillés, leurs synagogues détruites, leurs vies anéanties. Les parents, les frères, les sœurs, les neveux, les cousins et les nièces de mon père ont vu leur vie s’achever dans les fours d’Auschwitz.

Je dois vous présenter la dure réalité de l’Holocauste en Hongrie. Plus de 840 000 Juifs vivaient en Hongrie avant l’Holocauste. Seul un sur cinq a survécu, car quatre sur cinq ont été exterminés par les ennemis de la démocratie et des droits de la personne.

Mon père a survécu à l’Holocauste grâce à la générosité d’un gentil vertueux, un ami de mon père qui ne lui a pas permis de se rendre à la gare pour être déporté à Auschwitz. Il a mis mon père dans sa charrette et il est parti en direction de la frontière roumaine. Il a traversé la frontière et il a dit à l’un des fermiers que mon père était un homme bon, un travailleur assidu, qui allait travailler dans les champs toute la journée et dormir dans l’étable la nuit.

C’est ce qu’il a fait durant trois mois, jusqu’à ce que les soldats russes traversent la Roumanie dans le but de retirer l’Europe des mains d’Hitler. Ils ont frappé à la porte de l’étable où Miklosz Adler se cachait. Mon père a été arrêté par les communistes russes et envoyé dans le goulag sibérien, où il a vécu pendant trois ans dans des conditions que je ne peux pas vous décrire. Honnêtement, j’ignore comment il a pu survivre. Les chances de survie de mon père étaient très peu élevées, mais il a réussi, et même si son esprit n’était plus le même, son cœur, lui, était intact. Mon père a survécu.

Ma mère, Rosza — ou Rose —, est née il y a 90 ans dans un autre village hongrois. Elle était enfant unique, sans frère ni sœur, et sa mère était une jeune veuve. Son mari, le père de ma mère, est mort pendant que bébé Rosza était encore dans le ventre sa mère. Cela faisait de ma grand-mère maternelle une mère célibataire qui n’avait aucun moyen d’élever une enfant dans un village comme le sien. Elle a donc emmené sa fille dans la grande ville de Budapest.

Si le père de ma mère n’était pas mort dans la vingtaine et que ma grand-mère était restée dans son village, elle, son mari et sa fille — donc ma mère — auraient fini dans une cheminée à Auschwitz; c’est la dure et froide réalité de l’Holocauste en Hongrie. Voyez-vous, absolument tous les Juifs du village ont été déportés et tués. C’est l’histoire de ma famille qui me sert de boussole quand, au Sénat, je décide d’appuyer un ordre de renvoi sur les effets intergénérationnels de la déportation.

Je ne suis jamais allé à Auschwitz, mais cet endroit m’a toujours habité. Les cauchemars qui troublent nombre de mes nuits me hantent souvent en plein jour également. Le poids de l’histoire semble toujours aussi accablant, que l’on soit éveillé ou non. Les périodes de célébration sont toujours suivies de périodes de solitude et de silence. C’est le même sentiment de culpabilité du survivant qui hantait ma mère et mon père. Cela fait partie d’un phénomène qu’on appelle le traumatisme intergénérationnel.

Le même traumatisme affecte tant de personnes qui sont des descendants des Premières Nations, les premiers peuples de ce grand pays. Je n’en saurai jamais assez sur leurs histoires, mais je partagerai toujours leur douleur. Comme je ne suis pas dépourvu d’empathie, je dois maintenant présenter mes excuses sans réserve pour les souffrances inutiles qui ont été causées par des propos que j’ai tenus et dont j’assume la responsabilité dans cette vénérable enceinte.

Je parle de ce que j’ai dit lors d’une émission de radio il y a 25 ans. Cela n’avait pas attiré l’attention des médias à l’époque parce que rien de ce que j’avais dit ne paraissait alors digne de mention ou controversé. Cependant, certains de mes propos qui ont ressurgi lors de ma nomination, il y a trois mois, ne reflètent tout simplement pas l’époque dans laquelle nous vivons. Je n’utiliserais jamais ces mots aujourd’hui et je ne les répéterai pas ici. Il y a trois mois, lorsqu’on a déterré ces paroles de mon passé, elles étaient horribles et révoltantes à mes yeux, tout comme elles l’étaient sans doute aux yeux des Autochtones.

Peu importe que ma motivation ait été l’amour pour mes auditeurs, y compris pour certains des plus fidèles d’entre eux : les Autochtones. Peu importe si j’essayais d’être utile en critiquant les dirigeants de certaines Premières Nations. Je me suis permis d’utiliser un langage qui, de nos jours, est jugé excessif, offensant et blessant.

Ces mots ont été enregistrés, et il n’y a rien que je puisse faire pour les effacer. La seule chose que je puisse faire pour les Autochtones du Manitoba, pour les Autochtones du Canada et pour le Sénat du Canada, c’est d’ajouter ces trois mots : je suis désolé.

Je saisis l’occasion qui m’est donnée ici pour présenter mes excuses à l’égard de certains propos que j’ai tenus il y a 25 ans, mais je tiens à ce que vous sachiez que je suis très fier du travail que j’ai accompli dans les médias pendant un demi-siècle, un travail qui m’a toujours tenu à cœur et qui a toujours visé à remercier le Canada de son attention.

Grâce à ma carrière dans les médias, j’ai eu le privilège, pendant des dizaines d’années, d’apprendre à connaître les Canadiens d’un océan à l’autre et de leur parler de choses importantes pour eux, en particulier les Manitobains, que je suis très fier de représenter. Pendant de nombreuses années, j’ai animé des émissions nationales de radio et de télévision qui étaient écoutées par des Canadiens d’horizons très variés. Cette expérience m’a donné une perspective unique sur notre pays, qui n’est pas seulement théorique, ainsi qu’une meilleure compréhension des aspirations et des préoccupations des habitants des différentes régions du pays.

Mon travail au Sénat sera le reflet de mon amour pour le Canada et pour les personnes qui font non seulement la grandeur, mais aussi la bonté de ce pays. Le Canada est un bon pays.

Plus tôt, je vous ai raconté comment un non-Juif vertueux a sauvé la vie de mon père en l’empêchant de monter à bord d’un train en direction d’Auschwitz. Un autre non-Juif vertueux a évité à ma mère, alors âgée de 10 ans, de monter dans un train vers la même destination. En 1944, ma mère vivait dans le ghetto juif de Budapest lorsque les nazis ont rassemblé plus d’un demi-million de Juifs hongrois. Elle a échappé à la rafle grâce à l’aide d’un ambassadeur suédois en Hongrie. Il s’appelait Raoul Wallenberg. Son équipe et lui ont réussi à fournir des passeports suédois à des milliers de Juifs du ghetto. Ma mère était du nombre. Je ne le remercierai jamais assez de lui avoir sauvé la vie et je tiens à remercier publiquement le gouvernement du Canada d’avoir accordé la citoyenneté honoraire à titre posthume à Raoul Wallenberg en 1985.

(1440)

Je devrais ajouter que, peu de temps avant la fin de la guerre, les nazis ont cessé de reconnaître la légitimité des documents diplomatiques suédois. Ils ont fomenté un plan visant à assassiner la totalité de la population du ghetto. M. Wallenberg a dit aux commandants nazis de Budapest qu’il ferait le nécessaire pour qu’ils soient tous inculpés de crimes de guerre une fois le conflit terminé. Cet homme ne se distinguait pas seulement par son autorité diplomatique, il se démarquait aussi par son autorité morale. Les quelque 70 000 Juifs que comptait le ghetto de Budapest, dont ma mère, qui était alors âgée de 10 ans, ont été épargnés.

Quand je réfléchis au fait que ma mère et mon père ont survécu à la Seconde Guerre mondiale, je pense toujours à l’héroïsme des membres des Forces armées canadiennes qui se sont sacrifiés pour sauver la démocratie du fascisme. Le Canada a été parmi les premiers pays, en septembre 1939, à déclarer la guerre à Adolf Hitler. Sans le Canada et ses alliés, ma mère et mon père n’auraient eu absolument aucune chance de rester en vie. Ce que les nazis appelaient « la question juive » aurait trouvé une réponse sans appel si les alliés avaient perdu.

C’est le plus grand honneur de ma vie de pouvoir prendre la parole dans ce foyer de la démocratie canadienne et de remercier publiquement les militaires canadiens ainsi que les enfants et petits-enfants de ceux qui ont combattu avec bravoure et héroïsme pour abattre et détruire le régime qui se vouait à l’élimination de tous les Juifs en Europe et, en fin de compte, dans le monde entier. Je remercie les membres des Forces armées canadiennes pour la vie de mes parents et, en fait, ma propre vie. Merci du fond de mon cœur canadien pour vos sacrifices, votre bravoure et votre honneur.

Mes parents hongrois, meurtris et traumatisés par l’Holocauste, se sont mariés en 1951, sept ans après la fin de la guerre en Europe. Je suis né trois ans après leur mariage. Deux ans après ma naissance, les Hongrois se sont révoltés contre leurs maîtres communistes soviétiques. Si le soulèvement a été un échec, écrasé par les chars soviétiques, la torture et les assassinats, la frontière a été poreuse pendant une très brève période et 200 000 Hongrois ont réussi à fuir le communisme. Mes parents m’ont mis dans un sac à dos, et mon père m’a porté jusqu’à la liberté. Notre première destination a été l’Autriche, où nous avons passé des mois dans un camp de réfugiés en attendant qu’un pays nous permette d’avoir la liberté, l’humanité et la dignité. Ce pays, chers collègues, a été le Canada. Ma mère, mon père et moi avons fait partie des 37 500 Hongrois admis au Canada.

Maintenant, 85 ans après que le gouvernement du Canada s’est engagé — sur la Colline du Parlement, à quelques pas de l’endroit où je me trouve à présent — à vaincre Adolf Hitler pour libérer le monde du fascisme, je suis ici pour dire merci au Canada pour ma vie et pour ma liberté, et merci de m’avoir accordé le privilège de servir le pays que j’aime.

(Le débat est ajourné.)

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénateur Boehm, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, nous et le Sénat dans son ensemble travaillons depuis longtemps à faire respecter les droits de la personne des détenus sous responsabilité fédérale, ce qui est étroitement lié à notre rôle de représentants et de protecteurs des groupes dits minoritaires, ceux qui risquent trop souvent d’être laissés pour compte ou abandonnés par les lois que nous adoptons. Le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, témoigne de ces efforts.

En 2021, le Comité des droits de la personne a publié un rapport sur les droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral, approuvé par le Sénat, et contenant des recommandations sur l’isolement et les unités d’intervention structurées, que le projet de loi S-230 vise à mettre en œuvre. Dans le cadre de son étude, en 2018, les membres du comité ont visité l’Hôpital médico-légal de la Côte Est à Burnside, en Nouvelle-Écosse, et ont eu le privilège de s’entretenir avec Tona Mills, dont cette loi porte le nom, et qui avait espéré être présente au Sénat avec nous aujourd’hui.

Femme autochtone et victime de ce qu’on appelle la rafle des années 1960, Mme Mills a été emprisonnée pendant une décennie dans des pénitenciers fédéraux, y compris dans des unités isolées dans des prisons pour hommes. Elle a passé tout ce temps en isolement cellulaire.

Pour ceux qui n’ont jamais été emprisonnés dans de telles conditions, il est impossible de trouver les mots pour décrire ce qu’elle a vécu. Pendant plus de 10 ans, elle a passé presque toutes les heures de la journée enfermée dans une cellule de la taille d’une place de stationnement ou d’une petite salle de bains, à peine plus qu’un placard en béton. En plus d’être parfois enchaînée au sol et souvent attachée à sa couchette, elle avait droit à très peu de temps à l’extérieur. On a construit pour elle une cage métallique de la taille d’une cellule qu’on a installée à l’arrière de la prison des femmes de Kingston. Cette cellule s’y trouve toujours, rappelant la façon dont Tona a été enfermée et l’horrible fait que le temps passé entre ces barreaux de métal se voulait un répit après un enfermement encore plus restrictif à l’intérieur.

Lorsque Tona a finalement été admise dans le système de santé mentale, elle a reçu un diagnostic de schizophrénie causée par l’isolement. Tona a imploré les sénateurs de tout faire pour mettre fin à l’isolement cellulaire et obtenir que d’autres personnes sortent de prison pour être prises en charge par des services de santé mentale appropriés, afin que ce qui lui est arrivé n’arrive plus jamais à personne d’autre. Elle ne veut pas que quelqu’un d’autre soit poussé à la folie. Elle nous a demandé d’envisager d’appeler la mesure législative la « loi de Tona ».

Mme Mills a quitté l’unité de médecine légale il y a un an. Elle a récemment reçu un diagnostic de cancer terminal. Comme elle l’a fait pendant des décennies, y compris pendant les trois années où le projet de loi S-230 a été paralysé par des délais de procédure et des contestations au comité et au Sénat, Mme Mills poursuit ses efforts incroyables. Pendant le temps qu’il lui reste, je pense que nous lui devons, ainsi qu’à beaucoup trop d’autres personnes soumises à l’isolement, d’étudier le projet de loi dans les meilleurs délais et de prendre une décision ferme à son sujet.

En 2018-2019, le gouvernement fédéral s’est engagé à mettre fin à l’isolement dans les prisons fédérales. Cette promesse fait suite à une série d’affaires judiciaires dans lesquelles les tribunaux ont statué que le système d’isolement existant est inconstitutionnel et ont reconnu les horribles conséquences physiques, psychologiques et neurologiques de celui-ci. Des conséquences irréversibles peuvent apparaître dans les 48 heures suivant l’isolement. Au bout de sept jours, les fonctions cérébrales peuvent être altérées de façon permanente. Une période d’isolement de 15 jours ou plus va à l’encontre de l’interdiction des peines cruelles et inusitées prévue par la Charte et est reconnue dans le monde comme de la torture.

Le projet de loi C-83 était censé remplacer l’isolement par des unités d’intervention structurée. Les experts et les défenseurs ont rapidement indiqué qu’ils craignaient que le projet de loi n’atteigne pas son objectif louable d’éliminer les conditions de l’isolement. En 2019, le Comité sénatorial des affaires sociales a modifié le projet de loi afin d’y inclure plusieurs mesures de protection minimales qui sont nécessaires pour que le projet de loi atteigne son objectif déclaré. Le Sénat a approuvé ces amendements et les a transmis à la Chambre des communes. Lorsqu’ils ont été rejetés par le gouvernement, nous avons failli renvoyer le message à l’autre endroit.

(1450)

Dans les minutes qui ont suivi l’adoption du projet de loi C-83, plusieurs sénateurs, dont notre regrettée collègue la sénatrice Josée Forest-Niesing — qui nous manque terriblement —, le sénateur Colin Deacon et le parrain du texte, le sénateur Marty Klyne, ont décidé de se concerter et d’aller voir sur le terrain comment ses dispositions étaient appliquées et d’évaluer les conditions d’isolement dans les prisons fédérales.

En plus de ces trois pionniers, je remercie les 37 autres qui se sont rendus dans une prison fédérale pour rencontrer les détenus et le personnel. C’est après cet exercice que la sénatrice Forest-Niesing et moi avons commencé à travailler sur le projet de loi S-230, qu’elle avait l’intention de marrainer si elle ne nous avait pas quittés.

Les témoignages entendus pendant l’étude du projet de loi S-230 par le Comité des affaires juridiques faisaient écho à ce que les sénateurs avaient observé et consigné dans le rapport Senators Go to Jail, que nous avons fait paraître en 2022.

Les témoins revenaient sans cesse sur le travail de l’ancien président du Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée, Anthony Doob. Il ressort des publications qu’il a réalisées avec Jane Sprott et avec ses collègues du comité consultatif que plus d’un détenu sur trois en unité d’intervention structurée a été enfermé exactement dans les conditions auxquelles le gouvernement avait promis de mettre fin. Pour un détenu sur dix, cette forme d’isolement a duré plus de 15 jours, ce qui est considéré comme de la torture selon les droits internationaux de la personne.

Les personnes les plus marginalisées se retrouvent de façon disproportionnée dans des conditions d’isolement. Même si elles ne représentent que 4 % de la population canadienne, les personnes d’ascendance africaine représentent 10 % des détenus sous responsabilité fédérale et 16 % des détenus placés dans les unités d’intervention structurée. Les Autochtones représentent 5 % de la population, mais 33 % des détenus et 44 % des personnes placées dans les unités d’intervention structurée. Pire encore, les femmes autochtones représentent plus de la moitié des femmes en prison et 96 % des femmes dans les unités d’intervention structurée.

En effet, le mois dernier, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a publié son dernier rapport périodique sur le Canada, dans lequel il a fait état de préoccupations au sujet de la surreprésentation des femmes autochtones dans le système pénitentiaire et de la probabilité accrue qu’elles soient victimes de discrimination dans le système pénal et pénitentiaire, y compris l’isolement cellulaire.

En réponse, le comité a demandé des mécanismes de responsabilisation efficaces pour enquêter sur les violations des droits de la personne contre les femmes dans le système pénitentiaire et pour poursuivre et sanctionner les responsables de ces violations, offrir des réparations complètes aux femmes touchées et renforcer les mécanismes de responsabilisation existants, notamment au moyen d’une surveillance indépendante.

Non seulement le projet de loi S-230 répond à ces recommandations en prévoyant une véritable surveillance judiciaire externe, des recours et des solutions de rechange à l’isolement cellulaire, mais il a également le potentiel de prévenir de manière proactive de futures violations des droits de la personne.

De plus, malgré les obligations internationales et la jurisprudence canadienne qui interdit l’isolement de personnes ayant des troubles mentaux invalidants, deux personnes sur cinq placées dans les unités d’intervention structurée sont considérées par le Service correctionnel du Canada comme ayant des problèmes de santé mentale. Plus de la moitié des personnes mises en isolement dans ces unités sont identifiées ainsi à au moins cinq reprises. Selon le Service correctionnel, les périodes passées dans les unités d’intervention structurée sont « pour la propre sécurité de la personne », même s’il a été totalement impossible de la transférer dans un établissement de soins de santé approprié.

Même si, selon la loi, les séjours en unités d’intervention structurée doivent être aussi brefs que possible, il y a autant de personnes gardées dans des unités d’intervention structurée pendant plus de 60 jours et 120 jours que sous l’ancien système d’isolement préventif.

Les recherches menées par Anthony Doob, Jane Sprott et le comité consultatif ministériel mettent aussi en lumière l’incapacité systémique des décideurs externes indépendants — le système d’examen créé pour remplacer la surveillance judiciaire suggérée par le Sénat — d’exiger efficacement des comptes du Service correctionnel.

Les décideurs externes indépendants en sont réduits à se fier au Service correctionnel du Canada pour leur fournir la plupart des renseignements sur lesquels ils se fondent pour examiner les décisions de Service correctionnel de garder les gens dans des unités d’intervention structurée. Les décideurs externes indépendants ne sont pas tenus de rendre visite aux détenus ou de leur parler, et il n’existe aucun mécanisme clairement établi pour que les détenus puissent communiquer avec les décideurs s’ils veulent porter plainte.

Les examens de décideurs externes indépendants ne sont garantis par la loi qu’après qu’un prisonnier a passé 90 jours dans une unité d’intervention structurée, ce qui est six fois plus long que la période d’isolement de 15 jours que l’ONU considère comme de la torture. Dans au moins 30 % des cas où ces placements ont été effectués, le Service correctionnel du Canada a omis de renvoyer des cas aux décideurs externes indépendants dans un délai de 90 jours.

Lorsque les décideurs externes indépendants ordonnent qu’un prisonnier soit retiré d’une unité d’intervention structurée, le Service correctionnel du Canada prend, en moyenne, plus de temps à le libérer qu’à libérer les prisonniers dont la libération n’a pas été ordonnée. La semaine dernière, on a résilié le contrat de plusieurs décideurs externes indépendants et on n’a offert qu’un préavis de sept jours, sans aucune justification, au décideur ayant le plus d’ancienneté.

Des sources internes indiquent que les décideurs dont le contrat a été résilié sont ceux qui ont généralement refusé d’approuver automatiquement les décisions du Service correctionnel du Canada. Avant ce changement, les décideurs externes indépendants se disaient déjà débordés. Par ailleurs, le décideur externe indépendant autochtone et le décideur externe indépendant noir faisaient partie de ceux qu’on a mis à l’écart.

Comment le système pourra-t-il fonctionner alors qu’à peine la moitié, seulement 7 sur 12, des postes de décideurs externes indépendants sont actuellement pourvus? Cette tendance à éliminer la surveillance externe des prisons fédérales, qui est déjà inadéquate, est extrêmement inquiétante.

Le comité consultatif ministériel sur les unités d’intervention structurée a présenté son rapport annuel final ce mois-ci. Il mentionne que son rapport :

[...] aboutit aux mêmes conclusions que les six autres rapports empiriques [...] publiés par le comité. Les unités d’intervention structurée [...] ne traitent pas des problèmes qu’elles sont censées régler [...] Elles ne fonctionnent pas comme prévu et [...] elles ne s’améliorent pas non plus. Les problèmes sont fondamentaux et non secondaires.

Le comité consultatif du gouvernement sera bientôt dissous, laissant persister, pratiquement sans contrôle, un système dont le fonctionnement anarchique a été documenté par le comité même. L’absence de responsabilité du gouvernement concernant les violations persistantes des droits de la personne dans les prisons fédérales a été vivement rappelée aux sénateurs au cours des dernières semaines.

Cet automne, pendant la période des questions, la sénatrice Bernard, vice-présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, a invité le ministre LeBlanc, qui est responsable des services correctionnels, à venir témoigner devant le comité. Les membres du comité souhaitaient examiner le caractère inadéquat de la réponse du gouvernement au rapport du comité sur les droits fondamentaux des personnes condamnées à purger une peine dans un établissement fédéral, y compris les manquements à l’égard des conditions d’isolement actuelles. Le ministre a accepté de comparaître.

Quelques jours après la publication du rapport accablant du comité consultatif ministériel, le Comité des droits de la personne a reçu une lettre du ministre indiquant que celui-ci ne participerait pas à la réunion du comité et qu’il s’en tenait à la réponse du gouvernement. Il nous serait difficile de fournir des preuves plus concrètes de l’inefficacité des mesures de responsabilisation actuelles. Celles établies par le projet de loi C-83 il y a cinq ans ont complètement et totalement échoué, ce qui signifie que les droits de la personne et les droits des prisonniers garantis par la Charte sont violés en toute impunité.

Les mesures de contrôle et de redressement contenues dans le projet de loi S-230 sont nécessaires et urgentes.

En ce qui concerne les dispositions contenues dans le projet de loi S-230, je souligne qu’il n’y a rien dans le projet de loi que le Sénat n’ait pas examiné et approuvé auparavant, que ce soit sous la forme d’amendements proposés au projet de loi C-83 en 2019 ou dans les recommandations de 2021 du Comité des droits de la personne dans son rapport intitulé Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral.

La première des quatre mesures clés contenues dans le projet de loi S-230 est la surveillance par les tribunaux des décisions prises par le Service correctionnel du Canada de placer des personnes en isolement. Depuis plus de 25 ans, des experts en matière de justice, de constitution et de droits de la personne — y compris l’honorable Louise Arbour, ancienne juge de la Cour suprême — ont constaté une culture de manquements systémiques aux droits de la personne des détenus fédéraux dans les prisons fédérales, et ils ont recommandé une surveillance par les tribunaux en réponse à cette situation.

Les experts et les militants qui ont exhorté le gouvernement à appuyer cette mesure au comité sont l’Association canadienne du droit carcéral, l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, la Société John Howard du Canada, l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, la Criminal Lawyers’ Association, Adelina Iftene, le professeur Michael Jackson, la Société de la côte Ouest pour la justice dans les prisons, Michael Spratt, l’Association des femmes autochtones du Canada, l’Association des avocats noirs du Canada et la Commission de la santé mentale du Canada.

Le projet de loi S-230 vise à mettre en œuvre deux recommandations clés concernant la surveillance des tribunaux formulées par la juge Arbour dans le cadre de la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston en 1996.

La première est le plafonnement du temps qu’une personne peut passer en isolement, au-delà duquel les autorités correctionnelles doivent s’adresser à une cour supérieure pour obtenir l’autorisation de maintenir cet isolement. Le projet de loi S-230 fixe ce plafond à 48 heures afin de tenir compte des dernières données reconnues par la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Ontario sur le moment où des dommages physiques, psychologiques et neurologiques irréparables peuvent survenir.

Au Comité des affaires juridiques, le professeur Michael Jackson, souvent reconnu comme l’un des plus grands experts en droit carcéral du Canada, a souligné la nécessité de faire intervenir les tribunaux. Il a évoqué les dizaines d’années qu’il a passées à essayer d’obtenir un arbitrage indépendant non judiciaire par d’autres moyens, pour finalement conclure que rien de moins que la surveillance judiciaire ne pourrait suffire. Il a dit :

(1500)

[...] le SCC a farouchement résisté à tout arbitrage indépendant sur l’isolement.

[...] à la lumière des expériences collectives — près de 50 ans de rapports — au cours desquelles le SCC a exprimé ses réticences, la surveillance judiciaire constitue à ce stade la mesure corrective qui convient.

En ce qui concerne le choix d’un délai de 48 heures, Mme Adelina Iftene, experte en droit carcéral et en droit de la santé, a dit dans son témoignage :

Pour les gens atteints de maladie mentale, il y a beaucoup d’études, y compris certaines des Nations unies, qui montrent que [...] les conséquences négatives apparaissent bien avant les 48 premières heures, [...] mais nous devrions certainement être beaucoup plus préoccupés par l’utilisation de toute forme d’isolement [...]

Elle a ajouté :

Cela va effectivement être un défi, parce que [...] [d’]autres solutions de rechange [...] devront être mises en place. [...] il devra y avoir une redistribution des ressources. Nous allons devoir repenser en profondeur la façon dont les choses étaient faites, mais je pense que c’est un pas très important vers l’avant de dire que l’isolement n’est pas une solution. [...] il s’agit d’une période transitoire de 48 heures qui vous donne le temps de réfléchir à la meilleure solution pour la personne dans cette situation.

L’Association canadienne du droit carcéral et la Société de la côte Ouest pour la justice dans les prisons ont voulu mettre les choses en contexte. Elles ont rappelé que, dans le projet de loi dont le Congrès des États-Unis est actuellement saisi, cette limite est beaucoup plus courte, c’est-à-dire de quatre heures. De son côté, la ville de New York interdit présentement les périodes d’isolement qui dépassent deux heures par jour, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

Selon le criminologue Michael Spratt, les contraintes pour l’appareil judiciaire ne devraient pas nous empêcher d’appliquer cette disposition. Si le Service correctionnel est tenu d’obtenir rapidement l’autorisation des tribunaux, il risque moins de garder déraisonnablement les détenus en isolement au-delà de cette période. Les mécanismes comme les mises en liberté sous caution obligent déjà les tribunaux à gérer un nombre élevé de requêtes et à les traiter rapidement afin de respecter les droits fondamentaux et constitutionnels des personnes en cause. Les tribunaux sauront se montrer à la hauteur.

La deuxième mesure de surveillance par les tribunaux que recommandait la juge Arbour et qui figure dans le projet de loi S-230 permet à une personne de demander au tribunal qui l’a reconnue coupable de réduire sa peine ou sa période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle si la mauvaise gestion des autorités correctionnelles a rendu sa peine plus punitive, par exemple en raison du temps passé en isolement. Comme le faisait remarquer la juge Arbour — et l’ont ensuite rappelé l’enquêteur correctionnel, divers spécialistes du droit carcéral et l’architecte de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents —, ce recours fonctionne de la même manière que les dispositions du Code criminel qui permettent aux juges, au moment de prononcer la sentence, de réduire la peine pour compenser le temps passé en détention avant le procès, c’est-à-dire dans des conditions difficiles. Il tient aussi compte du principe constitutionnel de l’habeas corpus, car si les autorités carcérales n’ont pas le pouvoir de prolonger une peine au-delà de ce qui a été établi par le tribunal, elles ne peuvent pas non plus la rendre plus punitive.

Au Comité des affaires juridiques, des témoins ont indiqué que plusieurs pays nordiques et certains pays de l’Europe de l’Ouest offrent des recours semblables depuis des dizaines d’années, tout comme le système de justice pénale pour les adolescents du Canada. Cet automne, en Ontario, une décision de la cour a réduit la peine d’une adolescente reconnue coupable d’homicide involontaire parce qu’elle avait subi une fouille à nu illégale pendant sa détention avant procès. C’est là un rappel brutal de la manière dont les abus et l’intransigeance du système correctionnel aboutissent à des peines injustement sévères. De plus, dans une affaire datant de 2020, la peine d’une personne a été réduite de manière préventive pour tenir compte du racisme systémique anti-Noirs qui aurait rendu sa peine plus sévère. En permettant aux tribunaux de prendre en compte et de réparer les injustices commises pendant qu’une personne purge sa peine, le projet de loi S-230 fera en sorte que de telles violations de la loi en milieu carcéral soient traitées avec le même sérieux que celles qui se produisent avant le prononcé de la peine.

Étant donné les questions soulevées par certains de mes collègues au sujet du coût associé au projet de loi S-230 — y compris ses mesures de surveillance judiciaire —, il est important de souligner que ces mesures permettront d’économiser de l’argent en évitant les coûts financiers et humains de l’isolement dans les prisons fédérales. Comme l’a dit le directeur parlementaire du budget, ces mesures permettront de réduire le nombre de personnes placées dans des unités d’intervention structurée, ce qui se traduira par des économies de centaines de milliers de dollars par personne par an. De plus, le gouvernement a récemment versé des dizaines de millions de dollars à des personnes dont les droits ont été violés par son ancien système d’isolement et, pour les mêmes motifs, il fait maintenant l’objet d’un recours collectif portant sur son nouveau système d’unités d’intervention structurée. Le projet de loi S-230 pourrait permettre d’éviter de nouveaux litiges, règlements et dommages-intérêts coûteux.

Des experts, y compris le Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée et le Bureau de l’enquêteur correctionnel, ont documenté que, depuis la mise en œuvre du projet de loi C-83, non seulement les conditions d’isolement ont continué à l’intérieur des unités d’intervention structurée, mais elles ont aussi persisté et pris de l’ampleur à l’extérieur de celles-ci. Il est choquant de constater qu’en dépit de ces preuves claires provenant de multiples sources faisant autorité, le Service correctionnel du Canada a, dans son témoignage devant le Comité juridique, soutenu sans fournir aucune justification qu’il n’y a pas de « cellules cachées » où l’isolement a lieu à l’extérieur des unités d’intervention structurée, attribuant à la pandémie de COVID-19 tout isolement qui aurait pu avoir lieu antérieurement. En revanche, au moins six témoins ont fait état de formes d’isolement bien documentées s’apparentant à la ségrégation en dehors des unités d’intervention structurée, qui existaient avant et après la pandémie, notamment les « cellules nues », les milieux de garde fermés pour femmes, les quartiers thérapeutiques, la détention temporaire, les quartiers d’association volontaire limitée, le confinement, l’observation médicale et les régimes de restriction des déplacements.

Chers collègues, un certain nombre d’entre vous ont également vu ces conditions d’isolement. Le fait que le Service correctionnel ne soit pas tenu de surveiller les conditions d’isolement et de rendre des comptes à cet égard rend d’autant plus vitales les mesures prévues dans le projet de loi S-230 afin de garantir que l’isolement en dehors des unités d’intervention structurée soit également soumis à des mesures de protection et de surveillance.

En limitant le recours à l’isolement dans les prisons fédérales, le projet de loi S-230 propose également des solutions de rechange cruciales pour les personnes les plus à risque d’être placées dans des unités d’intervention structurées. Troisième mesure clé, le projet de loi ajouterait aux dispositions actuelles autorisant le Service correctionnel du Canada à transférer des détenus vers des établissements de santé provinciaux ou territoriaux, y compris pour des raisons de santé mentale, l’obligation d’autoriser un tel transfert à des fins de traitement lorsqu’une personne souffre d’un problème de santé mentale invalidant ou à des fins d’évaluation lorsqu’un professionnel de la santé mentale n’est pas disponible dans la prison pour procéder à l’évaluation requise de la santé mentale.

Bien que la possibilité de transférer des personnes de la prison à l’hôpital existe depuis longtemps dans la loi, on le fait rarement, le Service correctionnel du Canada ayant plutôt choisi d’investir ses ressources pour tenter de fournir des traitements en santé mentale à l’intérieur des prisons. Le résultat choquant et inhumain est que l’isolement — des conditions connues pour générer et exacerber les problèmes de santé mentale — est utilisé par défaut pour gérer les personnes qui ont besoin de soins de santé.

Selon les données du gouvernement, produites par le comité consultatif ministériel, le système des unités d’intervention structurées ne respecte pas les normes juridiques internationales et canadiennes interdisant l’isolement des personnes souffrant de problèmes de santé mentale invalidants. En effet, alors que trop de problèmes de santé mentale ne sont pas diagnostiqués ou reconnus par le Service correctionnel du Canada, même les personnes reconnues par les autorités pénitentiaires comme ayant des problèmes de santé mentale sont plus susceptibles d’être isolées de manière répétée dans les unités d’intervention structurée et soumises à des conditions d’isolement prolongé.

En juin de cette année, une décision de la Cour supérieure de l’Ontario rendue par la juge Pomerance, qui siège maintenant à la Cour d’appel de l’Ontario, a fait ressortir le bien-fondé de la disposition du projet de loi S-230 prévoyant le transfèrement vers des hôpitaux provinciaux et territoriaux. La juge a en effet ordonné qu’on applique le type de mesure contenue dans ce projet de loi dans le cas de Patrick Warren, un Autochtone souffrant de problèmes de santé mentale invalidants. M. Warren a été étiqueté comme délinquant dangereux à la suite de condamnations pour incendies criminels qui, selon des experts en santé mentale, sont des réactions aux graves sévices qu’il a vécus dans son enfance.

Pour en arriver à cette décision, la juge Pomerance s’est appuyée sur des documents provenant du Service correctionnel du Canada, du Bureau de l’enquêteur correctionnel et d’experts sur les unités d’intervention structurée, l’isolement et la santé mentale, en tenant compte aussi des antécédents particuliers de M. Warren. Elle a souligné que dans les prisons fédérales, y compris les centres de traitement régionaux, on s’efforçait surtout, en réaction aux problèmes de santé mentale, de maintenir la sécurité et de gérer les comportements, plutôt que d’offrir à M. Warren des traitements et des thérapies individualisés. Le prétendu traitement que lui a fourni le Service correctionnel du Canada au cours des peines précédentes constituait à le placer en isolement, d’abord en isolement préventif et plus tard dans des unités d’intervention structurée.

La juge Pomerance a reconnu que la peine indéterminée qui accompagne généralement la désignation de délinquant dangereux, si elle était purgée dans une prison fédérale, condamnerait M. Warren à l’isolement à vie, sans espoir de recevoir un traitement adéquat qui lui donnerait une chance de réintégrer la société. Elle a jugé qu’il s’agissait d’une violation de ses droits garantis par la Charte et elle a ordonné qu’il purge sa peine dans un hôpital de l’Ontario. L’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit justement ce genre de mesure, en permettant au Service correctionnel du Canada d’autoriser le transfèrement de prisonniers dans un hôpital.

Reconnaissant le traitement totalement inefficace et inhumain qui attendait M. Warren dans une prison fédérale, la juge Pomerance a rendu la décision la plus juste qu’elle pouvait envisager. Le Service correctionnel du Canada a interjeté appel, et nous attendons la décision finale dans cette affaire. Pendant ce temps, M. Warren, se languit — comme beaucoup d’autres dans sa situation — en isolement au Centre de traitement régional de l’établissement Millhaven, lequel, aux dires des détenus et du personnel, offre des conditions d’isolement comparables à celles des unités d’intervention structurée. Pour tout vous dire, les avocats de M. Warren m’ont informée que celui-ci est présentement dans une de ces unités.

(1510)

La portée de la décision de la juge Pomerance est limitée, puisqu’elle s’applique uniquement à M. Warren, mais elle envoie un signal clair : les juges estiment que les dispositions comme celles que propose le projet de loi S-230 sont nécessaires.

Je tiens également à souligner, vu l’insistance avec laquelle Service correctionnel Canada dit vouloir investir dans les ressources de santé mentale en milieu carcéral, que le transfert de détenus de la prison au réseau de la santé permet de réaliser des économies. Selon le directeur parlementaire du budget, le maintien d’un détenu dans un centre médicolégal coûte cher : environ 380 000 $ par année. Or, selon les données du directeur parlementaire du budget, c’est quand même moins que de garder cette personne en isolement dans une prison fédérale.

Chaque transfert d’un détenu dans un établissement de santé mentale externe aux termes d’un contrat permet d’économiser au moins 100 000 $ par année. Comme si ce n’était pas suffisant, éviter l’isolement entraînera des économies encore plus considérables si on tient compte de ce qu’il en coûte de plus pour entendre et régler les litiges découlant des atteintes aux droits fondamentaux et constitutionnels, du fait que la santé mentale des personnes concernées est meilleure et des dépenses communautaires en santé mentale.

Depuis l’adoption du projet de loi C-83, le Service correctionnel du Canada a reçu des sommes importantes, au moins 74 millions de dollars par an, pour améliorer la santé mentale et cet argent pourrait être utilisé pour conclure des contrats avec les provinces et les territoires afin de réserver des lits destinés aux soins en santé mentale. D’ailleurs, le Service correctionnel du Canada a déclaré devant le Comité des droits de la personne qu’environ 9,2 millions de dollars de ces fonds étaient réservés pour des lits destinés aux soins externes en santé mentale, mais il n’a pas été en mesure de rendre compte de la façon dont ces fonds ont été dépensés.

Au comité, nous avons entendu que le nombre de lits est resté le même qu’avant l’adoption du projet de loi C-83, c’est-à-dire 20 lits et tous à l’Institut Pinel à Montréal. Pire encore, lorsqu’on a demandé au Service correctionnel du Canada d’expliquer comment ces fonds ont été dépensés, si ce n’est pour garantir l’accès à de nouveaux lits destinés aux soins externes en santé mentale, il a déclaré que la totalité du financement annuel de 74 millions de dollars pour les services de santé mentale a été investie dans des services internes de santé mentale en milieu carcéral, malgré les engagements contraires et les preuves évidentes qu’il est impossible de fournir des soins de santé mentale adéquats en milieu carcéral.

Le Service correctionnel du Canada s’entête à maintenir ses stratégies inefficaces de santé mentale en milieu carcéral qui mettent en danger la vie et la santé des détenus dont il est responsable. Le projet de loi S-230 contribuerait à jeter les bases d’une transition grandement nécessaire vers l’accès à des soins de santé mentale dans la collectivité afin que tous puissent recevoir le traitement dont ils ont besoin.

Une quatrième et dernière mesure importante du projet de loi S-230 vise à redonner vie aux solutions de rechange à l’isolement pour les Autochtones et les autres groupes marginalisés, étant donné qu’à cause de la discrimination systémique et du colonialisme, les femmes autochtones et les autres personnes qui ont le plus besoin de soutien communautaire et de liens avec la communauté se retrouvent trop souvent en prison, où elles sont étiquetées comme étant « à risque », puis enfermées dans des unités d’intervention structurée. Comme l’ont notamment documenté le Bureau de l’enquêteur correctionnel et la Commission canadienne des droits de la personne, à cause de la discrimination systémique dont fait preuve le système carcéral dans son évaluation des risques, les Autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les gens souffrant de problèmes de santé mentale sont surreprésentés dans les unités qui ont les conditions de détention les plus dures et les plus restrictives, notamment l’isolement.

Le projet de loi S-230 vise à élargir l’accès aux articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui permettent aux prisonniers d’être transférés et remis aux soins et à la garde des communautés autochtones, comme l’ont demandé l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la Commission de vérité et réconciliation, l’Association des femmes autochtones du Canada, le Comité sénatorial des droits de la personne, le Comité sénatorial des affaires sociales, les comités de la Chambre des communes, le Bureau de l’enquêteur correctionnel et la Commission canadienne des droits de la personne. D’innombrables experts ont maintenant documenté la sous-utilisation et le sous-financement de ces mesures importantes destinées à réparer les séquelles laissées par le colonialisme dans le système carcéral canadien.

Le projet de loi S-230 vise à élargir le recours à ces dispositions, notamment en permettant au Service correctionnel du Canada de conclure des ententes pour la prise en charge et la garde dans la collectivité avec d’autres types de groupes communautaires servant d’autres personnes qui sont surreprésentées dans les prisons fédérales en raison de l’inégalité systémique, par exemple, les Canadiens noirs et les membres de la communauté 2ELGBTQ+.

Le projet de loi exige également que le Service correctionnel du Canada prenne des mesures proactives afin de collecter des renseignements sur les possibilités de conclure des ententes relatives à la prise en charge et à la garde dans la collectivité et de fournir ces renseignements aux collectivités autochtones et non autochtones et aux détenus, et qu’il obtienne la permission d’un tribunal s’il souhaite s’opposer au transfèrement d’un prisonnier dans une collectivité qui a mis en place ce type d’entente.

Au cœur du projet de loi S-230 se trouve la réalité selon laquelle certaines des personnes les plus marginalisées au Canada sont soumises à des conditions inimaginables et draconiennes en raison d’une mesure législative que le Sénat a contribué à faire adopter. Les droits de la personne et les droits garantis par la Charte qui sont bafoués et érodés dans les prisons fédérales sont ceux des personnes qui s’y trouvent, mais aussi de chacun d’entre nous. Ce sont les garanties fondamentales des droits et libertés sur lesquelles nous comptons tous. Tout le monde y gagne lorsque ces droits sont respectés et protégés. L’humanité de tous est diminuée lorsque nous permettons la violation des droits de la personne.

J’ai récemment passé une fin de semaine à Mi’kma’ki avec Tona Mills pour assister à une conférence qui visait à promouvoir la justice pour les femmes autochtones. Je tiens à transmettre aux sénateurs son message inébranlable et clair qui nous implore de mettre fin à l’impunité et de ne pas permettre que ce qui lui est arrivé arrive à d’autres. Je la cite : « S’il vous plaît, mettez fin à cela. Je vous en prie, mettez-y fin tout de suite. »

Tona est l’une des 12 femmes autochtones que nous cherchons également à innocenter, mais elle ne vivra pas assez longtemps pour que justice soit faite pour elle. J’espère que vous vous joindrez à moi pour appuyer ce projet de loi et le renvoyer à la Chambre des communes afin de faire enfin quelques petits pas vers la justice pour un bien trop grand nombre de personnes qui sont actuellement prisonnières de l’isolement.

Meegwetch, merci.

L’honorable Wanda Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je suis reconnaissante d’être ici sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe. Je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je remercie la sénatrice Pate d’avoir consacré sa carrière à défendre le traitement sans cruauté des gens dans les prisons canadiennes et à faire comprendre qu’il s’agit d’une des plus graves violations des droits de la personne au Canada. Je vous remercie de votre discours d’aujourd’hui.

Cette peine cruelle est imposée en ce moment même dans des établissements partout au pays. Qu’on parle d’« isolement », d’« unités d’intervention structurée », de « cellules nues » ou d’« unité de garde en milieu fermé », l’impact est le même : un préjudice indéniable au bien-être mental, physique et spirituel.

J’ai eu le privilège de rencontrer des centaines de détenus et de discuter avec eux lors des missions du Comité des droits de la personne dans le cadre de l’Étude concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel fédéral. Nous avons entendu des histoires semblables dans tous les établissements, des histoires portant sur l’expérience déplorable d’être placé en isolement. Il s’agit d’une expérience inimaginable que personne — je dis bien personne — ne devrait avoir à subir. Chers collègues, j’insiste vraiment sur le fait que la punition pour un crime est la peine elle-même, et non un traitement inhumain illégal et répété pendant qu’une personne purge sa peine.

Certaines des histoires les plus troublantes que nous avons entendues provenaient de femmes autochtones et noires et de leurs défenseurs.

La sénatrice Pate vient de nous parler de Tona, une des personnes que les membres du comité ont rencontrées. Son histoire nous a marqués. Tona est une survivante de la rafle des années 1960, et nous avons été troublés de l’écouter nous parler de ces dommages irréparables pour sa santé et son bien-être. Nous avons entendu beaucoup d’autres histoires de femmes qui ont suivi un parcours semblable au sien.

Les enfants autochtones et noirs sont surreprésentés dans le système d’aide à l’enfance, ce qui alimente directement la représentation disproportionnée des adultes autochtones et noirs dans les prisons canadiennes.

(1520)

C’est ce qu’on appelle parfois le pipeline de l’aide à l’enfance à la prison. Cette image n’est pas sans importance lorsque les législateurs que nous sommes doivent imaginer les types de traitement qu’ils jugent acceptables. L’étude du Comité des droits de la personne a constaté que les détenus autochtones et noirs sont aussi surreprésentés en isolement.

Honorables sénateurs, nous avons affaire à un véritable pipeline de l’aide à l’enfance à la prison et de la prison à l’isolement. Ces systèmes ont trop souvent fait défaut à ce groupe de personnes vulnérables. Les conséquences de l’isolement, notamment sur la santé psychologique, commencent à se faire sentir après seulement 48 heures. Le comité a aussi abordé la question des effets à long terme, comme la sénatrice Pate vient de le dire, dont les dommages psychologiques irréversibles qui peuvent se produire après seulement 15 jours en isolement cellulaire.

Chers collègues, je vous répète ce que la sénatrice Pate nous a dit tout à l’heure : Tona a passé 10 ans en isolement. Imaginez.

J’aimerais souligner deux des recommandations du rapport Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral  :

Recommandation 33

Que le Service correctionnel du Canada s’assure que les unités d’intervention structurée respectent les plus récentes décisions judiciaires ainsi que les obligations et engagements du Canada en matière de droits de la personne, notamment :

en éliminant le recours à l’isolement cellulaire;

en tenant compte des besoins et des expériences différentes de groupes particuliers, y compris les personnes LGBTQI2 et les femmes;

en éliminant l’isolement cellulaire se prolongeant sur plus de 15 jours;

en offrant des occasions de contact humain réel et un accès sans interruption aux programmes ainsi qu’un accès 24 h sur 24 aux services de santé et de santé mentale;

en établissant un mécanisme judiciaire de surveillance indépendant pour examiner tous les cas de placement dans une unité d’intervention structurée et des décisions connexes.

Recommandation 34

Que le Service correctionnel du Canada cesse immédiatement le recours à l’isolement, quelle que soit la désignation employée, des jeunes, des femmes et des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale invalidants, et qu’il effectue des évaluations de la santé mentale et mette en place une surveillance judiciaire pour éliminer la surreprésentation dans les unités d’intervention structurées des personnes autochtones, noires ou d’autres origines raciales et de celles ayant des problèmes de santé mentale.

Chers collègues, je tenais à vous rappeler ces recommandations de notre comité, qui ont été déposées en 2021. Je vous encourage à relire les conclusions et les recommandations de l’étude pour saisir la nature cruciale du projet de loi S-230.

J’appuie pleinement ce projet de loi, car j’estime que personne ne mérite de subir ce traitement inhumain qu’est le temps passé en isolement. Je pense que nous pouvons et devons inscrire de véritables solutions de rechange dans la loi. Je vous remercie. Asante.

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Chers collègues, nous savons tous que la sénatrice Pate a fait un travail extraordinaire pour mettre de l’avant la nécessité critique de ce projet de loi et les raisons qui ont motivé sa création. J’aimerais réitérer et réaffirmer certains des points les plus saillants et les avantages que représenterait ce projet de loi, un projet de loi qui est particulièrement crucial pour les femmes des Premières Nations, les Inuites, les Métisses et les femmes autochtones non inscrites.

Le projet de loi S-230 vise à remplir une promesse faite par le gouvernement fédéral. En 2018-2019, le gouvernement s’est engagé à mettre fin à la pratique de l’isolement dans les prisons fédérales. Cette fin de l’isolement devait inclure la fin de l’isolement cellulaire, un traitement dont il a été prouvé qu’il avait des conséquences très négatives pour ceux qui y sont soumis. Toutefois, cet engagement du gouvernement ne s’est pas matérialisé.

À cette époque, l’engagement du gouvernement sur cette question était non seulement louable, mais aussi nécessaire. La nécessité de cet engagement est ancrée dans le respect des droits de la personne et de la Charte, qui sont la pierre angulaire de la société canadienne. Cependant, nous continuons d’apprendre de bien des façons que le gouvernement n’a pas tenu sa promesse de mettre fin à cette pratique horrible et préjudiciable.

Malgré les changements introduits par le précédent projet de loi C-83 du gouvernement, nous constatons qu’une personne sur trois dans ces unités d’intervention structurée est dans une situation qui correspond à la définition d’« isolement cellulaire », puisqu’elle passe 22 heures par jour dans une cellule sans contact humain réel. Pour 10 % de ces personnes, la durée de l’isolement est si longue, soit plus de 15 jours, qu’elle correspond à ce qui constitue de la torture selon la loi.

D’après ce que j’ai vu lors d’une visite que nous avons effectuée en tant que sénateurs à l’Établissement de Stony Mountain, au Manitoba, le 17 janvier 2024, afin de voir ces unités d’intervention structurée, je peux confirmer que ces unités sont les mêmes qu’avant et qu’elles ont simplement changé de nom.

J’aimerais que vous vous demandiez comment ces gens se sont retrouvés là. Lorsque j’ai travaillé avec les intervenants autochtones de l’Établissement de Stony Mountain, j’ai vu le racisme que ces gens subissaient, et j’ai compris ce qui se passait. Quelqu’un au service de psychiatrie m’a dit que 75 % de ces gens avaient des problèmes de santé mentale et n’auraient pas dû se retrouver dans ces unités.

C’était en 2018. Lorsque j’y suis retourné en 2024, nous avons notamment demandé aux travailleurs ce qu’ils faisaient lorsqu’ils rencontraient des prisonniers. Ils ont répondu : « Eh bien, nous les amenons à assumer la responsabilité de leur comportement. »

Je leur ai alors demandé : « Si quelqu’un se retrouve ici pour un vol parce qu’il avait faim ou qu’il était sans abri, que faites-vous dans cette situation? » Ils ne pouvaient pas me répondre.

Quand j’ai assisté à la réunion de la police sur la détention provisoire, une des intervenantes a déclaré que, dans son étude, on avait envoyé en prison un homme qui avait dérobé une bouteille d’alcool dans un magasin d’alcool. Dix ans plus tard, cet homme était devenu un criminel endurci. Telle est la réalité.

Cela me touche de près, car si je n’avais pas eu de soutien, j’aurais très facilement pu finir en prison. Quand on sort d’une institution qui nous a tout pris, on en sort avec la rage au cœur. Comment pourrait-il en être autrement?

Quand j’ai appris qu’il y avait des tombes anonymes à mon pensionnat, cette rage s’est manifestée. C’était cette année. J’ai été vraiment choquée de voir que j’avais encore cette rage en moi. J’ai toujours su que j’aurais pu finir en prison. Grâce au soutien que j’ai reçu, je n’y suis pas allée. Voilà pourquoi je vous demande de réfléchir à la raison pour laquelle ces personnes s’y trouvent.

Chers collègues, on constate que la durée pendant laquelle les personnes sont obligées de supporter de telles périodes d’isolement augmente par rapport aux anciens régimes d’isolement. Les détenus ne sont pas en mesure de déposer des plaintes et de demander la tenue d’examens menés par les décideurs externes indépendants, dont le rôle est d’assurer une surveillance externe indépendante. Plutôt, ces décideurs externes indépendants n’examinent que les cas qui leur sont renvoyés par le Service correctionnel du Canada, ce qui a pour effet de réduire encore plus au silence les détenus et de rendre leurs droits encore plus secondaires.

(1530)

De plus, on a constaté que, dans les cas où les décideurs externes indépendants ordonnent la libération de détenus se trouvant dans des unités d’intervention structurée, les responsables du Service correctionnel du Canada mettent en moyenne plus de temps à se conformer à ces directives par rapport aux cas d’autres détenus où l’ordre de libération vient d’une autre source.

Par conséquent, chers collègues, nous assistons non seulement à un échec de la part du gouvernement en ce qui concerne l’arrêt de la pratique horrible, inacceptable et inhumaine de l’isolement, mais aussi à une dévalorisation et à un manque de respect du rôle des décideurs externes indépendants, puisque les responsables du Service correctionnel du Canada et la nouvelle formulation de la politique ont servi à diluer leur rôle et leur influence dans ce processus.

Honorables sénateurs, en réponse aux manquements du gouvernement à cet égard, le projet de loi S-230 mettrait en œuvre deux formes essentielles de surveillance judiciaire pour corriger le recours abusif et généralisé à l’isolement dans les prisons fédérales. La finalité de ces deux mécanismes de surveillance judiciaire est la suivante : les autorités carcérales qui veulent mettre une personne en isolement pendant plus de 48 heures doivent obtenir l’approbation du tribunal, car après ce délai, des préjudices irréversibles peuvent commencer à survenir, avec pour conséquence que les détenus peuvent demander à un tribunal une réduction de leur peine ou du délai pendant lequel ils ne peuvent pas bénéficier d’une libération conditionnelle, au motif que des conditions de détention comme l’isolement reviennent à leur infliger une peine plus dure que celle à laquelle ils ont été condamnés.

Chers collègues, ces formes de surveillance judiciaire ne sont pas arbitraires et ne viennent pas de nulle part. Elles reposent sur les recommandations réfléchies et fondamentales formulées par la juge Louise Arbour en 1996 par l’intermédiaire de la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston. Comme la juge Arbour l’a mentionné à l’époque :

Je ne vois aucune autre solution au recours abusif à l’isolement de longue durée sauf celle de recommander qu’il soit placé sous le contrôle et la surveillance des tribunaux.

Compte tenu de la tentative maladroite du gouvernement de remédier à ce problème abominable, il est plus que temps que nous écoutions les propos sages et prudents de la juge Arbour.

Honorables sénateurs, aucun d’entre vous ne sera surpris d’entendre que les Autochtones représentent un pourcentage extrêmement élevé de la population carcérale du Canada par rapport à leur pourcentage de la population générale du pays. Cette surreprésentation est encore plus marquée chez les femmes autochtones, et pire encore lorsqu’on examine la composition des personnes les plus touchées par le recours aux unités d’intervention structurée.

Les femmes autochtones représentent la moitié des femmes dans les prisons fédérales. Elles représentent également 96 % des femmes isolées dans les unités d’intervention structurée, ce qui est épouvantable. Compte tenu de cette réalité, je demande à chacun d’entre vous, chers collègues sénateurs, de réfléchir à certains des documents importants que nous avons collectivement défendus au cours des dernières années au Sénat. Nous avons vanté les vertus du rapport final et des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Nous avons souligné l’importance de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et des appels à la justice qui en ont résulté. Nous avons approuvé et inscrit dans la loi un plan d’action visant à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Tout cela est bien beau, mais ce ne sont que des mots sur du papier. Que faisons-nous réellement pour remédier aux problèmes évoqués dans ces documents importants?

L’article 7.1 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones stipule que « [l]es autochtones ont droit à la vie, à l’intégrité physique et mentale, à la liberté et à la sécurité de la personne ».

Cependant, nous constatons que les Autochtones sont en grande partie ceux qui sont victimes de l’impact du recours aux unités d’intervention structurées, qui font des ravages mentaux et physiques sur leur personne et entraînent des cas de schizophrénie, voire pire. N’oubliez pas qu’il s’agit de femmes au comble de la vulnérabilité.

L’appel à l’action no 30 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada demande « aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de s’engager à éliminer, au cours de la prochaine décennie, la surreprésentation des Autochtones en détention ».

L’appel à l’action no 41 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada demande :

[...] au gouvernement fédéral de nommer, à la suite de consultations avec des organisations autochtones, une commission d’enquête publique chargée de se pencher sur les causes de la disproportion de la victimisation des femmes et des jeunes filles autochtones.

Cependant, le nombre de prisonniers autochtones reste extrêmement élevé, et les femmes autochtones sont surreprésentées dans les situations de victimisation au sein même de notre système correctionnel, qui les place de force dans ces unités d’intervention structurées, malgré les effets délétères connus et bien documentés qu’elles ont sur les personnes qui y sont placées.

L’appel à la justice no 5.21 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées demande au gouvernement fédéral « de réduire la surreprésentation démesurée des femmes autochtones dans le système de justice criminelle ». Or, encore une fois, la surreprésentation continue plutôt d’augmenter.

Chers collègues voici la question dérangeante que nous devons nous poser : en faisons-nous assez? En faisons-nous assez pour que les Premières Nations constatent des changements concrets, et pas seulement théoriques? Nous sommes toujours prêts à nous taper dans le dos parce que nous avons créé tel ou tel cadre ou à dire que les choses doivent changer. Eh bien, le projet de loi S-230 ferait bouger les choses pour vrai et aurait des conséquences aussi réelles que tangibles.

Nous entendons souvent parler de la surreprésentation des peuples autochtones, et plus particulièrement des femmes autochtones, dans les prisons canadiennes. Nous entendons souvent parler de l’importance capitale des trois instruments dont je viens de parler, à savoir les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, des appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et les nombreux articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Or, ces documents éclairants ne sont pas des solutions en soi; ils ne font que nous montrer le chemin vers les solutions. Ces problèmes ne se résoudront jamais tant que la volonté politique fera défaut et que les politiciens ne décideront pas de changer les choses au moyen de mesures énergiques et décisives.

Nous décrions le traitement que subissent les femmes autochtones et nous nous entendons pour dire à quel point les résultats de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées étaient horribles. Faisons un premier pas vers la solution. C’est ce que permettrait le projet de loi S-230. Son adoption permettrait de soustraire les peuples autochtones et les femmes autochtones aux peines cruelles et inusitées que représentent les unités d’intervention structurée.

Ne vous y trompez pas : les peuples autochtones, et plus particulièrement les femmes autochtones, sont les plus touchés par cette prétendue forme de justice. Nous avons l’obligation solennelle de nous tenir debout, de prendre nos responsabilités et d’adopter le projet de loi S-230.

Je vous remercie.

La sénatrice Martin : Je propose l’ajournement du débat.

Son Honneur la Présidente : L’honorable sénatrice Martin, avec l’appui de l’honorable sénatrice Seidman, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Madame la Présidente, je souhaite prendre la parole dans le cadre du débat.

Son Honneur la Présidente : Le sénateur Plett a la parole.

Le sénateur Plett : Votre Honneur, je suis déçu qu’une motion d’ajournement pour cette mesure législative soit rejetée à ce stade-ci.

(1540)

Comme tous les sénateurs s’en souviendront, le sénateur Carignan a invoqué le Règlement il y a un certain temps pour dire que ce projet de loi nécessitait une recommandation royale. Nous croyons toujours que c’est le cas. Votre Honneur, vous avez déterminé que ce n’est pas le cas. Nous acceptons votre décision et nous vous en remercions.

Vous avez fait cela la semaine dernière, Votre Honneur, et la sénatrice Pate aurait pu intervenir au sujet de son projet de loi à ce moment-là pour que nous ayons tous le temps d’écouter les arguments sur le projet de loi et de préparer notre porte-parole à se prononcer. Au lieu de cela, elle a choisi de ne pas prendre la parole. Ce matin, Votre Honneur, j’ai appris pendant la réunion des leaders que la sénatrice Pate allait prendre la parole aujourd’hui, et notre leader adjointe l’a appris plus tard lors de la réunion préparatoire.

De toute évidence, Votre Honneur, la marraine du projet de loi a pris la parole et deux autres collègues ont pris la parole après elle, et le porte-parole attendait d’entendre les arguments sur ce projet de loi, mais il n’en a pas eu l’occasion parce que la sénatrice Pate n’est pas intervenue et que deux sénateurs ont pris la parole pendant 10 ou 15 minutes chacun. En attendant, notre porte-parole est censé essayer de prendre la parole et de faire valoir des arguments raisonnables.

Votre Honneur et chers collègues, nous estimons qu’il s’agit d’un mauvais projet de loi. C’est notre avis, mais nous souhaitons préparer nos arguments. Le projet de loi S-230 présente un risque financier et opérationnel considérable pour le Service correctionnel du Canada, car il rend obligatoire le transfèrement dans un hôpital provincial de toute personne incarcérée dans un établissement fédéral et souffrant de troubles mentaux invalidants. L’absence de définition claire de ce terme pourrait entraîner un nombre important de transfèrements, ce qui augmenterait considérablement les coûts pour le Service correctionnel.

Selon le directeur parlementaire du budget, en supposant que 75 % des personnes incarcérées souffrent de troubles mentaux et que ces troubles sont débilitants dans 50 % des cas, environ 5 000 détenus pourraient prétendre à des soins psychiatriques. Il s’agit là d’un coût important.

Votre Honneur, nous avons essayé, en collaboration avec d’autres sénateurs, de faire en sorte que des projets de loi d’initiative parlementaire franchissent la ligne d’arrivée. Depuis octobre, chers collègues, il y a eu le projet de loi S-235 de la sénatrice Jaffer, le projet de loi S-250 de la sénatrice Boyer, le projet de loi C-244, un projet de loi d’initiative parlementaire libéral qui nous a été renvoyé, et les projets de loi C-291 et C-294. Ces deux derniers étaient des projets de loi conservateurs. Les trois autres étaient des projets de loi libéraux ou du groupe des sénateurs indépendants.

En novembre, nous avons eu le projet de loi S-269 de la sénatrice Marty Deacon, du Groupe des sénateurs indépendants, le projet de loi S-276 du sénateur Kutcher, du Groupe des sénateurs indépendants, le projet de loi C-284, un projet de loi d’initiative parlementaire libéral, présenté par le Groupe des sénateurs indépendants. Pourtant, la semaine dernière, Votre Honneur et chers collègues, vous vous souviendrez que nous, du côté conservateur, avons demandé la mise aux voix de deux projets de loi du Groupe des sénateurs indépendants parce que nous pensions qu’ils étaient bons, qu’ils avaient fait l’objet d’un débat considérable et qu’ils étaient mûrs. Nous les avons donc fait avancer.

Plus tard aujourd’hui, nous serons saisis d’un autre projet de loi très urgent, et ce matin, on nous a dit : « L’un n’arrivera pas sans l’autre. » Ce n’est pas ainsi que l’on négocie un bon projet de loi. Si le projet de loi est bon, mettons-le aux voix et votons en sa faveur. Si le projet de loi est mauvais, n’en faisons rien. Nous sommes en présence d’un mauvais projet de loi pour lequel nous acceptons de passer au vote. Une offre a été faite, et on l’a refusée.

Votre Honneur, nous espérons que nous pourrons traiter cette question dans un esprit de collaboration et que notre porte-parole aura la possibilité de livrer des arguments en bonne et due forme, d’examiner les transcriptions de ce que les sénatrices Pate, McCallum et Bernard ont dit ici aujourd’hui, ainsi que d’autres arguments, puis de présenter un discours de porte-parole approprié.

Encore une fois, Votre Honneur, j’implore mes honorables collègues d’étudier cette question sans s’arrêter à la personne dont vient l’initiative, au fait que cette initiative vient peut-être d’une amie proche, mais en se fondant sur les mérites de la mesure et l’organisation du temps adéquate pour une mesure comme celle-ci. Ce projet de loi n’est pas urgent en ce moment, à l’étape de la troisième lecture. Nous pouvons tenir le vote aujourd’hui, la semaine prochaine ou même la semaine suivante. Il doit aller à la Chambre, qui — nous en avons le sentiment — est probablement un peu submergée par d’autres problèmes dont elle s’occupe en ce moment. Je ne pense pas que les députés prêtent vraiment attention à cela.

Quoi qu’il en soit, Votre Honneur, nous avons fait une offre très raisonnable, et, dans ce contexte, je demande l’ajournement de ce débat pour le reste de mon temps de parole.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Plett, je voulais mentionner que la motion d’ajournement a été rejetée. Par conséquent, nous ne pouvons pas… Vous ne pouvez pas ajourner le débat. Toutefois, vous avez pris la parole en disant que la motion a été rejetée, et vous avez participé au débat. La sénatrice Martin a proposé l’ajournement.

Le sénateur Plett : Il n’en a pas été ordonné ainsi.

Son Honneur la Présidente : N’avez-vous pas pris la parole pour invoquer le Règlement?

Le sénateur Plett : Non, j’ai pris la parole pour participer du débat, Madame la Présidente. Le hansard le confirmera.

Son Honneur la Présidente : Pourriez-vous attendre un instant? Nous ne pouvons avoir deux motions différentes dans le cadre d’un débat. Je tiens à préciser que la sénatrice Martin a proposé l’ajournement du débat, puis vous avez pris la parole. Nous ne pouvons avoir deux motions d’ajournement du débat en même temps.

Le sénateur Plett : Puis-je vous poser une question, Votre Honneur?

Son Honneur la Présidente : Oui.

Le sénateur Plett : Pourquoi m’avez-vous accordé la parole dans le cadre du débat? J’ai précisé que j’intervenais dans le cadre du débat, avant que la motion d’ajournement soit mise aux voix. La sénatrice Martin a proposé la motion. Elle n’a pas été mise aux voix, et j’ai pris la parole pour participer au débat. Il n’est pas anormal qu’une personne intervienne pour débattre après la présentation d’une motion d’ajournement.

Son Honneur la Présidente : Je n’ai pas vu deux sénateurs se lever pour demander qu’on fasse sonner le timbre ou pour demander... Par conséquent, nous ne pouvons mettre aux voix deux motions d’ajournement.

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Si vous le permettez, j’aimerais profiter de cette occasion parce que nous avons manqué de temps et certaines questions. Je sais que le sénateur Plett a raison lorsqu’il dit qu’un porte-parole a besoin de temps pour s’exprimer pleinement après l’intervention du parrain d’un projet de loi. Nous étions encore en train de négocier, le sénateur Plett et moi, et je n’ai pas eu assez de temps pour informer mon groupe de ce qui se passait.

En bref, si nous acceptons d’ajourner le débat sur le projet de loi S-230 aujourd’hui, nous accepterions également d’avoir, d’ici jeudi prochain, le 5 décembre, un vote à l’étape de la troisième lecture sur ce projet de loi.

Le sénateur Plett : On ne peut pas négocier dans cette enceinte.

La sénatrice Saint-Germain : Oui, mais c’est la situation dans laquelle nous sommes, sénateur. J’essaie de trouver une solution.

Le sénateur Plett : Passons au vote.

La sénatrice Saint-Germain : Si vous ne voulez pas en discuter ici, je ne peux rien faire de plus pour vous aider. Alors, merci.

(1550)

Son Honneur la Présidente : La sénatrice Martin a proposé l’ajournement. Cela a été rejeté. Comme j’ai accordé la parole au sénateur Plett, nous ne pouvons pas avoir deux motions d’ajournement successives. Par conséquent — oui, sénatrice Moncion?

L’honorable Lucie Moncion : Passons de nouveau au vote.

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Moncion, quel vote?

La sénatrice Moncion : Le vote sur la motion d’ajournement de la sénatrice Martin.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un non. Nous poursuivons donc le débat sur la motion.

Le sénateur Plett : J’avais la parole, Votre Honneur, ce qui signifie que nous avons ouvert le débat. Est-ce exact?

Son Honneur la Présidente : Vous n’avez pas l’intention d’ajourner le débat, n’est-ce pas?

Le sénateur Plett : Vous avez dit...

Son Honneur la Présidente : Vous avez proposé l’ajournement de la motion.

Le sénateur Plett : Vous avez dit que nous reprenions le débat, alors poursuivons le débat. Est-ce bien ce que je vous ai entendu dire, Votre Honneur?

Son Honneur la Présidente : Oui.

Le sénateur Plett : Je vais conclure mon intervention en disant que j’aimerais ajourner le débat pour le reste du temps dont je dispose.

Son Honneur la Présidente : Vous ne pouvez pas ajourner le débat une deuxième fois, étant donné que la sénatrice Martin a déjà présenté une motion d’ajournement. Oui, sénateur Wells?

L’honorable David M. Wells : Votre Honneur, je ne connais peut-être pas les règles aussi bien que vous, mais, si j’ai bien compris, après la présentation de la motion d’ajournement, aucune décision n’a été prise à ce sujet. Ensuite, le sénateur Plett est intervenu dans le cadre du débat, ce qui a annulé toute motion d’ajournement précédente qui n’a pas fait l’objet d’un débat, surtout si le débat principal s’est poursuivi.

Son Honneur la Présidente : Je voudrais suspendre la séance pendant quelques minutes parce que je ne suis pas d’accord avec le sénateur sur ce point. Merci.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(1630)

(Le Sénat reprend sa séance.)

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Votre Honneur, c’était effectivement une suspension qui méritait une bonne conversation et un peu de camaraderie à l’approche de Noël. Je pense que nous avons convenu, Votre Honneur, que le consentement serait accordé si je demandais l’ajournement à ce stade-ci. Donc, avec le consentement du Sénat, je propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Il en est ainsi ordonné.

(Le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale

Troisième lecture—Débat

L’honorable Fabian Manning propose que le projet de loi S-249, Loi concernant une action nationale pour la prévention de la violence entre partenaires intimes, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, ce jour a mis longtemps à arriver, mais je suis extrêmement heureux que nous soyons enfin réunis pour discuter et débattre de mon projet de loi d’intérêt public, le projet de loi S-249, à l’étape de la troisième lecture.

Hier soir, en quittant mon bureau de l’édifice de l’Est, j’ai été ravi de voir la tour de la Paix illuminée en violet. En effet, la campagne des 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe a débuté hier. Le 25 novembre est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. La campagne s’achèvera le 10 décembre, qui est la Journée internationale des droits de l’homme. La campagne des 16 jours d’activisme appelle à l’action contre l’une des atteintes aux droits de la personne les plus persistantes dans le monde : la violence à l’égard des femmes.

Le thème de la campagne de 2024 est « S’unir pour agir ». Les 16 jours d’activisme soulignent à quel point il est crucial de mobiliser tout le monde au Canada, en particulier les hommes et les garçons, pour faire évoluer les normes sociales, les attitudes et les comportements qui contribuent à la violence fondée sur le sexe. Il s’agit également d’un appel à l’action, exhortant chacun d’entre nous à reconnaître les signes de la violence fondée sur le sexe et à tendre la main pour obtenir un soutien pour nous-mêmes et pour nos proches.

Pendant les 15 prochains jours, la tour de la Paix sera illuminée en violet. Je vous suggère de prendre une photo et de la publier sur les médias sociaux pour rappeler aux gens l’épidémie à laquelle notre pays est confronté aujourd’hui.

Avant de poursuivre avec mes observations sur le projet de loi, j’aimerais profiter de l’occasion pour remercier plusieurs personnes et groupes qui ont joué un rôle majeur pour nous amener à cette étape du processus visant à faire du projet de loi S-249 une loi canadienne.

Le philosophe chinois Lao Tseu a dit : « Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. »

Je crois qu’il ne fait aucun doute que nous avons dû parcourir beaucoup de chemin pour amener le projet de loi S-249 à cette étape, mais le premier pas si crucial a été fait en janvier 2017, lorsque j’ai reçu un appel de Georgina McGrath, une résidante de la pittoresque municipalité de Branch, située dans la baie St. Mary’s, à Terre-Neuve-et-Labrador.

Mme McGrath voulait me rencontrer pour discuter de ce qu’on appelait alors la violence familiale. Peu de temps après, je lui ai rendu visite chez elle, et elle m’a raconté en détail son vécu par rapport à ce que nous appelons maintenant la violence entre partenaires intimes.

À partir de ce jour, je me suis engagé auprès de Mme McGrath à travailler avec elle et avec d’autres pour voir ce que nous pouvions faire collectivement pour nous attaquer à ce problème bien réel et très important.

Les mots me manquent pour décrire à quel point je suis heureux qu’elle ait pu se joindre à nous aujourd’hui au Sénat du Canada, en compagnie de son mari Karen, de sa sœur Kim et de sa nièce Sarah, alors que nous discutons et débattons du projet de loi S-249. J’espère même que nous aurons l’occasion de voter à l’étape de la troisième lecture avant la fin de la séance d’aujourd’hui.

Les victimes de violence entre partenaires intimes ne sont pas toutes des femmes, mais un grand pourcentage d’entre elles le sont. Par conséquent, au cours de mon intervention, je parlerai souvent des femmes et des filles, mais il n’en demeure pas moins que bien d’autres groupes de tous les horizons sont victimes de ce type de violence, comme les hommes, les garçons, les membres de la communauté LGBTQIA+, les membres des communautés autochtones et bien d’autres.

Au cours des dernières années, j’ai rencontré plus de 130 victimes de violence entre partenaires intimes. J’ai organisé plusieurs tables rondes avec des victimes, des familles de victimes, des représentants des gouvernements fédéral et provinciaux, des membres des forces de l’ordre, des membres du système de justice et bien d’autres encore.

J’ai visité des refuges pour femmes dans plusieurs régions du pays. J’ai eu de nombreuses discussions avec beaucoup d’entre vous dans cette enceinte et j’ai travaillé en étroite collaboration avec le bureau de la ministre Marci Ien pour faire avancer ce projet de loi vital et important à chacune des étapes de notre processus législatif.

Au cours de ces discussions avec le cabinet de la ministre, il a été convenu que le projet de loi S-249 porterait le nom de « loi de Georgina », ce qui m’a à la fois ravi et ému. Cela donne une touche personnelle à cette loi. Cela fera en sorte qu’un plus grand nombre de personnes pourront découvrir l’histoire de Georgina, mais cela leur permettra aussi de trouver le courage de raconter leur propre histoire.

J’espère que, à l’instar de la loi de Clare, la loi de Georgina franchira la ligne d’arrivée et deviendra une loi au Canada.

Je veux profiter de cette occasion pour remercier toutes les personnes qui ont participé à ce processus, parfois frustrant, mais je suis très reconnaissant d’être arrivé là où nous sommes aujourd’hui.

Il nous reste encore un long chemin à parcourir avant que le projet de loi soit adopté à la Chambre des communes, mais je crois sincèrement que nous franchirons la ligne d’arrivée. Même si ce projet de loi ne mettra pas fin à la violence entre partenaires intimes, j’espère qu’au moins une vie sera sauvée et que, grâce à nos discussions continues sur la violence entre partenaires intimes, les victimes partout au pays sauront qu’il y a de l’aide, que des personnes et des services sont disponibles pour les aider et que l’éducation est la clé de la réussite.

Au cours des dernières années, vous avez été nombreux à vous exprimer dans cette enceinte sur mon projet de loi, qu’il s’agisse de la version initiale, que j’ai présentée en avril 2018 — oui, j’ai bien dit avril 2018 —, ou de la dernière version du projet de loi, qui a fait l’objet d’une première lecture au Sénat le 8 juin 2022. Je suis impatient d’entendre plusieurs d’entre vous plus tard dans la soirée à l’étape de la troisième lecture.

(1640)

Tous ceux qui ont pris la parole ont beaucoup contribué à l’élaboration du projet de loi tel qu’il est aujourd’hui et, plus encore, au processus de sensibilisation à la grave épidémie de violence entre partenaires intimes qui secoue notre pays et le monde actuellement.

La violence entre partenaires intimes est un comportement qu’adopte une personne pour contrôler l’autre. Les partenaires peuvent être mariés ou non, hétérosexuels, membres de la communauté LGBTQIA+, cohabiter, être séparés ou sortir ensemble. Parmi les exemples de violence, on peut citer les injures ou les insultes, le fait d’empêcher un partenaire de contacter sa famille ou ses amis, de retenir de l’argent, d’empêcher l’autre d’obtenir ou de conserver un emploi, les blessures physiques réelles ou la menace de blessures physiques, l’agression sexuelle, le harcèlement et l’intimidation. La violence peut être criminelle et comprend l’agression physique, les coups, les poussées, la violence sexuelle, les relations sexuelles non désirées ou forcées et le harcèlement. Bien que la maltraitance émotionnelle, la maltraitance psychologique et la maltraitance financière ne soient pas des comportements criminels, elles constituent assurément des formes de mauvais traitements et peuvent conduire à la violence criminelle.

Que vous ayez parlé de mon projet de loi ou de l’interpellation sur la violence entre partenaires intimes menée par la sénatrice Boniface, j’ai écouté attentivement et j’ai beaucoup appris, et je vous suis très reconnaissant à tous pour votre soutien continu.

Selon l’Organisation mondiale de la santé :

La violence entre partenaires intimes est considérée comme un important problème de santé publique à l’échelle mondiale qui est lié à la violence intergénérationnelle et qui entraîne des conséquences physiques, émotionnelles et économiques préjudiciables pour les victimes, les témoins et la société dans son ensemble.

Plus de 7 victimes de violence entre partenaires intimes sur 10, soit 71 %, ont subi de la violence physique. L’agression physique est le type de violence le plus courant que subissent les victimes de violence entre partenaires intimes, soit dans 77 % des cas; viennent ensuite les menaces, dans 8 % des cas, et le harcèlement criminel, dans 6 % des cas. Les données fournies par la police montrent que les conjoints, actuels ou anciens, et les autres partenaires intimes ont commis environ 42 % des crimes violents impliquant des victimes féminines. D’autres membres de la famille et des connaissances sont à l’origine de 43 % de ce genre de crimes. La violence familiale est définie comme tous les types de crimes violents perpétrés par un membre de la famille et signalés à la police.

Chers collègues, bien que la situation puisse être difficile à comprendre pour certaines personnes, des études ont montré que 70 % des cas de violence conjugale, peu importe leur type, ne sont pas signalés à la police. De nombreuses victimes de violence conjugale — et j’ai parlé à beaucoup d’entre elles — subissent des formes graves de violence. Plus précisément, 25 % de toutes les victimes de violence conjugale ont été agressées sexuellement, battues, étranglées ou menacées avec une arme à feu ou un couteau, et 24 % de toutes les victimes de violence conjugale ont reçu des coups de pied, ont été battues ou ont été frappées avec un objet.

En 2017, le site d’information Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe de Statistique Canada indiquait ceci :

Les personnes de sexe féminin étaient surreprésentées parmi les victimes d’agression sexuelle (88 % des affaires) et les victimes d’autres infractions sexuelles (83 % des affaires) [...] Parmi les autres infractions signalées à la police qui ont surtout été commises contre des victimes de sexe féminin figurent la séquestration et les infractions connexes (79 %), le harcèlement criminel (76 %) et les appels téléphoniques menaçants ou harcelants (71 %). Toutes les victimes (100 %) d’infractions faisant partie de la catégorie de la « marchandisation des activités sexuelles » étaient des femmes.

Les taux de presque « tous les types de victimisation avec violence » étaient « plus élevés chez les Autochtones ». Plus particulièrement, le taux d’agressions sexuelles chez les Autochtones, — 58 incidents par tranche de 1 000 personnes — correspondait à près de trois fois celui des non-Autochtones, qui était de 20 incidents par tranche de 1 000 personnes, alors que le taux d’agression physique chez les Autochtones, de 87 incidents pour 1 000, était près du double de celui des non-Autochtones, soit 47 incidents pour 1 000. En outre :

[c]hez les Autochtones de sexe féminin, le taux de victimisation avec violence [...] était 2,7 fois plus élevé que celui observé chez les non-Autochtones de sexe féminin [...].

Puis, il ne faut jamais oublier que 1 181 femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées entre 1980 et 2001.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Manning, je regrette de devoir vous interrompre. Vous disposerez du reste de votre temps de parole lorsque le débat reprendra à la fin de la période des questions.

[Français]

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant 16 h 45. Avant de procéder à la période des questions avec le ministre, je tiens à vous rappeler les durées fixées par le Sénat pour les questions et les réponses, conformément à l’ordre du 3 octobre 2023.

Lorsque le Sénat reçoit un ministre pour la période des questions, comme c’est le cas aujourd’hui, la durée de la question principale est limitée à une minute et celle de la réponse à une minute 30 secondes. La question supplémentaire et la réponse sont limitées à 45 secondes chacune. Dans tous ces cas, le greffier lecteur se lève 10 secondes avant l’échéance de ces délais.

Je demande maintenant au ministre d’entrer et de prendre sa place.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 7 décembre 2021, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd’hui l’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones, pour qu’il réponde à des questions concernant ses compétences ministérielles. Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue.

Monsieur le ministre, comme je l’ai déjà indiqué au Sénat, la durée pour une question principale est limitée à une minute, et la durée de votre réponse est limitée à une minutes 30 secondes. Pour la question supplémentaire, la durée de la question et de la réponse est limitée à 45 secondes chacune. Le greffier lecteur se lèvera 10 secondes avant l’échéance de ces délais. La période des questions sera d’une durée de 64 minutes.

Le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord

Les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Bienvenue, monsieur le ministre. Monsieur le ministre, Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été publié il y a plus de cinq ans déjà. Chaque année, depuis que je suis leader de l’opposition au Sénat, je demande à votre gouvernement quels progrès ont été réalisés pour rendre justice aux familles de ces mères, de ces filles et de ces sœurs qui ont disparu ou qui ont été assassinées. Je n’ai jamais obtenu de réponse satisfaisante à la moindre de mes questions. Ces familles veulent savoir ce qui est arrivé à leurs proches, monsieur le ministre, et elles méritent des réponses.

Monsieur le ministre, combien de ces cas ont été résolus par la GRC? Combien y a-t-il eu d’arrestations? Combien y a-t-il eu d’accusations, et combien y a-t-il eu de condamnations?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, sénateur, pour cette question. Permettez-moi d’abord de dire que les enjeux entourant les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que les personnes bispirituelles, constituent une crise nationale. Depuis notre arrivée au pouvoir en 2015, nous nous efforçons de régler les causes sous-jacentes à la question des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées. Comme vous le savez, nous avons demandé une enquête nationale, nous avons reçu les 231 appels à la justice et nous les mettons en œuvre.

Nous travaillons à un processus proactif afin de veiller à ce qu’il n’y ait plus de cas impliquant des femmes, des filles et des personnes bispirituelles disparues. Par conséquent, nous avons construit des maisons d’hébergement destinées spécifiquement aux femmes autochtones. Nous soutenons les services de première ligne pour les victimes autochtones. Trente-six services de police dirigés par des Autochtones ont été créés, et douze nouvelles tours de téléphonie cellulaire ont été installées le long de la « route des pleurs » en Colombie-Britannique.

Plus tôt cette année, nous avons lancé un projet pilote avec ce qu’on appelle l’alerte robe rouge, qui vise à alerter les communautés lorsqu’une personne est portée disparue, qu’il s’agisse d’une femme, d’une fille ou d’une personne bispirituelle autochtone. Nous sommes en train de la mettre en œuvre au Manitoba et nous espérons l’étendre à l’ensemble du pays.

(1650)

Le sénateur Plett : L’an dernier, lorsque j’ai posé la même question à l’ancien ministre de la Sécurité publique Marco Mendicino, on m’a assuré que votre gouvernement fournirait les informations les plus récentes en réponse à mes questions. À ce jour, je n’ai reçu aucune réponse à mes questions, un peu comme c’est le cas aujourd’hui. Malheureusement, ce n’est pas étonnant de la part de ce gouvernement laxiste en matière de criminalité.

Monsieur le ministre, pourquoi les néo-démocrates—libéraux ne traitent-ils pas les victimes de crimes et leurs familles avec respect?

M. Anandasangaree : Merci, sénateur. Je tiens à souligner qu’il devrait s’agir d’un enjeu non partisan. La question des femmes, des filles et des personnes bispirituelles autochtones portées disparues ou assassinées est une question profondément troublante dans tout le Canada, et je pense qu’elle devrait jouir d’un appui non partisan.

Je signale que c’est notre gouvernement qui a demandé une enquête nationale. Nous sommes à mettre en œuvre les recommandations du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous l’avons reçu. Nous travaillons sur la mise en œuvre de 231 appels à la justice distincts. Certains d’entre eux sont très complexes, mais en fin de compte, il s’agit de veiller à ce que les conditions soient réunies pour que les femmes autochtones soient en sécurité dans leurs communautés. C’est le travail que nous continuerons à faire.

[Français]

L’attribution des marchés

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le ministre, votre collègue Randy Boissonnault s’est donné une fausse identité autochtone, et son entreprise a cherché à obtenir de votre gouvernement des contrats qui étaient destinés à des compagnies de propriété autochtone.

Pourtant, le premier ministre l’a défendu bec et ongles, et Randy Boissonnault est toujours dans le caucus libéral.

Monsieur le ministre, comment le fait de prendre la défense d’un « fautochtone » contribue-t-il à la réconciliation, et pourquoi le garder au gouvernement alors qu’il aurait dû en être chassé, d’autant plus que votre leader a renvoyé la première ministre de la Justice autochtone simplement parce qu’elle lui tenait tête?

Comment expliquez-vous ces deux poids, deux mesures aux Autochtones avec qui vous travaillez jour après jour?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci pour la question, sénateur.

[Traduction]

Randy Boissonnault s’est retiré du Cabinet avec l’accord du premier ministre. Il s’efforce de défendre son nom.

Les questions relatives à l’identité autochtone sont extrêmement complexes. En tant que gouvernement, nous avons veillé à ce que ces questions soient abordées, notamment en ce qui concerne l’exclusion après la deuxième génération et la discrimination sexuelle dans le cadre de la Loi sur les Indiens.

En fin de compte, monsieur le sénateur, les questions d’identité et de reconnaissance de la citoyenneté doivent être traitées au niveau de chaque communauté et de chaque nation. Ce n’est pas au gouvernement fédéral de dicter à quoi ressemblent ces identités. Pour nous, au sens large, le travail que nous devons accomplir consiste à veiller à ce que les communautés aient la possibilité de s’affranchir de la Loi sur les Indiens pour définir qui sont leurs citoyens. Ce n’est vraiment pas au gouvernement fédéral de le faire.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, je suis surpris. Votre gouvernement ne fait rien pour lutter contre la fraude dans les marchés publics autochtones. Nous l’avons vu plus tôt cette année avec le scandale ArriveCAN et nous le voyons maintenant avec l’ancien ministre Boissonnault. Quand ce ne sont pas des sociétés-écrans qui refilent le travail à d’autres, ce sont des mensonges sur l’identité des propriétaires. Pendant ce temps, les Autochtones ne profitent pas de ces programmes, monsieur le ministre.

Comme toujours lorsqu’il s’agit des Premières Nations, des Inuits et des Métis, votre gouvernement ne fait que parler, mais n’agit pas vraiment. Grand parleur, petit faiseur, comme on dit chez nous.

Pourquoi les règles ne sont-elles pas appliquées? Trouvez-vous cela acceptable, monsieur le ministre? Comment allez-vous faire en sorte que ces programmes profitent aux Autochtones, et pas aux fraudeurs?

[Traduction]

M. Anandasangaree : Merci, monsieur le sénateur. Les questions relatives à la représentation sont cruciales pour nous. Elles sont très importantes pour nous en tant que gouvernement. Oui, elles sont complexes et difficiles. Je ferai remarquer qu’en tant que gouvernement, nous avons pris des mesures pour assurer la diversité et, en particulier, l’inclusion au sein de nos institutions, notamment en nommant la première gouverneure générale autochtone et la première juge autochtone à la Cour suprême. Nous continuerons à veiller à la représentation des peuples autochtones à l’échelle de l’appareil gouvernemental. C’est un engagement que nous avons pris en 2015 et que nous continuerons à respecter.

Les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation

L’honorable Kim Pate : Bienvenue, monsieur Anandasangaree. C’est un plaisir de vous voir. Votre lettre de mandat demande que vous dirigiez le travail de tous les ministres en vue d’accélérer la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et de la voie fédérale concernant les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues. Plus particulièrement, à l’approche de l’échéance de 2025 fixée par la Commission de vérité et réconciliation pour éliminer la surreprésentation des Autochtones dans les prisons fédérales — une surreprésentation qui, malheureusement, continue de s’accentuer —, quelles mesures concrètes prenez-vous pour exiger des comptes auprès des ministres et des ministères quant à la mise en œuvre en temps voulu des appels à l’action et des appels à la justice, et pour évaluer l’efficacité de cette mise en œuvre?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Je vous remercie, sénatrice Pate. Merci pour votre leadership et pour le travail que vous menez pour régler les problèmes de surincarcération et de surreprésentation des Autochtones, en particulier dans le système de justice pénale. Permettez-moi de me concentrer sur cela dans ma réponse.

Nous avons pris des mesures sans précédent pour régler certains des problèmes à l’origine de la surincarcération. Je pense que le projet de loi C-5 est probablement l’exemple le plus concret que nous puissions fournir, parce que, pour la première fois dans l’histoire du Canada, il supprime certaines des peines minimales obligatoires qui ont entraîné l’incarcération disproportionnée des Autochtones, en particulier des femmes autochtones.

Les rapports que nous recevons chaque année de l’enquêteur correctionnel, M. Zinger, soutiennent qu’il faut que nous mettions vraiment les bouchées doubles. Je vous assure que je tiens à faire en sorte que tant les services correctionnels que le système judiciaire cherchent à régler les problèmes sous-jacents.

Je souligne que nous avons une stratégie en matière de justice autochtone qui en est actuellement à l’étape de l’élaboration conjointe. Nous avons mené des consultations approfondies. Vous avez vraisemblablement vu le Rapport sur ce que nous avons appris. Nous avons hâte qu’il soit mis en œuvre.

La sénatrice Pate : Merci. Le plan d’action national 2021 pour les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a mentionné, parmi ses priorités à court terme, l’instauration d’un revenu viable garanti à l’échelle nationale comme moyen de lutter contre la disparition et le meurtre de femmes et filles autochtones, mais également comme moyen de réduire les taux d’incarcération des Autochtones. La mise en œuvre de ce plan d’action est censée commencer d’ici 2024. Pourriez-vous clarifier comment ont été choisies les priorités à court terme et quelles sont les prochaines étapes concrètes auxquelles nous pouvons nous attendre à cet égard et en ce qui a trait aux autres priorités à court terme?

M. Anandasangaree : L’élaboration du plan d’action se fait conjointement et annuellement. J’ajouterais que nous avons également le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui s’inscrit maintenant dans les efforts du ministre de la Justice pour mobiliser les divers ministères.

La question de la création d’un revenu de base universel est un peu plus complexe. Je crois savoir qu’elle fait fréquemment l’objet de discussions au Sénat, comme c’est le cas à la Chambre des communes. Je tiens à vous assurer que des réunions ont lieu entre les Autochtones, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Nous aurons le troisième...

Son Honneur la Présidente : Merci, monsieur le ministre.

Les priorités ministérielles

L’honorable Paulette Senior : Bienvenue, monsieur le ministre, et merci de vous être joint à nous. C’est bon de vous voir au Sénat.

Je tiens tout particulièrement à vous souhaiter la bienvenue en tant que voisine de Scarborough—Rouge Park, où nous habitons. J’ai écouté attentivement les excuses que vous avez présentées cette fin de semaine au peuple inuit du Nunavik pour le massacre des chiens de traîneau, un acte incroyablement cruel de la part du gouvernement canadien qui a eu lieu il y a plus de 60 ou 70 ans. Pouvez-vous nous faire part de la priorité la plus urgente et la plus opportune pour vous, en tant que ministre, à la suite de ces excuses qui s’imposaient depuis longtemps? Quelles sont les prochaines mesures que vous prendrez?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Je souhaite également exprimer notre solidarité en tant qu’habitants de Scarborough. J’ai remarqué que l’un des pages qui m’ont escorté ici est également originaire de Scarborough et je tiens donc à le saluer.

Le travail en faveur de la réconciliation est complexe et comporte de multiples facettes. Je pense que le travail que nous avons accompli cette fin de semaine visait à redresser certains torts du passé et à corriger les faits afin de trouver un moyen de rétablir la confiance, cette fois-ci avec les habitants du Nunavik. C’était une expérience très importante et très émouvante pour moi, et elle m’habite encore. Je ne pense pas être tout à fait revenu à la vie réelle après mon retour en fin de semaine.

(1700)

L’autre question plutôt urgente que nous examinons — et je ne dis pas que l’une est plus importante que l’autre, car il s’agit d’un travail parallèle — consiste à établir une voie à long terme vers l’autodétermination. Il faut pour cela établir des traités modernes et garantir l’autodétermination sur certains aspects de la vie des gens. Cet été, nous avons paraphé trois traités modernes en Colombie-Britannique — un avec la Première Nation Kitsumkalum, un avec la Première Nation Kitselas et un avec la Première Nation K’ómoks —, et nous sommes bien partis pour en conclure d’autres au cours des prochains mois.

La sénatrice Senior : Dans votre lettre de mandat, il vous est demandé d’accélérer la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et la mise en œuvre de la Voie fédérale concernant les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées publiée en 2021. Pouvez-vous nous parler des progrès réalisés dans le cadre de ces deux initiatives?

M. Anandasangaree : Merci, sénatrice. J’en ai parlé un peu plus tôt. La Commission de vérité et réconciliation a lancé 94 appels à l’action, et je sais que nous faisons des progrès importants à cet égard. Les démarches en vue de la mise en œuvre sont amorcées pour 85 % des appels à l’action qui relèvent exclusivement ou en partie du gouvernement fédéral. Dans certains cas, elles sont achevées. Cela dit, il faut du temps. Il s’agit d’un projet intergénérationnel.

Comme beaucoup d’entre vous, j’ai assisté à la cérémonie commémorative en l’honneur du sénateur Sinclair. J’ai trouvé profondément inspirant qu’il ait fait la même réflexion.

Nous avons beaucoup de pain sur la planche. Il doit s’agir d’un effort collectif, sénatrice. Je doute que tout le travail puisse être accompli de notre vivant, mais nous sommes tous déterminés à faire notre possible.

L’Autorité financière des Premières Nations

L’honorable Paul (PJ) Prosper : Bienvenue, monsieur le ministre. L’Administration financière des Premières Nations demande la monétisation de transferts fédéraux aux fins des projets d’infrastructure. La monétisation aux fins des grands projets d’immobilisations donne aux Premières Nations la capacité de réaliser des projets et d’éviter les retards et l’augmentation des coûts. Compte tenu des avis à long terme de faire bouillir l’eau, des systèmes inadéquats de traitement des eaux usées, des maisons surpeuplées et endommagées par la moisissure et des routes dangereuses, la monétisation aiderait les Premières Nations à atteindre leurs objectifs, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et au principe d’autodétermination. Cela permettrait également au premier ministre de remplir son mandat de combler les lacunes en matière d’infrastructures d’ici 2030.

Monsieur le ministre, le gouvernement a-t-il l’intention de proposer la monétisation en 2025? Sinon, pouvez-vous nous dire pourquoi?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, sénateur, je suis heureux de vous revoir.

Des rencontres ont eu lieu. J’ai eu des rencontres avec l’Administration financière des Premières Nations et ses dirigeants, et nous avons entendu l’avis d’un certain nombre de communautés. Comme vous le savez, l’Assemblée des Premières Nations se réunira la semaine prochaine, et nous nous attendons également à de nombreuses conversations sur des questions relatives à la monétisation.

Au bout du compte, c’est une question d’autodétermination. C’est la voie que nous nous sommes engagés à suivre. Nous n’avons pas encore de feuille de route précise concernant la monétisation par l’entremise de l’Administration financière des Premières Nations. Je crois qu’il faudra discuter davantage de la façon de procéder en collaboration avec des partenaires, mais c’est une idée que nous avons hâte d’examiner en vue d’élargir le soutien que le gouvernement fédéral peut fournir pour les infrastructures.

Je peux vous assurer que c’est un travail qui est en cours, mais je n’ai pas pris d’engagement pour le moment.

Le sénateur Prosper : Merci, monsieur le ministre. Les institutions créées en vertu de la Loi sur la gestion financière des premières nations reconnaissent l’importance de la monétisation. Elles soutiennent au moins 60 % des Premières Nations du Canada et contribuent à la mise en place de nombreux outils d’autodétermination et de croissance économique. Le Sénat a soutenu à l’unanimité leur expansion dans un projet de loi l’année dernière.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire en quoi les institutions dirigées par des Autochtones sont importantes pour aider les Premières Nations à renforcer leurs capacités?

M. Anandasangaree : Merci, sénateur. Il existe un certain nombre d’excellents exemples du travail que les institutions financières des Premières Nations ont entrepris au fil des ans. L’autorité fiscale serait un exemple solide où nous avons fait des progrès importants et permis de générer des recettes localement, ce qui mène ultimement à l’autodétermination. C’est la voie que nous suivons.

Nous avons eu plusieurs discussions. Je sais que la ministre Hajdu a organisé une table ronde avec les principales institutions financières du Canada : les compagnies d’assurance et les banques, ainsi que la Banque de l’infrastructure du Canada, entre autres. De nombreux travaux sont en cours pour garantir et élargir ces pouvoirs, et nous attendons avec impatience cet élargissement pour mener à encore plus d’autodétermination.

Le Comité consultatif sur les documents relatifs aux pensionnats

L’honorable Brian Francis : Bienvenue, monsieur le ministre. C’est un plaisir de vous revoir.

Le 23 août dernier, le président et les membres du Comité consultatif sur les documents relatifs aux pensionnats, qui sont indépendants, ont démissionné en invoquant que le gouvernement fédéral a fait fi pendant plus d’un an de leurs demandes de financement supplémentaire pour faire appel à des experts chargés de récupérer et de vérifier des documents non catalogués et d’effectuer d’autres activités.

Compte tenu de l’engagement de votre gouvernement de produire possiblement des millions de documents contenant de l’information sur la vie et la mort d’élèves des pensionnats, quelles mesures avez‑vous prises, vous et votre ministère, pour que le comité consultatif reçoive les fonds nécessaires pour reprendre ses travaux et mener à bien son mandat?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, monsieur le sénateur. Tout d’abord, je remercie le comité consultatif de son travail. Il a accompli un travail considérable, et je sais qu’il a examiné quelque 24 millions de documents depuis sa création.

Le comité dispose actuellement de ressources jusqu’à la fin de l’exercice actuel, c’est-à-dire jusqu’au 31 mars. Comme pour tous les programmes du gouvernement fédéral, c’est le cycle selon lequel nous fonctionnons. Je peux assurer au Sénat que nous trouverons d’autres ressources quand celles-là seront épuisées.

Actuellement, je peux affirmer sans crainte de me tromper que les ressources sont disponibles jusqu’à la fin du présent exercice. Malheureusement, le gouvernement fonctionne par cycles; telle est sa nature. Je suis certain que nous aurons d’autres ressources le moment venu.

Le sénateur Francis : Monsieur le ministre, il est profondément préoccupant que le comité n’ait pas la représentation autochtone indépendante nécessaire pour tenir le gouvernement fédéral responsable du respect de ses obligations en matière de divulgation. Encore une fois, vous engagerez-vous à prendre des mesures immédiates afin qu’il reprenne son travail essentiel et qu’il fournisse une mise à jour publique transparente avant la fin de l’année?

M. Anandasangaree : Monsieur le sénateur, je m’engage à réclamer des ressources supplémentaires au cours du prochain exercice, mais je tiens à confirmer que des ressources sont disponibles et que j’encourage la poursuite du travail jusqu’au 31 mars. Je m’engage à plaider en faveur d’un financement supplémentaire pour l’année prochaine.

La crise des opioïdes

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Bonjour, monsieur le ministre. Le 19 septembre dernier, le conseil tribal représentant 14 Premières Nations de l’île de Vancouver a déclaré l’état d’urgence en raison de la crise actuelle des opioïdes. Le conseil tribal a souligné que les membres des Premières Nations représentent moins de 4 % de la population de la Colombie-Britannique, mais près de 20 % des décès causés par des drogues toxiques dans la province. Le conseil tribal a ajouté ceci :

Des traumatismes générationnels et les répercussions du système des pensionnats continuent de faire éclater les communautés des Premières Nations. Les besoins sont grands et les obstacles nombreux. Les cris des mères qui ont perdu leurs enfants résonnent toujours dans ces communautés.

Monsieur le ministre, depuis le 19 septembre, quelles mesures précises votre gouvernement a-t-il prises pour offrir à ces communautés de la Colombie-Britannique des services utiles et adaptés à leur culture?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Je vous remercie, sénatrice. Permettez-moi tout d’abord de dire que certaines des discussions les plus difficiles que j’ai lorsque je parcours le pays, en particulier en Colombie-Britannique, portent sur la crise des opioïdes et la crise des drogues qui frappent les collectivités, et de manière disproportionnée les communautés autochtones des régions rurales. Cela brise tout simplement le cœur. Je sais que ces crises ont des répercussions sur la population partout au pays en ce moment même.

En ce qui concerne la réaction du gouvernement fédéral — et je tiens à souligner que cela ne relève pas de mon portefeuille —, les communautés ont accès à des fonds précis dans le cadre d’une approche pangouvernementale. Je crois qu’il s’agit de 150 millions de dollars, par l’entremise du ministère de la Santé mentale et des Dépendances.

(1710)

La fin de semaine dernière, j’étais à Kuujjuaq et j’ai visité un pavillon de ressourcement où il peut y avoir jusqu’à 32 lits pour un programme complet qui vise à aider les gens aux prises avec des dépendances. Partout au Canada, nous savons que le nombre de places est limité, mais je remarque des progrès en ce qui concerne la disponibilité des ressources. Il ne fait aucun doute que nous devons poursuivre le travail.

La sénatrice Martin : Oui, monsieur le ministre. Vous faites partie d’un gouvernement qui a inondé les communautés de la Colombie-Britannique d’opioïdes dangereux. Cette politique désastreuse n’a rien fait pour réduire le nombre de décès par surdose, et les nombres élevés sont vraiment alarmants.

Pourquoi pensez-vous que votre prétendu approvisionnement sûr en drogues dures aide les communautés des Premières Nations de ma province? Il ne les aide certainement pas.

M. Anandasangaree : Madame la sénatrice, j’ai beaucoup de respect pour vous et je sais que nous avons collaboré sur un certain nombre de questions, mais je ne suis pas d’accord avec la position selon laquelle nous avons inondé la province de drogues. Je pense que c’est absolument faux.

Nous adoptons différentes approches en fonction des demandes de chaque province ou territoire. En ce qui concerne la Colombie-Britannique, il s’agit d’une réponse à ce que la province avait demandé au gouvernement fédéral.

Nous sommes ici en tant que partenaires des provinces parce que ce n’est pas nous qui fournissons les services ou qui faisons le travail de première ligne, alors je tiens à rétablir les faits, sénatrice.

Les cartes de statut d’Indien

L’honorable Patrick Brazeau : Monsieur le ministre, c’est vous — votre ministère — qui décidez qui est un Indien inscrit dans notre pays et qui ne l’est pas. Cette carte, un certificat du statut d’Indien, est délivrée. Nous ne sommes pas censés utiliser des accessoires au Sénat. Or, si on détermine qu’il s’agit d’un accessoire, je pense qu’il faudrait poser des questions au ministère.

Cela dit, depuis quelques années, je dresse une liste des magasins, des succursales et des concessionnaires automobiles du pays, plus particulièrement du Québec, qui n’acceptent pas cette carte de statut d’Indien. Je vais poser une question au nom de nombreux membres des Premières Nations du pays qui ont honte de la poser : pourquoi des commerçants de partout au pays refusent-ils d’accepter les cartes de statut d’Indien que votre ministère leur a remises?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, sénateur. Je crois que c’est Services aux Autochtones Canada qui délivre les cartes, et non le ministère des Relations Couronne-Autochtones, mais là n’est pas le fond de la question.

Le gouvernement fédéral ne devrait pas être chargé de délivrer ces cartes. Ce n’est pas au gouvernement fédéral de reconnaître qui est ou n’est pas membres de votre nation. Malheureusement, la nature de la Loi sur les Indiens est telle que cela se produit et que les choses fonctionnent ainsi.

L’une des choses que nous essayons de faire, sénateur, est de travailler avec les nations pour dépasser les limites de la Loi sur les Indiens. C’est ce que nous avons fait cette année en Colombie-Britannique, avec de très bons résultats. Comme je l’ai indiqué plus tôt, le projet de loi S-16 a été présenté au Sénat et nous allons nous employer, à un moment donné, à collaborer avec la nation haïda afin de corriger la situation.

Bref, je suis d’avis que nous devons nous retirer de ce champ d’activité. Ce n’est pas au gouvernement fédéral de s’en charger. Il s’agit d’une forme d’administration profondément coloniale et raciste qui doit être remplacée par une procédure déterminée par vos nations.

Le sénateur Brazeau : Je vous remercie. Je voudrais simplement que vous sachiez que j’ai posé la même question à chaque ministre des Affaires indiennes depuis Jean Chrétien. Je peux vous dire qu’ils ont dit exactement ce que vous avez dit aujourd’hui.

Je ne cherche pas à provoquer un déclic. Ce n’est pas mon genre, mais ces questions doivent être posées. Pourquoi le gouvernement continue-t-il de financer des organisations au Canada qui ont des définitions discutables dans leurs critères d’adhésion, et pourquoi avons-nous dès lors au Canada des Autochtones de la 14e, de la 16e ou de la 18e génération qui ont accès à du financement? Comment cela se fait-il, alors que votre ministère délivre des cartes aux véritables membres reconnus des Premières Nations?

M. Anandasangaree : Le financement disponible est destiné aux personnes reconnues comme titulaires des droits visés par l’article 35 et, dans certains cas, aux personnes qui revendiquent les droits visés par l’article 35. C’est de là que vient le financement, ou là qu’il va.

Écoutez, ce n’est pas une science parfaite, sénateur. Il y a des difficultés dans…

Le sénateur Brazeau : C’est honteux.

M. Anandasangaree : Je suis d’accord. Ce que je peux vous dire, c’est que nous sommes en train de procéder à la décolonisation, et cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais nous nous sommes résolument engagés dans cette voie.

La Nation dakota de Whitecap / Wapaha Ska Dakota Oyate

L’honorable Scott Tannas : Monsieur le ministre, soyez le bienvenu. En juin 2023, la Chambre des communes et le Sénat ont accepté d’accélérer le processus d’adoption du projet de loi C-51, le traité concernant l’autonomie gouvernementale et la reconnaissance de la Nation dakota de Whitecap.

Nous avons fait des pieds et des mains pour y parvenir, car on nous avait dit qu’il s’agissait d’un projet de loi urgent. Depuis, le gouvernement n’a pas entamé les négociations avec la Première Nation dakota de Whitecap pour rétablir ses droits bafoués.

Monsieur le ministre, je vous poserai la même question que celle que j’ai posée au sénateur Gold : le gouvernement comprend-il qu’il est urgent qu’il remplisse son obligation de négocier avec la nation dakota de Whitecap, et pouvez-vous expliquer ce décalage?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Je vous remercie, sénateur Tannas, et je remercie le Sénat d’avoir adopté le projet de loi C-51.

De nombreux sénateurs de la Saskatchewan étaient présents lorsque nous avons procédé à la signature officielle en 2023. Je crois que c’était aux alentours du 31 juillet. Puis, comme vous le savez, plus tôt cette année, au cours de l’été, nous avons présenté des excuses officielles à la nation dakota-lakota en reconnaissant les préjudices que ses membres ont subis.

Depuis, nous avons eu un certain nombre de discussions, sénateur, avec les Whitecap, et il y a un mois environ, j’ai demandé au ministère d’entamer des discussions sur la nature et la portée des mesures qui pourraient être prises. Nous espérons développer ensemble une solution qui nous permettra d’avoir une discussion très concise sur les questions relatives aux traités, et j’attends avec impatience qu’elle soit achevée.

Nos ressources ont également été fortement sollicitées cette année en raison du nombre de traités que nous avons conclus en Colombie-Britannique, mais nous sommes prêts à collaborer avec les Whitecap en vue de la conclusion d’un traité.

Le sénateur Tannas : Merci de votre réponse. C’est sur les ressources en particulier que je souhaite vous interroger. Le Parlement a adopté le traité des Dakotas de Whitecap et la Loi sur la reconnaissance de la Nation haïda et a apporté récemment des modifications à la Loi sur la gestion financière des premières nations, et nous ne savons pas si l’une ou l’autre de ces mesures a reçu une quelconque autorisation de financement pour accompagner les négociations depuis l’octroi de la sanction royale.

Quand ces lois approuvées recevront-elles l’attention financière nécessaire et feront-elles l’objet des négociations requises?

M. Anandasangaree : Merci, sénateur. En ce qui concerne le traité des Haïdas, je pense que vous recevrez bientôt de bonnes nouvelles sur les progrès réalisés. En ce qui concerne le traité des Dakotas de Whitecap, nous continuerons à y travailler. D’autres traités sont sur le point d’être conclus en ce moment même.

Ce que je peux dire catégoriquement, c’est que les ressources sont disponibles. Elles sont rares, mais elles sont disponibles, et je dirais que nous avons conclu plus de traités cette année que n’importe quelle autre année au cours des trois dernières décennies. Je pense que c’est très important, et nous poursuivrons ce travail l’année prochaine.

L’honorable Marty Klyne : Bienvenue, monsieur le ministre. L’année dernière, le Sénat a accéléré l’adoption du projet de loi C-51 pour donner effet au traité concernant l’autonomie gouvernementale entre le Canada et la nation dakota de Whitecap, qui se fait attendre depuis longtemps. Les ancêtres de cette fière communauté dakota située près de Saskatoon ont été des alliés cruciaux des Britanniques pendant la guerre de 1812, qui est parfois décrite comme la lutte pour la survie du Canada. Pourtant, la nation dakota de Whitecap a été traitée comme une Première Nation de deuxième classe et privée de terres et d’avantages équitables tout en étant assujettie aux mêmes tentatives d’assimilation.

Monsieur le ministre, en ce qui concerne la réalisation de la promesse du projet de loi C-51, les gestes sont plus éloquents que les paroles. Convenez-vous que la Couronne doit se faire un point d’honneur de fournir des terres et des avantages équitables afin d’insuffler un dynamisme au traité en temps opportun?

(1720)

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, sénateur. Je pense avoir répondu à une question très semblable que vient de poser le sénateur Tannas. Cependant, je tiens à réaffirmer notre engagement envers la nation dakota de Whitecap et à dire que nous continuerons de travailler avec elle.

J’ai eu de nombreuses conversations avec le chef Bear et je lui ai rendu visite à plusieurs reprises. Ma sous-ministre, Val Gideon, et moi avons donné l’assurance que nous allions nous efforcer de donner vie à la loi adoptée ici l’an dernier.

Le sénateur Klyne : Monsieur le ministre, en juillet de l’année dernière, les sénateurs Cotter et Arnot et moi-même avons eu l’honneur d’assister à vos excuses aux Premières Nations dakota et lakota du Canada pour les torts causés par le déni de longue date de leurs droits. Nous sommes bien au fait des discussions, de la correspondance et des négociations, ou plutôt de l’absence de celles-ci. Outre la correspondance à ce sujet, pouvez-vous confirmer que vous ordonnerez à vos représentants de présenter un modèle établissant la parité entre les traités comme point de départ et principe de la réconciliation?

M. Anandasangaree : Merci, sénateur. Il serait inapproprié que je négocie au Sénat. C’est un enjeu sur lequel nous devons négocier et dont nous devons discuter avec la nation de Whitecap, et dont je suis tout à fait conscient.

Je tiens à vous assurer que nous trouverons une solution équitable qui sera à la hauteur des aspirations de la nation dakota de Whitecap.

L’honorable Brent Cotter : Merci, monsieur le ministre, d’être venu nous rencontrer. Je ne voudrais pas que vous pensiez que nous nous liguons contre vous au sujet des enjeux concernant les Dakotas et les Lakotas, mais, dans votre réponse au sénateur Tannas, vous n’avez pas utilisé le mot « négociations ». Vous avez parlé de « discussions » que vous avez autorisées. Les mots ont un sens. Cela me préoccupe un peu.

Je pense que vous devinez où je veux en venir avec cette question, car vous et moi en avons discuté de manière officieuse.

Les droits fonciers et les dispositions inadéquates pour les Dakotas et les Lakotas à cet égard sont un bon point de départ. Comme vous l’avez indiqué vous-même, l’accord-cadre sur les droits fonciers issus de traités a été utilisé comme modèle en Saskatchewan. Cet accord a fait ses preuves, et il a été utilisé par le passé pour résoudre l’absence de droits fonciers issus des traités de 33 Premières Nations. Je pense, comme vous en conviendrez, que, l’un des problèmes, c’est que les Premières Nations ont été lésées.

Vous engagerez-vous à négocier des accords sur les terres et les droits fonciers issus de traités avec ces Premières Nations longtemps négligées?

M. Anandasangaree Merci, monsieur le sénateur. Permettez-moi d’être aussi clair que possible dans mes termes.

J’ai le mandat de négocier quels éléments doivent être négociés. Je n’ai pas un mandat complet. Avant d’entreprendre les discussions initiales au cours desquelles nous élaborerons ensemble le mandat de négociation, je devrai être autorisé à poursuivre les discussions. Voilà la démarche que je décris aujourd’hui, et c’est cette discussion que nous avons proposée et qui a eu lieu dans un premier temps. Nous ne sommes pas encore allés très loin, et je peux vous assurer que je m’engage à avoir cette conversation avec nos négociateurs et à veiller à ce qu’il y ait une démarche élaborée conjointement qui nous permettra de travailler sur les négociations avec les Dakotas de Whitecap.

Le sénateur Cotter : Je suppose que vous comprendrez que l’enthousiasme que nous avons éprouvé il y a 18 mois, et dont le sénateur Tannas a parlé, ainsi que l’enthousiasme qui s’est manifesté à deux reprises au sein de la nation dakota de Whitecap ont fait naître des attentes chez beaucoup de gens. Quand aurez-vous ce mandat?

M. Anandasangaree : Monsieur le sénateur, nous avons agi à l’intérieur d’un délai sans précédent avec la nation dakota de Whitecap, et, cela peut malheureusement être difficile à reconnaître pour le Sénat, mais nous avons agi à un rythme sans précédent. Les excuses que nous avons présentées cet été — certains d’entre vous étaient présents à cette occasion — constituaient également un élément important du travail que nous réalisons avec les nations dakota et lakota en général. Notre engagement est de veiller à ce que nous ayons un accord d’autonomie gouvernementale approprié avec la nation dakota de Whitecap, ce que je compte bien poursuivre.

L’honorable David M. Arnot : Bienvenue, monsieur le ministre. Il y a trois jours, un article du Toronto Star disait : « Il est l’incarnation de la Couronne », en parlant de vous, monsieur le ministre. Certains lecteurs pourraient considérer qu’il s’agit d’une hyperbole, mais ce n’est pas le cas. Les mots ont de l’importance, en particulier en ce qui concerne les excuses sincères que vous avez présentées cet été aux neuf Premières Nations dakota de Whitecap.

Cependant, ce qui importe maintenant, c’est que la Couronne aille au-delà des mots et qu’elle crée une parité avec les autres Premières Nations signataires d’un traité.

Trois de mes collègues présents ici aujourd’hui proposent d’utiliser un processus d’accord-cadre sur les droits fonciers issus de traités, un outil bien établi et définitif qui permet de respecter l’engagement pris dans le cadre du traité entre la Couronne, les Premières Nations dakota et le Créateur.

Monsieur le ministre, pourriez-vous décrire ce qu’on vous a dit ou ce que vous comprenez de l’opinion de la Première Nation dakota de Whitecap au sujet du traité?

M. Anandasangaree Monsieur, permettez-moi de distinguer la nation dakota de Whitecap des autres Premières Nations dakotas et lakotas à qui les excuses ont été présentées. Lorsque nous sommes allés présenter nos excuses l’été dernier, j’ai eu l’occasion de rencontrer chacune des Premières Nations dakotas et lakotas à qui s’adressaient les excuses. Il n’y a assurément pas de consensus entre elles à savoir quelles sont les prochaines étapes.

Cela dit, dans le cas de la nation dakota de Whitecap, il y a des progrès, étant donné que leur gouvernement est reconnu et que, comme je l’ai dit plus tôt, nous travaillons à des discussions qui mèneront à un traité qui pourrait incorporer certains des éléments dont vous parlez. Toutefois, je ne voudrais pas présumer quelle sera la teneur de ces discussions. J’ai une bonne idée générale des enjeux, notamment, peut-être, les mesures de soutien pour l’agriculture et des préoccupations relatives à d’autres aspects du traité afin d’atteindre la parité, mais je ne pense pas qu’il soit approprié que je présume cela avant que ces discussions aient lieu.

Le sénateur Arnot : Merci, monsieur le ministre. Pourriez-vous, s’il vous plaît, assurer au Sénat que vous, en tant que représentant de la Couronne, êtes prêt à considérer le Processus des droits fonciers issus de traités comme étant le modèle à suivre pour atteindre la parité? Il s’agit d’un modèle prêt à utiliser pour la mise en œuvre du traité dans un contexte moderne. Sinon, pourquoi?

M. Anandasangaree : Sénateur, le ministère entreprendra d’élaborer, en collaboration avec la nation dakota de Whitecap, un cadre de travail fondé sur ses souhaits et ses aspirations, et c’est ce cadre de travail que nous suivrions.

Les droits fonciers issus de traités

L’honorable Mary Jane McCallum : Bienvenue, monsieur le ministre. Monsieur le ministre, en 2023, à la suite de deux décisions judiciaires, toutes deux rendues en faveur de 14 Premières Nations du Manitoba, les négociateurs du Canada ont proposé un règlement global de 3,5 milliards de dollars concernant la revendication collective de longue date des nations sur les droits fonciers issus de traités. Les Premières Nations ont accepté.

Les Premières Nations se sont fait dire qu’elles auraient l’approbation du Cabinet au début de 2024. Monsieur le ministre, ces Premières Nations attendent toujours.

Le ministre pourrait-il confirmer aujourd’hui que le gouvernement s’est engagé à l’égard du règlement proposé et qu’il sera immédiatement soumis à l’approbation du Cabinet? J’aimerais avoir une brève réponse ici aujourd’hui et une réponse plus complète, y compris une mise à jour du gouvernement sur la conclusion de cette revendication, par écrit dans les meilleurs délais.

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, sénatrice, pour cette question. Permettez-moi de confirmer que nous avons eu un certain nombre de discussions, sous toutes réserves, et je ne veux pas dans l’immédiat confirmer ou infirmer qu’il y a eu une offre formelle parce que je crois que tout cela s’est déroulé sous toutes réserves, sénatrice.

Je serais plus qu’heureux de vous informer de l’état de la situation. Étant donné que les discussions ne sont pas terminées, je ne pense pas qu’il soit approprié pour moi de faire d’autres commentaires.

La sénatrice McCallum : Monsieur le ministre, votre cinquième rapport législatif annuel de 2024 vante les accords d’autonomie gouvernementale actualisés que le Canada a signés en 2023 avec les nations métisses de l’Alberta, de la Saskatchewan et de l’Ontario.

Il mentionne également le projet de loi C-53 sur la mise en œuvre des traités conclus avec ces gouvernements, qui est bloqué et très controversé.

Monsieur le ministre, pourquoi le Canada met-il en œuvre de tels accords avec ces nations métisses alors que le gouvernement n’a pas fait preuve de la diligence nécessaire pour vérifier et comprendre fondamentalement l’identité des Métis, en particulier lorsque les normes d’identité sont si strictes pour les Premières Nations que mon propre petit-fils ne peut pas obtenir son statut?

(1730)

M. Anandasangaree : Merci, sénatrice McCallum, de cette question. Le projet de loi C-53, comme le savent beaucoup d’entre vous, a été présenté à la Chambre des communes et, pour un certain nombre de raisons, notamment le retrait de la Nation métisse de la Saskatchewan et une décision rendue par un tribunal de l’Alberta, le projet de loi est essentiellement bloqué. Nous sommes donc retournés à la planche à dessin.

Si vous me permettez de faire un commentaire sur la question de l’identité en ce qui concerne votre petit-fils et de nombreuses autres personnes concernées, je tiens à réaffirmer que nous devons en arriver à un point où le gouvernement fédéral ne définira plus la citoyenneté. C’est à la nation qu’il devrait incomber de la définir.

La discrimination fondée sur le sexe

L’honorable Marilou McPhedran : Je remercie les conservateurs de m’accorder du temps pour poser une question.

Monsieur le ministre, il y a moins d’un mois, les experts élus par les Nations unies qui surveillent les progrès des États parties à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ont répondu à l’examen du Canada en se disant profondément préoccupés par le fait qu’en dépit des modifications apportées à la Loi sur les Indiens, la discrimination fondée sur le genre à l’encontre des femmes et des filles autochtones persiste. Leurs préoccupations concernent notamment :

a) [l]es dispositions de la Loi sur les Indiens qui disposent que l’ascendance mixte indienne/non indienne (unions mixtes) sur deux générations successives, aboutit pour les enfants de la seconde génération à la perte du statut d’Indien (« seuil de la seconde génération »), ainsi que celles qui prévoient qu’il faut deux parents indiens pour transmettre ce statut à un enfant (« règle des deux parents »);

b) [l]’absence persistante de mesures visant à rétablir l’appartenance à une bande indienne (par la naissance et autres) des femmes et de leurs descendants qui l’avaient automatiquement perdue [...]

Monsieur le ministre, qu’allez-vous faire à ce sujet maintenant? Il ne suffit pas de parler de ce qu’on espère pour l’avenir. Vous avez les pouvoirs nécessaires. Qu’allez-vous faire maintenant?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, sénatrice McPhedran. D’abord, cette question relève du portefeuille de la ministre Hajdu. Je vais tout de même tenter d’y répondre.

La Chambre des communes est actuellement saisie du projet de loi C-38. Comme vous le savez, cette mesure législative cible un certain nombre de problèmes liés à l’exclusion après la deuxième génération. Il y a un certain nombre d’années, nous avons tenté de régler cette situation au moyen du projet de loi S-3, si je ne me trompe pas. Toutefois, il n’a pas été suffisant, et je l’ai reconnu peu de temps après son adoption.

En ce moment, des consultations sérieuses ont lieu sur ce que nous devons faire au-delà du projet de loi C-38. Ces consultations sont menées par la ministre Hajdu. Je pense qu’elles devraient mener à la prise de mesures supplémentaires par le gouvernement fédéral en lien avec la citoyenneté.

Cela dit, au bout du compte, le modèle colonial est maintenu, et c’est ce qui me préoccupe. Je pense que, à un moment donné, le travail que je fais consiste à permettre l’autodétermination sur des questions telles que la citoyenneté. Selon moi, c’est la voie que nous devons emprunter.

La sénatrice McPhedran : Compte tenu du fait que plusieurs portefeuilles sont concernés, le gouvernement s’engagera-t-il à abroger toutes les dispositions juridiques nationales restreignant l’accès à des réparations complètes pour les violations des droits de la personne subies par les femmes des Premières Nations et leurs descendants, y compris celles découlant de la Loi sur les Indiens, et à développer un mécanisme pour traiter les demandes de réparation en coordination avec les femmes des Premières Nations et leurs descendants?

M. Anandasangaree : Je crois que les consultations qui sont actuellement menées par la ministre Hajdu à propos du projet de loi C-38 devraient conduire à des modifications qui, espérons-le, élimineront la discrimination. En ce qui concerne les réparations, je crois que des affaires sont devant les tribunaux, je m’abstiendrai donc de toute observation à ce sujet, mais je pense que, pour ce qui est des modifications qui sont nécessaires, ce sera l’objet du travail de la ministre Hajdu.

Les négociations de traités

L’honorable Yvonne Boyer : Merci, monsieur le ministre, d’être venu aujourd’hui.

Les gouvernements métis, comme la Nation métisse de la Saskatchewan et la Fédération métisse du Manitoba, ont participé activement aux négociations de traités avec le gouvernement fédéral. Pourriez-vous nous dire quand le gouvernement fédéral a l’intention de tenir les promesses qu’il a faites à ces gouvernements métis et de mettre la dernière main à ces traités?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : En ce qui concerne la reconnaissance des droits des Métis dans le cadre de la reconnaissance de leurs gouvernements, les Nations métisses de l’Ontario, de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba ont emprunté des voies distinctes. À l’heure qu’il est, nous négocions activement avec les nations du Manitoba et de la Saskatchewan. Elles sont sur des voies différentes; elles ne sont pas à la même table de négociations. Nous espérons conclure les négociations dans un cas, dans les prochains jours, dans l’autre cas, dans les prochaines semaines.

La sénatrice Boyer : Merci. Quelles ont été les principales difficultés pour conclure un accord? Je suis heureuse d’apprendre que les traités seront bientôt conclus. Toutefois, quelles ont été les principales difficultés?

M. Anandasangaree : Je pense que le processus prévu dans le projet de loi C-53 a été l’une des difficultés que nous avons rencontrées quand les nations métisses ont choisi cette voie. Je pense que c’est l’une des difficultés qui ont pu retarder le travail.

Élaborer un traité n’est pas facile. C’est une tâche d’envergure. Il faut beaucoup de consultations et une grande mobilisation. En fin de compte, il faut bien faire les choses, et il ne s’agit pas seulement de cocher une case. Il faut s’assurer de bien faire les choses.

Les armoiries du Canada

L’honorable Mary Coyle : Bienvenue, monsieur le ministre. Les armoiries du Canada, qui ont été adoptées par proclamation royale en 1921, sont un important symbole de notre identité nationale. Elles figurent sur les passeports, les édifices gouvernementaux et les documents fédéraux. Nos armoiries, reflet de notre passé colonial, comportent bien entendu des symboles représentant l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande et la France. Les anciens députés Pat Martin et Robert-Falcon Ouellette, et, plus récemment, la députée de Nunavut, Lori Idlout, ont demandé qu’on ajoute des symboles autochtones à nos armoiries afin qu’elles reflètent notre identité diversifiée et constituent un puissant symbole de réconciliation en reconnaissant que les Premières Nations, les Métis et les Inuits font partie intégrante des origines, de l’histoire, du présent et de l’avenir de notre nation. Une telle mise à jour serait inclusive et constituerait une marque de respect.

Monsieur le ministre, vous engagez-vous à porter à l’attention de vos collègues du Cabinet cette question de l’ajout d’éléments autochtones aux armoiries du Canada et à lancer un processus afin que cela devienne réalité?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, sénatrice Coyle. Je profite de l’occasion pour remercier les élèves de l’école publique Thomas L. Wells, dans ma circonscription, qui ont porté ce dossier à mon attention il y a cinq ou six ans, si je ne m’abuse. En fait, ils m’ont présenté divers modèles d’armoiries, que j’ai à mon tour présentés à Son Excellence la gouverneure générale l’an dernier. Cela démontre bien qu’il faut moderniser et réexaminer certaines de nos institutions qui ne sont plus représentatives, et je pense que nos armoiries en font partie.

Je vais me pencher sur cette question, sénatrice. Je ne suis pas certain du processus qu’il faudra adopter, mais je vais certainement examiner la question, et je vous reviendrai peut-être à ce sujet.

Les nominations au Sénat

L’honorable Mary Coyle : Merci. Ma prochaine question porte en fait sur la nomination d’un sénateur du Nunavut. Cela fait presque un an que notre collègue, le sénateur Dennis Patterson, a pris sa retraite. Le territoire, comme vous le savez, compte 84,3 % d’Inuits, et il a besoin d’une représentation appropriée. Nous savons qu’il y a beaucoup de candidats qualifiés. Monsieur le ministre, quand le gouvernement nommera-t-il un sénateur du Nunavut?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, madame la sénatrice. Il s’agit d’une question qui ne relève pas de ma compétence, alors je vais la transmettre au Cabinet du premier ministre.

La santé des Autochtones

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Merci, monsieur le ministre. Votre lettre de mandat précise que vous continuez à diriger et à coordonner le travail requis de tous les ministres pour accélérer la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. L’appel à l’action numéro 18 demande aux gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et autochtones :

[...] de reconnaître que la situation actuelle sur le plan de la santé des Autochtones au Canada est le résultat direct des politiques des précédents gouvernements canadiens [...] et de reconnaître et de mettre en application les droits des Autochtones en matière de soins de santé tels qu’ils sont prévus par le droit international, le droit constitutionnel de même que par les traités.

Depuis, le gouvernement fédéral s’est engagé à soutenir l’autodétermination autochtone en matière de santé, notamment en adoptant une loi sur la santé des Autochtones fondée sur les distinctions. Bien que des renseignements aient été communiqués aux Premières Nations du Manitoba au début de l’année, rien de plus n’a été fait, et le projet de loi est censé être déposé cet hiver.

Monsieur le ministre, où en est la loi sur la santé des Autochtones promise depuis longtemps?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, madame la sénatrice. C’est une question très importante. Je voudrais simplement préciser que cela fait partie du mandat de la ministre Hajdu et que je lui ferai part de vos observations et de vos préoccupations.

(1740)

La sénatrice Osler : L’Assemblée des chefs du Manitoba recommande une transformation de la relation entre le Canada et les Premières Nations du Manitoba en matière de financement, soutenant que le Canada doit éliminer les approches colonialistes et collaborer de nation à nation avec les Premières Nations.

En ce qui concerne l’autodétermination des Autochtones dans le domaine de la santé, le gouvernement fédéral reconnaît que les arrangements et les modèles de financement actuels sont perçus comme étant colonialistes, paternalistes et lourds.

Monsieur le ministre, quand le gouvernement fédéral réimaginera-t-il véritablement les relations en matière de financement étant donné que l’autodétermination financière est considérée comme étant le point de départ incontournable d’une relation renouvelée entre le Canada et les Premières Nations?

M. Anandasangaree : Merci, sénatrice. Je ne peux répondre à l’aspect qui porte sur la santé, mais je vais parler, de manière plus générale, de financement et de la manière dont l’affectation de fonds a évolué.

Premièrement, il s’agit davantage d’un modèle de financement prévisible et à long terme que de financement ponctuel. C’est une mesure que nous avons prise dès le départ, notamment pour financer les organisations autochtones nationales, lesquelles sont essentielles, et apporter du soutien aux composantes régionales de ces organisations. Je crois que ce travail a permis d’éliminer des aspects colonialistes du processus.

Il reste encore beaucoup à faire. Cela dit, il y a une différence entre la manière dont nous pensons et la manière dont nous agissons en ce qui concerne le financement.

La consultation des Autochtones

L’honorable Judy A. White : Bienvenue, monsieur de ministre. Il est bon de vous revoir.

Monsieur le ministre, des témoins nous ont dit à maintes reprises, dans de nombreux comités sénatoriaux, dans le cadre de différents projets de loi et études, que les communautés autochtones ne sont pas consultées de manière significative. Dans certains cas, elles ne sont pas consultées du tout. Le processus de consultation et la manière dont il est mené par les services gouvernementaux suscitent de sérieuses préoccupations.

Selon vous, qu’est-ce qu’une consultation sérieuse devrait impliquer en particulier? Plus important encore, comment le gouvernement du Canada peut-il garantir une consultation sérieuse des communautés autochtones?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, sénatrice White. Je suis heureux de vous revoir. Je vous ai même nommée par votre propre nom cette fois-ci. Tout d’abord, je vous remercie de votre question.

Nous utilisons un certain nombre de termes de manière interchangeable, parfois sans contexte. Le terme « consultation » a une signification bien précise, en particulier à l’ère de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je ne pense pas que la cohérence soit au rendez-vous. On ne définit pas toujours le terme « consultation » de la même manière.

Je reconnais qu’il existe des disparités dans la manière dont les consultations se déroulent. Nous essayons d’avoir une idée plus uniforme de ce à quoi cela ressemble.

D’une manière générale, s’il s’agit des populations autochtones dans l’ensemble, le processus doit être fondé sur les distinctions et les régions. Lorsqu’il s’agit d’une région particulière du pays, les habitants de cette région doivent être consultés. C’est le cas pour tous les projets d’exploitation de ressources qui ont lieu, etc.

Il y a aussi l’aspect de l’élaboration conjointe. Vous avez dû entendre ce terme à maintes occasions. Qu’est-ce qu’il signifie? Eh bien, l’élaboration conjointe dans le contexte du projet de loi C-51 serait différente de l’élaboration conjointe dans un autre contexte, comme celui d’une station de traitement d’eau — comme dans le projet de loi C-61, qui traite de projets conjoints avec de nombreuses Premières Nations de partout au Canada.

Là encore, il est impossible de faire participer tout le monde au processus d’élaboration conjointe.

Le sénateur White : Pouvez-vous expliquer pourquoi c’est si difficile? Votre ministère a-t-il été en mesure de cerner les principaux obstacles à une mise en œuvre efficace?

M. Anandasangaree : Ce que je peux confirmer, c’est que nous nous améliorons. Nous savons de mieux en mieux en quoi consiste l’élaboration conjointe.

Par exemple, lorsque nous avons adopté le projet de loi sur les langues autochtones ou le projet de loi C-92 sur la protection de l’enfance, nous avons vu pour la première fois à quoi ressemblait l’élaboration conjointe. C’était très différent de ce qui se passe aujourd’hui avec certains projets de loi, où l’élaboration conjointe prend beaucoup plus de place, parce que nous nous améliorons et que nous tirons des leçons des fois précédentes.

Nous nous améliorons. Je peux vous assurer que nous sommes attentifs à cette question et que nous sommes toujours conscients des personnes qui sont consultées.

La sécurité et l’entreposage de documents classifiés

L’honorable Salma Ataullahjan : Bonsoir, monsieur le ministre.

Monsieur le ministre, une réponse a récemment été déposée au Sénat à une question écrite qui portait sur le mauvais traitement de documents délicats au sein de votre gouvernement.

La réponse de votre ministère :

Du 1er janvier 2020 à ce jour, 279 documents physiques ont été signalés comme n'étant pas manipulés ou stockés dans l’environnement de bureau d'une manière qui répond aux exigences du niveau de sécurité du document. Parmi ceux-ci, 102 étaient classifiés et 177 étaient protégés.

Monsieur le ministre, il s’agit de l’un des pires résultats de tout le gouvernement. Comment vous assurez-vous que les documents de votre ministère sont traités correctement?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci pour la question, sénatrice.

Nous sommes en train de revoir les processus afin de nous assurer que les documents sont traités d’une manière qui respecte les niveaux de secret et de sécurité leur ont été attribués.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur le ministre, la réponse écrite de votre ministère déposée au Sénat le mois dernier montre également qu’aucune habilitation de sécurité n’a été révoquée à la suite d’une mauvaise manipulation de documents délicats. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

M. Anandasangaree : Sénatrice, je vous reviendrai là-dessus.

La consultation des Autochtones

L’honorable Margo Greenwood : Je vous remercie, monsieur le ministre, de comparaître aujourd’hui devant le Sénat.

Quand un projet de loi du gouvernement qui a des répercussions sur les Premières Nations, les Inuits et les Métis arrive au Sénat pour que nous en débattions et que nous l’examinions, nous nous demandons souvent si le gouvernement s’est acquitté de son obligation de mener des consultations. Ma question ressemble à celle d’une intervenante précédente.

Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans son renvoi sur la réforme du Sénat, le Sénat a la responsabilité sacrée de parler au nom des divers groupes sous-représentés, notamment les Autochtones.

Monsieur le ministre, en tant que parlementaires, quand nous examinons des projets de loi du gouvernement, comment pouvons-nous savoir si le gouvernement s’est acquitté de son obligation de consulter?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Merci, sénatrice, et merci d’avoir parrainé le projet de loi S-16. La nation haïda et le reste des gens l’apprécient beaucoup.

Dans chaque projet de loi qui vous est présenté, la notion de consultation figure dans la plupart des dossiers qui sont examinés par le Cabinet ainsi que la question de savoir si les peuples autochtones sont consultés ou non.

Il est impossible de consulter toutes les parties au sujet de chaque projet de loi qui aura une incidence sur les Autochtones. C’est pratiquement impossible. Il y a au Canada 634 bandes, 29 traités modernes, 4 gouvernements inuits régionaux, un certain nombre d’organismes et de représentants métis — je pourrais continuer à en ajouter — et des organisations féminines particulières et ainsi de suite.

Au bout du compte, il s’agit de connaître le degré de détails, si les décisions ont été fondées sur des distinctions ou s’il y a une composante régionale. Par exemple, si un projet de loi concerne l’Atlantique, les principaux organismes et représentants de la région de l’Atlantique qui sont des détenteurs de droits ont-ils été consultés? Là encore, c’est difficile. Il n’y a pas de formule pour cela.

Ce que je tiens à dire, c’est que lorsqu’il s’agit expressément des peuples autochtones, qu’il s’agisse des langues autochtones...

Son Honneur la Présidente : Merci, monsieur le ministre.

La sénatrice Greenwood : Dans le même ordre d’idées, au cours de la 42e législature, le Parlement a adopté un projet de loi visant à modifier la Loi sur le ministère de la Justice en créant une nouvelle obligation pour le ministre de la Justice de veiller à ce qu’un énoncé concernant la Charte soit déposé au Parlement pour chaque projet de loi du gouvernement. Cette mesure de transparence vise à informer le Parlement des répercussions précises d’un projet de loi relativement à la Charte.

Monsieur le ministre, le gouvernement serait-il favorable à la présentation, pour chaque projet de loi, d’un énoncé concernant l’article 35 semblable à l’énoncé concernant la Charte, qui garantirait aux sénateurs que le gouvernement s’est acquitté de son obligation de consulter?

M. Anandasangaree : J’y ai réfléchi, et je pense que c’est une question sur laquelle le ministre de la Justice doit se prononcer. Je m’entretiendrai avec vous, ainsi qu’avec le ministre de la Justice, afin de voir comment nous pouvons régler cette question.

Je soupçonne que cela fera partie d’une mesure de mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones sur laquelle nous devrons travailler ensemble.

[Français]

L’entente sur le bien-être des enfants

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Monsieur le ministre, je dois vous dire que j’ai été surpris quand les Premières Nations ont rejeté l’entente négociée accordant 47,8 milliards de dollars pour une réforme à long terme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, ce qui représente un accord de 40 000 $ par enfant. Il semble y avoir un désaccord entre les chefs, certains estimant qu’il n’y aura probablement pas d’entente plus généreuse, surtout dans le cas d’un changement de gouvernement.

(1750)

Pouvez-vous nous dire quelles seront les prochaines étapes dans ce dossier?

L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Je vous remercie, sénateur Dagenais, de la question.

[Traduction]

Encore une fois, cette question est chapeautée par la ministre Hajdu, mais je peux vous assurer que tous les partis ont mis la main à la pâte pour en arriver à une conclusion. Au bout du compte, il s’agit de veiller à ce que les enfants restent dans leur communauté. Le gouvernement continuera de faire le travail afin de déterminer si nous pouvons trouver une solution à ce problème.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Savez-vous réellement ce que demandent les Premières Nations? Combien demandent-elles et jusqu’où votre gouvernement est-il prêt à ajouter des fonds au-delà de la somme de 47 milliards de dollars qui a été proposée?

[Traduction]

M. Anandasangaree : Monsieur le sénateur, je ne veux pas tenir compte de l’aspect financier de cette conversation, mais plutôt parler de ce que, à mon avis, nous devons faire en tant que pays. On ne rappellera jamais assez les échecs du système de protection de l’enfance à l’égard des enfants autochtones. Il s’agit des pensionnats autochtones de notre époque. L’an dernier, lors de l’Assemblée extraordinaire des Chefs de l’Assemblée des Premières Nations, la cheffe nationale a déclaré qu’il s’agissait du taux le plus élevé d’enfants autochtones pris en charge de l’histoire du Canada, et je pense que cela donne à réfléchir. Il y a urgence. C’est un problème que nous devons régler. Nous essayons tous d’y arriver, et j’espère sincèrement que nous trouverons la bonne solution.

[Français]

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le temps alloué pour la période des questions est écoulé.

[Traduction]

Je suis certain que vous vous joindrez à moi pour remercier le ministre Anandasangaree d’être venu aujourd’hui.

Des voix : Bravo!


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale

Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Manning, appuyée par l’honorable sénatrice Seidman, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-249, Loi concernant une action nationale pour la prévention de la violence entre partenaires intimes, tel que modifié.

L’honorable Fabian Manning : Il y a quelques instants, j’ai évoqué le fait que nous ne pouvons jamais oublier que 1 181 femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées entre 1980 et 2012. La moitié des victimes autochtones de violence conjugale ont déclaré avoir subi l’une des formes les plus graves de violence conjugale, comme avoir été agressées sexuellement, battues, étouffées ou menacées avec une arme à feu ou un couteau. En comparaison, seulement le quart, ou 23 %, des victimes non autochtones de violence conjugale ont déclaré avoir subi ces formes de violence.

Je crois que je m’en voudrais de ne pas profiter de l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui pour parler de la campagne Moose Hide et d’en faire la promotion. Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas cette campagne, l’inspiration est venue à ses cofondateurs, Paul Lacerte et sa fille Raven, en 2011, lors d’une chasse à l’orignal sur leur territoire traditionnel, qui borde la route des pleurs, en Colombie-Britannique — un lieu où beaucoup de femmes ont disparu ou ont été assassinées.

La campagne Moose Hide est un mouvement populaire d’hommes et de garçons autochtones et non autochtones qui se dressent contre la violence à l’égard des femmes et des enfants. En portant l’épinglette en peau d’orignal, comme je le fais aujourd’hui, on s’engage à honorer, à respecter et à protéger les femmes et les enfants qui font partie de sa vie, ainsi qu’à dénoncer la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes.

Depuis le début de la campagne, plus de 5 millions d’épinglettes en peau d’orignal ont été distribuées partout au Canada, ce qui a suscité de nombreuses conversations sur la façon de mettre fin à la violence envers les femmes et les enfants. Je vous encourage tous à soutenir la campagne et à prendre fermement position contre la violence.

Autre statistique troublante, 60 % des femmes handicapées ont subi une forme de violence. Étant donné que seulement environ 10 % des agressions sont déclarées, leur nombre réel est beaucoup plus élevé. Près des deux tiers — soit 63 % — des victimes de violence conjugale ont déclaré avoir subi de la violence plus d’une fois avant de faire appel à la police. Près de 3 personnes sur 10 — soit 28 % — ont déclaré avoir subi de la violence plus de 10 fois avant d’appeler la police.

Le coût total de la violence entre partenaires intimes au Canada est estimé à 7,4 milliards de dollars par année, ce qui représente 220 $ par habitant. Ce sont surtout les premières victimes qui en subissent les conséquences économiques directes. Sur le coût total estimé, un coût de 6 milliards de dollars est assumé par les victimes de violence conjugale, notamment pour les soins médicaux, les hospitalisations, les pertes de salaire, les jours d’école manqués et les biens volés ou endommagés. Le système de justice assume 7,3 % du coût économique total, soit 545 millions de dollars.

La violence familiale touche tous les Canadiens, mais il y a presque quatre fois plus de femmes que d’hommes qui signalent un cas de violence entre partenaires intimes à la police. De plus, les femmes sont presque trois fois plus susceptibles que les hommes d’être tuées par leur ancien conjoint ou leur conjoint actuel. Près de la moitié des femmes — c’est-à-dire 48 % — ont déclaré que la violence conjugale après la séparation les faisait craindre pour leur vie.

De nombreux documents sur les décès attribuables à la violence entre partenaires intimes — des études, des enquêtes et des rapports de coroner — concluent que le manque de coordination entre les spécialistes du droit de la famille, les services de protection de l’enfance et le système de justice criminelle constitue l’un des facteurs à l’origine des tragiques homicides commis par un membre de la famille.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, que ce soit dans le cadre du débat sur mon projet de loi ou de l’interpellation sur la violence entre partenaires intimes lancée par la sénatrice Boniface, j’ai écouté avec attention et j’ai beaucoup appris. Je vous suis très reconnaissant à tous pour votre soutien continu.

L’un des discours qui m’a le plus interpellé est celui prononcé par mon ami le sénateur Brent Cotter le 21 mai dernier. C’était le jour de mon soixantième anniversaire, et je considère donc le discours qu’il a prononcé ce jour-là comme un cadeau inattendu. J’ai pris la liberté de reprendre certaines des observations du sénateur Cotter aujourd’hui, car je pense sincèrement qu’elles valent la peine d’être répétées, encore et encore. Je suis certain que le sénateur Cotter ne m’en voudra pas de le faire.

La grande majorité des victimes de violence entre partenaires intimes sont des femmes et la grande majorité des agresseurs sont des hommes. Les services aux victimes sont souvent insuffisants, éloignés et inaccessibles, et la protection de la vie privée est une préoccupation dans les petites collectivités rurales. Malgré le travail important des défenseurs des droits partout au Canada, il y a un manque flagrant de refuges sûrs, de moyens de transport et de services offerts en temps utile.

Le sénateur Cotter a parlé de son expérience personnelle quand il était jeune avocat à Saskatoon et qu’il représentait une femme qui demandait un divorce non contesté. La cause du divorce était la cruauté physique. Quand la femme a dit à celui qui était alors son époux qu’elle avait l’intention de déménager, il lui a assené un coup de poing au visage et l’a fait tomber à la renverse. Au moment de résumer l’affaire, le juge a demandé au sénateur Cotter quelles étaient les preuves de la cruauté physique pour justifier le divorce. Quand le sénateur Cotter a mentionné le coup de poing qui avait fait tomber la femme à la renverse, le juge a répondu : « Il ne s’agit pas de cruauté physique. C’est ce qu’elle méritait. »

Entendre cette histoire a été très perturbant.

Jusqu’en 1983, le Code criminel du Canada définissait le viol de la façon suivante : Un homme commet un viol lorsqu’il a des relations sexuelles avec une personne de sexe féminin qui n’est pas son épouse, sans son consentement.

Cela a été la loi au Canada de 1892 à 1983. C’était il n’y a pas si longtemps, chers collègues. Il ne s’agissait pas seulement d’une culture, mais d’une sanction légale, presque d’une invitation à agresser sexuellement son épouse.

Je suis entièrement d’accord avec le sénateur Cotter pour dire qu’il n’est pas surprenant que la culture de tolérance de la violence entre partenaires intimes perdure aujourd’hui et qu’un moyen essentiel de changer cette culture est l’éducation. Nous avons besoin de modules d’enseignement abordant les questions de la violence entre partenaires intimes de la maternelle au secondaire.

Hier soir, j’ai été ravi d’entendre Sarah Walters, une jeune fille de 16 ans de Trenton, en Ontario, me dire que l’un des cours qu’elle suit à l’école lui apprend, ainsi qu’à ses camarades de classe, à entretenir des relations saines. J’ai été très heureux de l’entendre.

En gardant cela à l’esprit, nous devons tous travailler ensemble pour nous éduquer et éduquer les autres. Nous devons devenir plus proactifs. Comme le dit le réseau RESOLVE :

[...] Depuis trop longtemps, les efforts nécessaires pour protéger et soutenir les femmes et leurs enfants sont un fardeau porté par les travailleurs des refuges, les défenseurs des droits des femmes, et même les femmes elles-mêmes.

(1800)

La Commission des pertes massives, en Nouvelle-Écosse, a bien entendu ce message. Voici ce qu’elle dit :

Nous reconnaissons l’impérieuse nécessité que davantage d’hommes et de garçons participent activement aux efforts de prévention de la violence fondée sur le sexe et aux réponses à y apporter. Pour comble, ce sont les femmes, en particulier les survivantes de la violence fondée sur le sexe, qui sont également contraintes d’œuvrer sans répit à ce changement. Il est temps que plus d’hommes participent à la solution [...] « Depuis des décennies, sinon des centaines d’années, l’essentiel de la responsabilité de ce travail repose sur les épaules des femmes. Nous avons besoin que les hommes s’engagent [...] »

Beaucoup de sénateurs et de Canadiens m’ont dit qu’ils étaient heureux que je sois, en tant qu’homme, le fer de lance du projet de loi. J’en suis vraiment honoré. Pendant que vous envisagez d’appuyer le projet de loi, je vous demande de garder à l’esprit les faits suivants. Croyez-moi, je pourrais continuer pendant encore une heure à vous présenter des statistiques et des faits, mais je n’en évoquerai que quelques-uns ici ce soir. Tous les six jours, une femme est tuée au Canada par son partenaire intime. Le moment où une femme risque le plus d’être victime de violence est celui où elle tente de quitter la relation. Le système de soutien, le système judiciaire et les mesures législatives actuelles sont inadéquats pour lutter contre l’épidémie de violence entre partenaires intimes qui sévit actuellement au Canada. En outre, selon l’Organisation mondiale de la santé, à l’échelle mondiale, une femme est tuée par son partenaire intime toutes les 10 minutes, donc, à cette heure-ci demain, le monde aura perdu 144 autres femmes à cause de la violence entre partenaires intimes.

Aujourd’hui, c’est notre appel à l’action. Le temps est venu d’agir.

La violence entre partenaires intimes peut se produire dans les espaces publics et privés, ainsi qu’en ligne et de bien d’autres manières. Cependant, toutes ces formes de violence ont un point en commun : il s’agit d’une personne qui cherche à en dominer une autre. La violence entre partenaires intimes est une question de domination.

Dans cette optique, et au nom des victimes et de leurs familles, je vous demande respectueusement d’appuyer le projet de loi S-249.

Au cours des délibérations du comité, nous avons accepté certains amendements. J’aimerais en aborder quelques-uns avant de terminer.

L’un des amendements que nous avons acceptés portait sur les mesures à prendre pour prévenir la violence entre partenaires intimes, et pas nécessairement sur l’élaboration d’un double officiel d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence entre partenaires intimes.

Nous avons également proposé un amendement qui met l’accent sur les mesures visant à prévenir la violence entre partenaires intimes. Ce changement a mis en évidence la nécessité d’être en constante communication avec les partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux tout en harmonisant ce travail avec les mécanismes de consultation existants qui sont déjà en place pour fournir des conseils et des directives sur la mise en œuvre continue du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Il est essentiel que toute la gamme des partenaires soit prise en compte, et pas seulement ceux qui étaient énumérés dans le projet de loi auparavant.

Donc, l’ancien libellé était un peu restrictif et ne reconnaissait pas d’autres partenariats clés qui peuvent aider à prévenir la violence entre partenaires intimes. L’amendement élargira la portée des partenariats au-delà de ceux qui sont actuellement énumérés, y compris les moyens d’entendre les professionnels de la santé qui soutiennent les victimes de violence entre partenaires intimes dans les milieux où sont dispensés des soins de santé. Cet amendement reconnaîtra également que les discussions avec ces professionnels se poursuivent dans le cadre de la mise en œuvre continue du plan d’action national.

Selon un des amendements que nous avons présentés, un rapport sur l’avancement de la lutte contre la violence entre partenaires intimes au pays devra être présenté à la fois à la Chambre des communes et au Sénat dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur de la loi et tous les deux ans par la suite. Au moins, le gouvernement devra rendre compte de ses progrès.

Lorsque j’ai présenté la version initiale de ce projet de loi, en avril 2018, j’avais choisi de commencer mon discours avec une citation, la même citation avec laquelle je vais terminer mon discours ce soir. Premièrement, je tiens à vous remercier tous de m’avoir écouté et d’appuyer le projet de loi S-249. Je souhaite aussi remercier une fois de plus Georgina McGrath, qui est à notre tribune ce soir. Enfin, je terminerai mes observations avec ces paroles de Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies :

La violence contre les femmes est sans doute la violation la plus honteuse des droits de l’homme et peut-être la plus répandue. Elle ne connaît pas de frontières géographiques, culturelles ou sociales. Tant qu’elle durera, nous ne pourrons prétendre à des progrès pour atteindre l’égalité, le développement et la paix.

Honorables sénateurs, le moment est venu d’agir.

L’honorable Salma Ataullahjan : Sénateur Manning, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Manning : Bien sûr.

La sénatrice Ataullahjan : Sénateur Manning, je sais que vous êtes allé rencontrer des gens dans la région du Grand Toronto. Vous savez donc que, dans certaines communautés, la violence entre partenaires intimes fait encore l’objet de préjugés et que les gens ne sont pas prêts à en parler. On a tendance à hésiter. Je sais que, dans ma famille élargie, il y a des personnes qui ne voulaient pas en parler et qui ne voulaient pas chercher de l’aide.

Pensez-vous que nous devrions adopter le projet de loi sans tarder dans l’espoir qu’il encouragera les personnes qui hésitent à signaler cette forme de violence à se manifester et à demander de l’aide?

Je tiens également à saluer la force dont Georgina a dû faire preuve pour raconter son histoire.

Le sénateur Manning : Sénatrice Ataullahjan, merci pour le soutien que vous avez apporté à ce projet de loi depuis le début.

Ce n’est pas seulement dans les collectivités dont vous avez parlé; dans tout le pays, il y a une stigmatisation. Les gens ont peur de se manifester pour toutes sortes de raisons que ce soit : gêne, peur, facteur de contrôle, etc.

Comme je l’ai dit dans mes observations, je ne pense pas que mon projet de loi résoudra tous les problèmes liés à la violence entre partenaires intimes, mais je crois que plus nous en discuterons, plus nous en débattrons et plus nous proposerons d’autres mesures législatives, plus nous lèverons le voile sur la violence entre partenaires intimes et nous créerons un espace où les gens se sentiront à l’aise d’en parler et de se manifester.

Sénatrice Ataullahjan, cela permettra de faire savoir aux gens qu’il existe de l’aide. Il y a des refuges, même si beaucoup d’entre eux sont pleins à craquer. Il y a le 911 en cas de problèmes immédiats. Il existe des mécanismes de soutien.

Certes, nous devons les améliorer et les développer, mais je pense que grâce à ce projet de loi et à d’autres mesures législatives, les nombreuses choses qui étaient stigmatisées il y a 20, 30, 40 et 50 ans et dont nous ne parlions pas sont aujourd’hui plus faciles à aborder. Je pense que mon projet de loi fait partie de ce processus et j’espère qu’au bout du compte, les gens se sentiront plus à l’aise pour en parler et demander l’aide dont tant de personnes ont besoin.

L’honorable Iris G. Petten : Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui, à titre d’agente de liaison du gouvernement au Sénat, au sujet du projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.

Je tiens d’abord à remercier le sénateur Manning d’avoir présenté un texte législatif aussi important. Il ne s’agit pas seulement d’une question de politique, mais aussi d’un impératif moral et d’un appel à l’action pour protéger les droits, la dignité et la sécurité des Canadiens de tout le pays qui sont touchés par la violence d’un partenaire intime.

Au Canada, un pourcentage alarmant de 44 % des femmes ayant eu une relation intime, soit environ 6,2 millions de femmes, ont subi une forme ou une autre de violence psychologique, physique ou sexuelle de la part de leur partenaire. Ce chiffre est encore plus élevé pour les femmes autochtones, les femmes LGBTQ2+ et les femmes handicapées. Ces statistiques sont stupéfiantes.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, au nom du Groupe de travail interinstitutions des Nations unies sur les estimations et les données relatives à la violence à l’égard des femmes, la violence exercée par un mari ou un partenaire intime masculin est la forme la plus répandue de violence à l’égard des femmes. Dans le monde, 852 millions de femmes âgées de 15 ans et plus auraient subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire intime ou des violences sexuelles exercées par une personne autre que leur partenaire, ou les deux.

(1810)

Le groupe de travail a affirmé que la lutte contre la violence faite aux femmes requiert une action concertée, du financement et des investissements.

Plus tôt cette année, j’ai participé à une table ronde d’une journée à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador, sur la violence entre partenaires intimes, où j’ai pu écouter et apprendre. Ce fut une expérience très précieuse qui a contribué à éclairer ma participation subséquente au Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie, où l’on débattait du projet de loi S-249.

J’aimerais prendre un moment pour parler de la réunion du Comité des affaires sociales, car c’est là que nous avons entendu Georgina McGrath, une femme dont l’histoire, et le courage de la raconter, sont à l’origine de la création de ce projet de loi. Georgina est venue pour parler de son expérience à titre de survivante de la violence conjugale.

Sachez que certains des détails peuvent être pénibles pour certains auditeurs. Je veux utiliser les mots de Georgina autant que possible, car, comme elle l’a dit elle-même, elle parle au nom de milliers de femmes qui sont derrière elle et qui ne peuvent pas parler elles-mêmes.

Elle a déclaré :

Lorsque je parle, je me fonde sur mon expérience.

J’ai 54 ans. J’ai grandi à Labrador City, à Terre-Neuve-et-Labrador. Je suis la mère de deux magnifiques enfants [...] Je suis la grand-mère de notre précieux petit Thomas [...] Je suis une fille, une sœur, une belle-mère, une tante et une amie. Aujourd’hui, je suis la fière épouse de l’un des hommes les plus gentils, les plus doux et les plus compréhensifs que l’on puisse avoir le plaisir de connaître. [...] Nous vivons [...] dans la baie Sainte-Marie, à Terre-Neuve-et-Labrador, dans une maison dotée d’une petite ferme devant l’océan Atlantique. Aujourd’hui, je suis en sécurité.

Elle a poursuivi :

En 2012, je ne voulais pas d’une autre relation amoureuse. Je recherchais une amitié platonique. C’est à cette époque que j’ai rencontré le plus grand manipulateur de ma vie. Il était venu d’Irlande pour s’installer à Labrador City. [...] Je lui ai donné un emploi. Nous étions des amis au début. Il me traitait plutôt bien. Même s’il était plus jeune, je le trouvais intrigant et divertissant. Il a tissé des liens avec mes enfants, surtout avec mon fils. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, et nous sommes devenus plus que des amis. J’avais comme éthique professionnelle de ne pas fréquenter mes employés. Non seulement je bafouais mes principes, mais je ne voyais pas les signaux d’alarme. Les signaux étaient là, mais je me laissais aveugler encore une fois. Je mettais toutes mes insécurités de côté avec l’idée de passer le reste de ma vie avec cette personne. Le premier signe que je n’ai pas vu était l’argent. Ce n’était pas de l’exploitation financière de sa part, mais il profitait de chaque sou que j’avais, et je l’ai laissé faire.

Environ un an plus tard, en septembre 2013, nous sommes allés à Las Vegas. Le premier soir, j’ai reçu mon premier coup de poing, mais cette fois-là, je me suis défendue. À l’intérieur de moi reprenait le sempiternel cycle qui permettait à quelqu’un d’autre de prendre le contrôle.

Le témoignage complet de Georgina est, bien sûr, accessible sur le site Web du Sénat, et j’encourage tous mes collègues à le regarder.

Je lui ai demandé quel soutien ou quelles ressources elle avait obtenus ou elle aurait souhaité obtenir. Elle m’a répondu ceci :

Je tiens à vous dire que je n’ai pas réuni la force de me présenter devant vous aujourd’hui en un claquement de doigts. J’ai recouru à de multiples séances de counseling [...]

Les ressources que j’aurais aimé obtenir... J’ai vraiment senti que le poste de police local m’avait laissée tomber. Je pensais jusque-là que la politique de tolérance zéro s’appliquait à la grandeur du pays. Elle ne s’appliquait manifestement pas à moi à Labrador City à cette époque.

Comme l’a dit le sénateur Manning mardi dernier, le comité a modifié le titre abrégé du projet de loi S-249, qui passe de « Loi sur la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale » à « Loi de Georgina ». J’applaudis ce changement, tout comme je salue le courage de Georgina qui a témoigné devant le Comité des affaires sociales pour raconter ce qu’elle a vécu.

Comme l’a dit le sénateur Manning, l’adoption de ce projet de loi serait un pas dans la bonne direction. Le gouvernement fédéral a mis en place le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Ce plan décennal est assorti d’une enveloppe de 525 millions de dollars pour appuyer les provinces et les territoires dans la lutte contre ce grave problème. Des ententes ont été conclues avec chaque province et chaque territoire pour les aider à s’attaquer aux défis et aux priorités qui leur sont propres, en fonction de cinq grands domaines du plan d’action national. Ce projet de loi vise à inscrire le plan d’action dans la loi.

Notre collègue la sénatrice Dasko a fait une déclaration l’année dernière sur le signal d’aide créé par la Fondation canadienne des femmes, qui mérite d’être répété, car c’est une façon dont nous pouvons tous soutenir les femmes en détresse. Paume vers le haut, pouce à l’intérieur et doigts repliés.

La Fondation canadienne des femmes propose également un mini-cours gratuit sur le signal d’aide, qui permet d’apprendre les bases du soutien à apporter à une personne victime de maltraitance. Un cadre national soutiendrait des efforts tels que ceux entrepris par des organisations et des particuliers en veillant à ce qu’une feuille de route pour le changement et une vision collective pour lutter contre la violence des partenaires intimes soient comprises et partagées par tous.

Je vous ai fait part tout à l’heure de statistiques affligeantes qui reflètent une dure réalité. Il est important de se rappeler que les crimes tels que la violence entre partenaires intimes ne sont souvent pas signalés, de sorte que ces chiffres ne donnent qu’un aperçu de ce qui se passe réellement. Ils ne représentent probablement qu’une fraction d’une expérience plus large et souvent cachée.

Pourquoi faut-il un cadre national sur la violence entre partenaires intimes? La réponse est simple : c’est parce que les solutions fragmentées ne suffisent pas. Dans le cadre du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre du gouvernement, toutes les provinces et tous les territoires doivent rendre compte chaque année des progrès accomplis dans la lutte contre la violence fondée sur le sexe. Ce plan prévoit une réponse cohérente à la violence fondée sur le sexe qui s’appuie sur cinq principes clés : premièrement, le soutien aux personnes survivantes et à leur famille; deuxièmement, la prévention; troisièmement, la réactivité du système juridique et judiciaire aux besoins; quatrièmement, le soutien des approches et des réponses dirigées et informées par les Autochtones; et cinquièmement, une infrastructure sociale et un environnement propice.

Le projet de loi S-249 signale à tous les survivants que, peu importe le gouvernement en place, il y aura un plan pour lutter contre la violence entre partenaires intimes, et un rapport d’étape devra être présenté à la Chambre des communes tous les deux ans pour montrer les mesures prises par le gouvernement pour s’attaquer à ce problème. Désormais, le gouvernement sera toujours tenu de rendre compte de la priorité qu’il accorde à ce problème.

En outre, une stratégie nationale nous permettrait de commencer à nous attaquer aux causes profondes de la violence familiale. Nous ne pouvons pas nous contenter de traiter les symptômes; nous devons nous attaquer aux problèmes sous-jacents. Chers collègues, la violence entre partenaires intimes a longtemps été considérée comme une affaire privée entre couples, quelque chose qui a lieu derrière des portes closes et qui passe souvent inaperçu, mais il incombe à chacun d’entre nous de s’attaquer à la perpétuation de ce crime violent.

Avec les récentes tendances inquiétantes sur les médias sociaux qui ciblent les femmes et qui les menacent de violence, nous devons prendre position et dire que notre pays n’acceptera pas ce genre de comportement, peu importe de qui il s’agit et où cela se produit.

Je souhaite citer Georgina une dernière fois pour conclure mon intervention. Elle a dit :

Sénateurs [...] Je vous implore d’adopter rapidement le projet de loi. Il y a beaucoup à faire. Le tout repose sur vos épaules. N’oubliez pas que vous êtes les seules personnes au pays qui peuvent donner aux milliers de femmes qui se tiennent derrière moi et qui ne peuvent pas parler une chance de vivre et une chance de survivre.

(1820)

Je vous prie de vous joindre à moi et de voter pour le projet de loi S-249 à l’étape de la troisième lecture. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Wanda Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-249, Loi concernant une action nationale pour la prévention de la violence entre partenaires intimes, aussi connue sous le nom de Loi de Georgina.

Georgina, je tiens à vous remercier, vous et votre famille, d’être ici. Je me souviens très bien de votre discours, et notre collègue vient d’en souligner certains messages clés.

Sénateur Manning, merci de défendre une cause aussi importante.

Chers collègues, je participe demain à une table ronde dans le cadre des 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le genre. Le thème de cette année, comme vous l’avez entendu, est « S’unir pour agir ». En préparant cette table ronde, j’ai réfléchi au projet de loi du sénateur Manning sur la violence entre partenaires intimes. La table ronde à laquelle je participe s’intitule « Beyond the Silence: Black Women’s Leadership in Addressing Gender-based Violence ».

J’ai trouvé très difficile d’écouter les témoignages livrés dans le cadre de l’étude du projet de loi par notre Comité des affaires sociales. En fait, cela a déclenché quelque chose en moi, et c’est pourquoi j’ai hésité à m’exprimer sur ce projet de loi, mais après avoir exploré la question et y avoir réfléchi, je me suis rendu compte que j’avais des raisons à la fois personnelles et professionnelles de me sentir ainsi. J’ai donc décidé de prendre la parole sur le projet de loi S-249 afin d’ajouter ma voix aux débats et d’amplifier la voix des femmes noires canadiennes. J’ai décidé de mettre l’accent sur les deux perspectives, ajoutant ainsi à notre étude collective de ce projet de loi.

Je commencerai par parler de mon expérience personnelle : je connais les répercussions qu’a la violence dont on est témoin dans l’enfance. J’ai grandi dans un foyer où ma mère était une survivante de la violence entre partenaires intimes. Mon père est mort dans un tragique accident de voiture quand j’avais 12 ans et, pendant des années, j’ai eu du mal à me remémorer quoi que ce soit de positif à son sujet, parce que le souvenir de la violence a laissé des cicatrices extrêmement profondes. Je les sens encore maintenant.

Les effets de telles cicatrices peuvent être un poids lourd à porter, un poids que l’on porte tout le reste de sa vie. Ce poids lourd à porter peut nourrir une douleur durable, un traumatisme, une colère, une amertume, peut-être même une rage. J’ai ressenti tout cela. Cependant, il peut aussi alimenter une volonté farouche de rendre le monde plus sûr pour les femmes. Personnellement, j’ai trouvé un moyen d’utiliser l’expérience de ma famille pour alimenter ma volonté farouche et mon engagement profond à briser le silence qui entoure la violence dans les familles et les communautés.

Rendez-vous compte, chers collègues, plus de 60 ans plus tard, le sujet ravive toujours des traumatismes en moi. Au bout du compte, cependant, c’est ce qui m’a poussé à prendre la défense des personnes qui ne sont pas capables de raconter leurs expériences liées à la violence entre partenaires intimes. Je suis ici pour défendre les droits de ces femmes et de ces familles. Comme le sénateur Manning l’a rappelé il y a quelques minutes, les enfants sont aussi les victimes silencieuses de la violence entre partenaires intimes.

Cela m’amène à parler de mon parcours professionnel et du travail professionnel que j’ai effectué dans ce domaine. En tant que travailleuse sociale dans le domaine de la santé mentale, conseillère itinérante qui se déplaçait dans le comté d’Halifax, professeure en travail social et praticienne dans un cabinet privé, j’ai travaillé avec des centaines de femmes ayant survécu à la violence d’un partenaire intime, des femmes qui ont parlé de la violence qu’elles ont subie, et des femmes qui n’ont pas été en mesure de parler de leur réalité. J’ai également travaillé avec quelques hommes victimes de violence d’un partenaire intime.

L’une des choses que j’aime de ce projet de loi est le fait qu’il met l’accent sur la prévention par l’éducation. Dans les années 1980, alors que j’étais jeune travailleuse sociale, j’ai rencontré le ministre de l’Éducation de la Nouvelle-Écosse de l’époque, l’honorable Tom McInnis, aujourd’hui sénateur à la retraite, pour lui proposer d’introduire dans le système scolaire public de la Nouvelle-Écosse un programme d’éducation sur les relations saines. C’était au début des années 1980. Malheureusement, la proposition n’a pas été acceptée, mais je pense qu’il y a un désir accru à ce chapitre maintenant. On est davantage conscient de la nécessité de commencer l’éducation tôt, comme l’a répété le sénateur Manning dans son discours. Je pense que l’éducation sur les relations saines et les conséquences de la misogynie et du sexisme est une mesure préventive essentielle.

Si le langage et la terminologie ont changé au cours des quarante dernières années pendant lesquelles j’ai travaillé dans ce domaine, l’impact, lui, est resté le même. Je m’intéresse en particulier à la façon de briser le silence autour de la violence dans les communautés afro-néo-écossaises. C’est à cela que j’ai consacré une grande partie de mon temps. J’ai été responsable de la l’Association of Black Social Workers en Nouvelle-Écosse au cours des 45 dernières années et l’association a organisé des conférences, des ateliers, des séminaires et des programmes éducatifs s’adressant aux jeunes filles, aux femmes, aux personnes âgées et même aux hommes et aux garçons afin de sensibiliser les communautés à la nécessité de mettre un terme à la violence fondée sur le sexe et à la violence entre partenaires intimes. Nous nous sommes également engagés dans des programmes d’éducation des jeunes afin de mettre davantage l’accent sur la prévention.

Pourtant, chers collègues, la violence continue. Parfois, l’impact du travail sur le terrain peut sembler minime au regard des taux élevés de violence entre partenaires intimes au Canada en général et dans les communautés noires en particulier.

Selon un rapport de Statistique Canada publié en 2021, 42 % des femmes noires ont déclaré avoir subi de la violence de la part d’un partenaire intime ou de la violence familiale. Pourtant, des recherches menées par des collègues de l’Université Dalhousie nous apprennent que beaucoup de ces femmes souffrent en silence. J’ai participé à un projet de recherche intitulé « Culturally Responsive Healthcare to Address Gender-Based Violence Within African Nova Scotian Communities ». Ce projet, qui était dirigé par Mme Nancy Ross, a examiné les expériences de violence vécues par des femmes noires pendant la pandémie de COVID-19. Nous avons appris que la majorité des femmes interrogées étaient plus préoccupées par la violence liée au racisme qu’elles subissaient que par la violence de leur partenaire intime. Elles craignaient de parler de la violence de leur partenaire intime parce que le système de santé, les services sociaux et la police n’offraient pas de services adaptés à la culture.

Un fort préjugé lié à la violence dans les familles et les communautés noires persiste, et nous nous sommes efforcés de trouver des moyens de briser ce préjugé et de rompre le silence. Comme je l’ai dit tout à l’heure, quand on a été victime ou témoin de violence conjugale, il peut être traumatisant d’en parler. Il ne devrait pas incomber aux survivantes de décrire leur expérience pour que les choses changent.

J’appuie le projet de loi et j’espère qu’il sera soutenu par nos collègues de l’autre endroit, car l’épidémie nationale actuelle nécessite une approche systémique. Alors que la ministre s’engage avec un large éventail de partenaires à mener une action nationale, je l’encourage à accorder une attention particulière à une approche intersectionnelle de la violence entre partenaires intimes, en particulier l’inclusion des femmes et des communautés noires, afin de reconnaître le silence historique lié à la violence entre partenaires intimes dans ces communautés particulières, où l’on fait face à plus de préjugés et craint vraiment de se manifester.

En conclusion, chers collègues, je vous encourage à appuyer le projet de loi S-249 pour qu’un changement plus important s’opère concernant le problème omniprésent de la violence entre partenaires intimes au Canada. Il est temps de « s’unir pour agir ». Asante.

(1830)

[Français]

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, au lendemain de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-249, Loi concernant une action nationale pour la prévention de la violence entre partenaires intimes. Je remercie le sénateur Manning d’avoir présenté ce projet de loi si important et je tiens à reconnaître que je m’adresse à vous à partir du territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

La violence entre partenaires intimes a atteint des proportions absolument inacceptables au Canada, c’est un fait. Qu’elle soit psychologique, verbale, économique, physique ou sexuelle, la violence conjugale est dramatiquement trop présente dans notre société et elle exige que l’on prenne des actions urgentes et concrètes.

Saviez-vous, chers collègues, qu’une femme meurt toutes les 10 minutes dans le monde à cause de la violence conjugale? Selon Statistique Canada, entre 2014 et 2019, 3,5 % des Canadiens qui avaient un conjoint ou un partenaire en union libre ont déclaré avoir été victimes de violence conjugale, et cette forme de violence touche plus particulièrement les femmes. En 2019, 4,2 % des femmes au pays ont rapporté avoir subi ce type de violence, contre 2,7 % des hommes. Entre 2014 et 2019, 80 % des 500 Canadiens tués par leur partenaire intime étaient des femmes.

[Traduction]

Dès l’adolescence, les femmes sont plus susceptibles de subir des formes graves de violence de la part de leur partenaire intime, notamment des agressions sexuelles, des menaces et des actes dirigés contre leurs proches. Elles sont également beaucoup plus susceptibles de perdre la vie dans des féminicides liés à la violence familiale. Comme le sénateur Manning l’a mentionné dans son discours sur le rapport du comité, depuis qu’il a présenté pour la première fois le projet de loi au Sénat en avril 2018, plus de 1 000 femmes ont été tuées par leur partenaire intime au Canada.

[Français]

Afin de s’attaquer à cette réalité plus que troublante, le projet de loi S-249 dans sa nouvelle mouture, après l’étude en comité, prévoit que le ministre, et je cite, « continue à mener une action nationale visant à prévenir et à contrer la violence entre partenaires intimes ». Pour ce faire :

[...] il s’entretient, d’une part, avec les autres ministres fédéraux et les ministres provinciaux responsables de la condition féminine sur une base annuelle et, d’autre part, avec des partenaires autochtones, des victimes, des survivants, et des parties prenantes sur une base régulière;

Il est précisé dans le projet de loi que les discussions entre le ministre et les parties prenantes devront porter sur ce qui suit :

[...] le caractère adéquat des stratégies et des programmes actuels visant à prévenir la violence conjugale ainsi qu’à protéger et à aider les victimes de violence conjugale;

[Traduction]

Cependant, chers collègues, sans minimiser l’horreur de la violence perpétrée contre les femmes — je souligne que ma propre mère a été victime de la violence d’un partenaire intime et que je suis très honoré de parler de ce projet de loi en présence de Mme Georgina McGrath —, nous devons admettre que les stratégies et les programmes actuels ne sont pas toujours adéquats, car ils présentent plusieurs lacunes importantes, notamment en ce qui concerne la violence des partenaires intimes contre les hommes, la violence entre partenaires de même sexe et l’impact de la violence familiale sur les enfants.

[Français]

En effet, bien que les femmes soient les plus touchées par les formes les plus graves de cette violence, ce qu’il faut déplorer et dénoncer avec force, les hommes, qu’ils soient en couple dans des relations hétérosexuelles ou homosexuelles, en sont malheureusement victimes également. Cette réalité est fréquemment ignorée, mais les statistiques montrent que 2,7 % des hommes, soit environ 280 000 hommes au Canada, ont subi de la violence conjugale entre 2014 et 2019. Selon certaines études, les hommes représentent même jusqu’à un tiers des victimes de violence entre partenaires intimes.

Entre 1999 et 2019, les données de Statistique Canada indiquaient que 5,92 % des femmes et 5,12 % des hommes avaient été victimes de violence conjugale. Bien que les femmes soient sept fois plus susceptibles d’être assassinées par leur partenaire, les hommes ne sont pas absents de ces sinistres statistiques. En 2021, près du quart des 90 homicides conjugaux concernaient des hommes.

[Traduction]

Pendant l’étude du comité sénatorial, nous avons entendu des témoignages poignants relatant les expériences de certains hommes qui ont été victimes de violence de la part de leur partenaire intime et qui ont subi de graves conséquences physiques et psychologiques, telles qu’une perte partielle de la vue, un traumatisme crânien, des tentatives de suicide et une dépendance à des substances pour faire face à leurs souffrances.

Le 7 novembre, le National Post a publié un article sur le monde caché des hommes victimes de violence conjugale. Matt, une victime, y raconte les violences physiques qu’il a subies. Il avoue avoir hésité à appeler la police, craignant de ne pas être pris au sérieux en raison de son sexe. Finalement, c’est un membre de la famille, alarmé par ses confessions, qui a pris l’initiative de contacter les autorités.

Tout comme les femmes, chers collègues, certains hommes se retrouvent souvent piégés dans des situations où ils doivent choisir entre leur propre sécurité et celle de leurs enfants. Ils craignent de les laisser à leur partenaire violent, mais n’ont souvent pas d’autre choix. Ainsi, par souci pour leurs enfants et par manque de refuges, ils restent dans des relations abusives. La crainte de perdre la garde de leurs enfants pèse lourdement sur leur décision de rester avec leur partenaire.

[Français]

Par ailleurs, lorsqu’ils se tournent vers les forces de l’ordre, les professionnels de la santé ou les organismes d’aide, les hommes font souvent face à de la méfiance. Ils ne sont pas toujours pris au sérieux et parfois, ils sont même accusés à tort d’être les agresseurs.

Une étude menée en 2012 par le professeur Don Dutton, de l’Université de la Colombie-Britannique, révélait que plus de la moitié des hommes qui avaient fait des signalements à la police pour des violences subies avaient été traités comme des agresseurs plutôt que des victimes. Ces réalités contribuent à expliquer la réticence de nombreux hommes à chercher de l’aide. Ils craignent souvent de ne pas être crus, d’être ridiculisés ou d’être accusés à tort.

Lorsqu’il a témoigné devant le comité, le Dr Rob Whitley a évoqué des témoignages troublants à cet égard : un homme victime de violence qui avait contacté la police s’est fait demander ce qu’il avait fait pour « mériter » les coups qu’il avait reçus. Ce genre de réaction illustre pourquoi tant d’hommes hésitent à porter plainte.

Aussi, malgré la gravité des actes subis, les hommes signalent bien moins fréquemment que les femmes leurs expériences de violence conjugale à la police. Le même témoin a raconté au comité que moins de 20 % des hommes victimes de violence conjugale rapportaient leur expérience à la police ou à des professionnels de la santé.

Il faut reconnaître qu’un homme victime de violence conjugale, qu’il soit issu d’un couple hétérosexuel ou d’un couple de même sexe, ne correspond pas aux idées reçues qui sont associées aux victimes de ce type de violence.

[Traduction]

Chers collègues, les hommes ont de la difficulté à parler de leur situation, ce qui contribue à l’écart important entre les données officielles de la police, qui identifient principalement les femmes comme les victimes, et les données autodéclarées, qui montrent que les hommes sont également victimes de violence entre partenaires intimes. Les préjugés associés au fait d’être un homme victime de violence familiale expliquent en grande partie pourquoi la violence qu’ils subissent est sous-déclarée. C’est pour cette raison que les statistiques de la police montrent que la majorité des agresseurs sont des hommes et que la majorité des victimes sont des femmes, alors que les données autodéclarées présentent un rapport beaucoup plus équilibré. En conséquence, les victimes masculines deviennent souvent invisibles dans les données officielles. Cette sous-déclaration efface leur existence des statistiques, ce qui limite la reconnaissance de leur situation et contribue au manque de services à leur disposition.

[Français]

Chers collègues, actuellement, au Canada, les services spécifiquement conçus pour les hommes victimes de violence conjugale sont pratiquement inexistants. Lorsqu’ils existent, les professionnels qui offrent ces services ne sont pas toujours bien outillés pour offrir de l’aide aux victimes masculines. Il existe donc un écart évident entre la réalité vécue par les hommes victimes de violence conjugale et les services qui leur sont offerts.

Parmi les 600 refuges pour les victimes de violence conjugale au Canada, 4 % seulement acceptent les hommes, et rares sont ceux qui peuvent accueillir des hommes et leurs enfants. Des organisations comme le Centre canadien pour les hommes et les familles, dirigé par Justin Trottier, essaient de combler ces lacunes en offrant des refuges pour hommes à Toronto et Calgary, mais de tels efforts ne sont pas encore assez nombreux pour répondre pleinement aux besoins qui existent dans tout le Canada.

Chers collègues, il est clair que la violence entre partenaires intimes concerne tout le monde, sans distinction de genre ou d’orientation sexuelle. Les hommes sont peut-être trop souvent perçus uniquement comme des agresseurs, mais ils peuvent aussi être des victimes, une réalité qu’il est essentiel de reconnaître.

[Traduction]

Une autre réalité troublante, chers collègues, est le fait que la violence entre partenaires intimes — peu importe que la cible soit un homme, une femme, une personne hétérosexuelle ou une personne homosexuelle — a des répercussions profondes sur les enfants qui y sont exposés. Ces enfants peuvent être directement témoins d’actes de violence en les voyant, en les entendant ou même en essayant d’intervenir. Les enfants peuvent également subir des effets négatifs sans être des témoins directs. Par exemple, ils peuvent observer les blessures physiques d’un parent, remarquer des changements dans son comportement ou être touchés par l’intervention des forces de l’ordre ou des services de protection de l’enfance.

(1840)

Selon une étude publiée par le ministère de la Justice :

En 2014, 70 % des adultes qui ont déclaré avoir été témoins de violence de la part d’un parent à la maison lorsqu’ils étaient enfants ont aussi dit avoir été victimes de violence physique ou d’agression sexuelle pendant leur enfance‍.

Cela montre que la violence entre partenaires intimes est souvent associée à la violence directe contre les enfants.

[Français]

La violence entre partenaires intimes a un impact profond et durable sur le développement des enfants qui en sont témoins, qu’ils soient directement ou indirectement exposés. Chez les tout-petits, cela peut causer des troubles de l’attachement et freiner leur développement cognitif.

À l’âge scolaire, cela se traduit souvent par des difficultés comportementales et émotionnelles, alors que chez les adolescents, cela affecte leur santé mentale et déforme leur perception des relations. Enfin, à l’âge adulte, ces séquelles peuvent entraîner des maladies chroniques, des troubles mentaux durables et un risque accru de reproduire ou de subir de la violence.

Bien que de nombreux enfants ayant été exposés à la violence entre partenaires intimes parviennent à développer des relations saines et harmonieuses à l’âge adulte, chers collègues, les recherches montrent que les garçons qui ont grandi dans des foyers violents sont plus susceptibles d’adopter des comportements violents dans leurs relations intimes, tandis que les filles courent un plus grand risque d’en être victimes.

Comme beaucoup de Canadiens, chers collègues, je suis né et j’ai grandi dans une famille où la violence conjugale était malheureusement présente. Je me souviens trop bien des nuits où, enfant, j’étais pétrifié dans mon lit en entendant mon père poser des gestes violents envers ma mère.

Je me souviens de l’angoisse ressentie par cet enfant de 8 ans, tremblant dans son lit, impuissant à défendre sa mère.

Je me souviens d’une grande détresse psychologique, pris entre l’amour pour sa mère, l’amour pour son père et le désir que cette violence cesse. Sans minimiser les gestes de mon père, je me souviens aussi du sentiment de déprime qui l’habitait au réveil quand il prenait conscience des gestes insensés qu’il avait posés envers ma mère.

Autant mon père était un homme bon et bienveillant envers sa femme et ses 10 enfants, autant il devenait violent et exerçait un contrôle sur ma mère et notre famille quand il consommait de l’alcool. Chers collègues, je me demande souvent, quand il posait de tels gestes, s’il avait reçu toute l’aide dont il avait tant besoin à l’époque.

Jeune adulte, je fus longtemps habité par la peur et l’anxiété à l’idée que certains de mes proches ou moi-même puissions subir une telle forme de violence, ou pire encore, la faire subir à d’autres.

J’ai la profonde conviction, aujourd’hui et depuis toujours, que nous ne réglerons pas la violence subie par les femmes et les autres victimes si nous n’agissons pas à la racine de cette violence, ce que ce projet de loi pourrait permettre de faire.

[Traduction]

Le projet de loi S-249 prévoit que le ministre doit continuer à mener une action nationale visant à prévenir et à contrer la violence entre partenaires intimes. Il est essentiel que cette action nationale tienne compte de tous les facteurs mentionnés ci-dessus et qu’elle inclue toutes les victimes, qu’il s’agisse de femmes, d’hommes ou de personnes qui se considèrent en dehors de ces catégories. Cela signifie que les discussions avec les intervenants doivent inclure des hommes ayant survécu à la violence entre partenaires intimes, qu’ils soient hétérosexuels ou queer.

Les consultations prévues dans le projet de loi ont pour but d’évaluer la pertinence des stratégies et des programmes actuels visant à prévenir la violence entre partenaires intimes ainsi qu’à protéger et à aider les victimes de cette violence.

Cet effort mener à l’évaluation de ces stratégies et de ces programmes en fonction de leur capacité à protéger et à soutenir toutes les victimes de violence familiale, y compris les femmes, les hommes et les personnes qui ne font pas partie des catégories de genre binaires.

[Français]

Honorables sénateurs, pour que nos politiques soient efficaces, elles doivent refléter toute la complexité de la réalité de la violence conjugale dans notre société. Elles doivent protéger et aider toutes les victimes, sans distinction de genre, d’expression de genre ou d’orientation sexuelle.

Bien sûr, je voterai en faveur de l’adoption du projet de loi S-249 à l’étape de la troisième lecture. Je remercie encore le sénateur Manning et Mme McGrath.

J’espère que le ministre responsable prendra pleinement en compte la réalité qui touche toutes les catégories de victimes de notre société. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons vraiment prévenir et contrer la violence entre partenaires intimes au Canada.

Je vous remercie de votre attention. Meegwetch.

[Traduction]

L’honorable Joan Kingston : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-249, Loi concernant une action nationale pour la prévention de la violence entre partenaires intimes.

Je tiens à féliciter le sénateur Manning de son travail et de ses efforts concernant ce projet de loi. Je tiens également à dire à quel point je suis touchée que Georgina soit ici et que la sénatrice Petten ait raconté son histoire une fois de plus. À mes collègues qui ont parlé de leurs expériences personnelles, je dis que cela prend du courage. Je vous en remercie.

Dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence entre partenaires intimes, la loi confie au ministre la tâche de consulter d’autres ministres fédéraux, les représentants des gouvernements provinciaux responsables du développement social, des familles et de la sécurité publique, et les représentants de groupes qui offrent des services aux victimes de violence entre partenaires intimes ou qui les défendent en ce qui concerne la pertinence des programmes et des stratégies actuels visant à prévenir la violence entre partenaires intimes ainsi qu’à protéger et à aider les victimes de cette violence.

Aujourd’hui, je me concentrerai plus particulièrement sur la disponibilité d’une aide rapide pour les victimes.

Plus de 40 % des femmes canadiennes subissent des violences de la part d’un partenaire ou d’un ancien partenaire au cours de leur vie, et ces violences constituent une épidémie dont les victimes sont principalement des femmes. La violence porte atteinte à la sécurité, à la santé, aux finances et aux relations des femmes, souvent pendant une longue période, alors que la plupart des mesures de soutien sont à court terme et centrées sur les situations de crise. Les conséquences sur la santé, en particulier, ont un coût social et économique élevé, car elles touchent l’éducation des enfants, la productivité au travail et le bien-être à long terme des femmes.

La santé mentale et le développement des enfants qui subissent des violences au sein de leur foyer peuvent être perturbés. Ces enfants sont également plus susceptibles de vivre des relations malsaines et violentes à l’âge adulte. Jusqu’à 80 % des femmes ne cherchent jamais à obtenir une aide officielle en cas de violence entre partenaires intimes, surtout si elles vivent dans des endroits où il n’y a pas beaucoup de services, comme l’a souligné le sénateur Manning, ou si les listes d’attente pour obtenir de l’aide sont longues. De nombreuses femmes nomment également des obstacles tels que la honte, la stigmatisation, la peur pour leur vie privée, la peur que l’agresseur découvre leur démarche ou, tout simplement, le fait qu’elles ne savent pas par où commencer ou à quoi s’attendre.

En somme, les femmes victimes de violence entre partenaires intimes sont confrontées à toute une série de difficultés lorsqu’elles prennent la décision de mettre un terme à une relation de violence et lors de la séparation d’avec un partenaire violent; ces difficultés persistent souvent sur une longue période. Même s’il a été démontré que les femmes sollicitent de l’aide pour de nombreux types de services, y compris les soins de santé, peu d’interventions répondent à toute la gamme complexe de besoins et de priorités des femmes, ou ont démontré qu’elles produisaient de multiples bienfaits.

Pour combler les lacunes existantes, je suis fière de dire qu’il existe un programme qui, selon les recherches, a eu des résultats positifs pour les femmes victimes de violence entre partenaires intimes. Le programme Intervention for Health Enhancement and Living, ou iHEAL, est financé par l’Agence de la santé publique du Canada et est actuellement offert à trois endroits : le Bureau de santé de Middlesex-London, à London, en Ontario; le Centre de santé communautaire du centre-ville de Fredericton; et la Kilala Lelum Urban Indigenous Health and Healing Cooperative, à Vancouver, en Colombie-Britannique.

Les exemples de contrôle coercitif dont j’ai parlé dans mes observations à l’appui du projet de loi C-332 proviennent de femmes qui participent au programme iHEAL au Nouveau-Brunswick.

Les recherches du programme iHEAL sont dirigées par Marilyn Ford-Gilboe, de l’École des sciences infirmières de l’Université Western, en Ontario, Kelly Scott-Storey, de la Faculté des sciences infirmières de l’Université du Nouveau-Brunswick, et Annette Browne, de l’École des sciences infirmières de l’Université de la Colombie-Britannique. Elles ont conçu le programme iHEAL comme un programme d’intervention et de promotion de la santé fondée sur des données probantes qui vise à aider les femmes dans leur transition lorsqu’elles veulent quitter un partenaire violent et à les aider à cerner leurs problèmes de santé et d’autres problèmes ainsi qu’à y remédier.

Le programme iHEAL s’appuie sur la théorie qualitative du renforcement de la capacité à limiter l’intrusion, qui décrit les multiples priorités des femmes qui se séparent d’un partenaire violent et les difficultés intrusives qui en découlent et auxquelles elles sont doivent faire face lorsqu’elles s’efforcent de bâtir une nouvelle vie pour elles-mêmes et pour leurs enfants.

(1850)

Cette théorie a donné naissance aux six composantes de l’intervention, chacune d’entre elles se concentrant sur un problème connu, qui nuit au bien-être des femmes. L’ampleur de l’application iHEAL — dans laquelle le personnel infirmier se concentre simultanément sur la sécurité physique et émotionnelle des femmes, leur santé et leur bien-être, leurs relations et leurs liens avec d’autres personnes et leurs besoins fondamentaux au fil du temps alors qu’elles négocient la transition de la séparation, ainsi que son approche fondée sur les traumatismes et la violence et axée sur l’équité — constitue une nouveauté parmi les interventions contre la violence exercée par un partenaire intime. L’application iHEAL comble une lacune majeure dans les interventions destinées aux femmes victimes de violence de la part d’un partenaire intime en adoptant une perspective à long terme sur les besoins des femmes en matière de soutien. En effet, de nombreuses interventions et de nombreux services se concentrent sur la période de crise qui précède le départ et moins sur les problèmes et les besoins à long terme des femmes tout au long du processus de séparation, y compris lorsqu’elles essaient de créer une vie séparée de leur partenaire.

Sur la base de fondements théoriques et de recherches, ils ont conçu l’application iHEAL pour qu’elle convienne aux femmes qui ont qualifié leur relation de violente et qui prennent des mesures pour y remédier d’une manière ou d’une autre. Il ne s’agit pas nécessairement de se séparer, bien que la majorité des femmes victimes de violence entre partenaires intimes au Canada finissent par se séparer de leur partenaire violent.

Les résultats de la recherche montrent qu’un soutien adapté, tenant compte des traumatismes et de la violence et dirigé par des femmes, apporté par une infirmière autorisée qualifiée, a des effets bénéfiques importants et durables sur les femmes victimes de la violence et de ses effets sur la santé. Les infirmières autorisées possèdent toutes les compétences requises pour offrir le programme iHEAL, mais elles ont besoin d’une formation supplémentaire et d’un soutien clinique et organisationnel pour pouvoir le faire d’une manière qui demeure bénéfique pour les femmes. Étant donné que les infirmières constituent le groupe le plus important de prestataires de soins de santé au Canada et qu’elles sont présentes dans presque toutes les communautés, grandes et petites, le potentiel d’extension du programme iHEAL dans les services existants est élevé.

Les chercheurs ont également développé une application pour compléter le programme. L’application iHEAL aide les femmes à prendre leur vie en main. Elle est gratuite, privée et confidentielle, et disponible en français et en anglais. Des activités et des sujets liés à la santé, aux relations, aux finances et à la sécurité sont présentés en fonction de ce que la recherche nous apprend sur les besoins et les priorités des femmes. Des activités interactives — telles que l’évaluation du danger, une liste de contrôle des mesures de sécurité, une liste de contrôle des symptômes, des relations saines avec un partenaire et le développement de sa famille — et des sujets d’information aident les femmes à réfléchir à leur situation et aux solutions qui s’offrent à elles. Les femmes indiquent leur province ou leur territoire afin que l’application puisse fournir des liens personnalisés vers des ressources, avec une brève description de chacune d’entre elles, adaptées à l’endroit où elles se trouvent, et les femmes peuvent rechercher des ressources. Les informations, les activités et les ressources peuvent être sauvegardées, ce qui permet aux femmes d’adapter l’application à leurs propres besoins au fil du temps.

L’application tient compte des traumatismes et de la violence. Elle est conçue pour travailler avec les femmes là où elles se trouvent et pour fournir des renseignements pratiques afin d’aider les femmes à planifier les prochaines étapes sans jugement. Elle met l’accent sur les forces et les réussites des femmes, en tenant compte des complexités de la vie et des options qu’ont les femmes, et en donnant le contrôle aux femmes. Pour avoir utilisé un peu l’application, je sais aussi qu’elle comporte des mesures de sécurité pour que les femmes ne se fassent pas prendre à l’utiliser, si c’est un problème.

L’application a du succès et a enregistré plus de 6 000 utilisatrices actives au Canada au cours de sa première année d’existence. Un nombre croissant de fournisseurs de services — par exemple la police, le personnel infirmier et les services d’établissement — aiguillent les femmes vers l’application ou l’utilisent dans le cadre des services qu’ils fournissent, ce qui élargit le soutien offert aux femmes, comme le fait également le programme iHEAL.

En tant que témoin à la réunion du comité sénatorial sur le projet de loi S-249, l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario a fait valoir que les infirmières et infirmiers en particulier sont au cœur de la prévention de la violence entre partenaires intimes et de l’intervention dans tous les contextes de santé parce qu’ils sont souvent les premiers membres de l’équipe de santé à interagir avec les patients victimes de violence entre partenaires intimes et qu’ils sont un point de contact commun avec les clients en période de stress et de maladie, ainsi que lors des transitions développementales comme l’adolescence, la grossesse, la parentalité et les trajectoires de vie.

Les données d’enquête montrent que la profession infirmière est l’une des plus respectées au Canada. La fiabilité du personnel infirmier est un atout intangible dans l’établissement de relations de confiance, qui sont essentielles pour faciliter la divulgation et avoir une incidence sur les résultats. Le personnel infirmier est accessible, il travaille dans tous les milieux du système de santé, et leurs connaissances et compétences particulières sont des atouts précieux pour dépister, reconnaître et gérer la violence conjugale.

Enfin, le personnel infirmier n’établit pas de relations potentiellement intimidantes de coercition ou de contrôle. Au contraire, il s’appuie sur des cadres holistiques de promotion de la santé qui intègrent des stratégies d’autonomisation et de défense des droits, ce qui, selon la recherche, est particulièrement important lorsqu’il s’agit d’intervenir auprès de femmes victimes de violence.

Les résultats montrent qu’iHeal — une intervention en promotion de la santé qui offre un appui général, personnalisé et dirigé par des femmes sur toute une série de questions — présente des avantages initiaux et à long terme pour la qualité de vie, la santé, le bien-être et la sécurité des femmes, qui se maintiennent dans le temps. Les résultats apportent de nouvelles preuves que le personnel infirmier autorisé spécialement formé peut jouer un rôle pour offrir un soutien efficace aux femmes. Ces résultats prometteurs constituent une base solide pour la mise en œuvre et l’expansion d’iHeal au Canada, sans parler de la possibilité d’adapter et de tester cette intervention efficace dans d’autres pays.

L’équipe d’iHEAL est activement à la recherche de possibilités d’expansion. J’attends avec impatience l’expansion d’iHEAL dans le cadre de la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale. Merci. Wela’lin.

L’honorable Marilou McPhedran : Georgina McGrath, sa famille et le sénateur Manning se rappelleront qu’en 2018, je m’opposais à ce projet de loi. Je pensais que la plupart des mesures proposées existaient déjà et qu’il serait redondant. Je tenais à prendre brièvement la parole ce soir simplement pour vous dire, sénateur Manning, que j’avais omis le fait le plus important à propos de votre projet de loi et que je regrette de ne pas l’avoir mieux compris.

Vous avez mentionné une statistique selon laquelle une femme meurt toutes les 10 minutes. Elle provient d’ONU Femmes. Ce que nous observons n’est pas une épidémie, mais bien une pandémie mondiale de violence croissante que la civilisation humaine n’a aucunement réussi à prévenir, à combattre et à éliminer.

Dans les cercles féministes, on parle souvent de dénoncer les hommes. En réalité, ce projet de loi sert à inclure les hommes. Il vise à tous nous unir, quels que soient notre genre ou notre affiliation. C’est un projet de loi très important.

Les exemples qui ont été fournis ce soir, les histoires racontées qui viennent du fond du cœur montrent amplement que ces personnes sentent qu’elles peuvent le faire en toute sécurité. J’admire le fait que vous, un homme, ayez pris cette initiative et que d’autres hommes l’appuient. Il s’agit réellement d’un effort concerté de la part de tous les sénateurs. J’espère sincèrement que nous adopterons ce projet de loi très rapidement. Merci. Meegwetch.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, il est 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ».

Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. Par conséquent, la séance est suspendue, et je quitterai le fauteuil jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, je prends la parole en tant que porte-parole, une porte-parole bienveillante, du projet de loi S-249. Je tiens à remercier une fois de plus le sénateur Manning de son engagement à faire avancer ce projet de loi visant à remédier à la pandémie de violence à l’égard des femmes et de violence entre partenaires intimes au pays.

Je tiens également à vous remercier, chers collègues. Le projet de loi S-249 est important, mais le projet de loi S-230 l’est tout autant, et je tiens à vous remercier du fait qu’en plus d’examiner ce projet de loi, nous terminerons le débat et procéderons au vote à l’étape de la troisième lecture sur le projet de loi S-230 le 10 décembre.

La loi de Georgina et la loi de Tona sont étroitement liées. Tona a été condamnée pour avoir tenté d’échapper à la violence et au viol incestueux, d’échapper à la violence. Ce projet de loi vise donc à renforcer la prévention.

Je tiens également à remercier les millions de femmes dont l’expérience a eu un impact direct sur la mienne et sur votre compréhension de la nécessité urgente d’aborder ces questions. Je remercie tout particulièrement les nombreuses femmes et jeunes filles, dont Georgina McGrath, qui ont fait preuve d’un courage et d’une force incroyables en partageant leurs expériences et en insistant pour que nous fassions tous la lumière sur la terreur honteusement omniprésente et pourtant souvent cachée dont sont victimes les femmes les plus démunies. Ces réalités constituent l’horrible toile de fond de ce projet de loi.

La défense tenace de Mme McGrath a joué un rôle déterminant en inspirant le sénateur Manning à élaborer ce projet de loi et, par conséquent, nous rappelle à tous l’importance d’exiger des mesures significatives pour prévenir et éliminer les situations qui donnent lieu à la violence et aux mauvais traitements patriarcaux et misogynes ou qui les exacerbent.

Tel qu’amendé par le Comité des affaires sociales, le projet de loi S-249 demande au gouvernement fédéral, par un engagement régulier avec divers groupes — ministres fédéraux, représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux, peuples autochtones ainsi que victimes, survivants et autres parties prenantes — de continuer à prendre des mesures pour prévenir et contrer la violence entre partenaires intimes. Nous savons que la violence entre partenaires intimes touche des personnes de tous les sexes, de tous les âges, de tous les niveaux d’instruction et de tous les milieux socioéconomiques, raciaux, ethniques, religieux et culturels. Nous savons également que les femmes représentent la grande majorité des personnes qui subissent cette forme de violence fondée sur le genre et que cette violence est le plus souvent perpétrée par des hommes.

Le sénateur Manning a cité les mots de l’ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, et je n’ai pas besoin de les répéter, mais j’ajouterais qu’outre le fait que la violence ne connaît aucune frontière géographique, culturelle ou de richesse, elle est souvent niée, et les auteurs sont moins susceptibles d’être tenus responsables de leur comportement quand ils occupent des positions de privilège et de pouvoir. Il suffit de regarder ce qui se passe dans le monde, par exemple la récente élection à la présidence des États-Unis d’un prédateur connu pour ses agressions sexuelles.

Pendant trop longtemps, nous avons parlé de la nécessité de remédier à la violence contre les femmes et à la violence entre partenaires intimes sans prendre les mesures qui s’imposaient. Les élections américaines ont envoyé un message sans précédent aux victimes et, surtout, aux agresseurs, un message qui fait froid dans le dos et qui enhardit les agresseurs, et on ne peut pas l’ignorer. Pendant des décennies, la réponse systématique a été d’imposer des peines plus sévères et plus longues aux personnes reconnues coupables de violence. Ces mesures n’ont pas assuré la sécurité des femmes. Pratiquement aucun cas n’est signalé, et encore moins de cas donnent lieu à des accusations, voire à des condamnations. Les personnes condamnées sont généralement les plus faciles à attraper, celles qui sont marginalisées par la pauvreté, la race, le handicap ou leur propre expérience de la violence.

Une fois qu’ils ont purgé leur peine, qu’ils assument pleinement la responsabilité de leurs actes et qu’ils sont prêts à apporter une contribution positive à la collectivité, on ne leur offre pas la possibilité de se libérer de la stigmatisation associée à un casier judiciaire, ce que des mesures comme le projet de loi S-212 pourraient offrir, en grande partie en raison du genre de discours de « répression de la criminalité » que le prochain président des États-Unis prône. Le fait qu’il ait agi ainsi en dépit de sa propre condamnation criminelle pour avoir caché des paiements versés à une travailleuse du sexe pour la faire taire, en dépit du fait qu’un jury l’a jugé civilement responsable d’agressions sexuelles et en dépit du fait qu’il s’est vanté à maintes reprises d’avoir commis des agressions sexuelles, tout cela renforce la parodie que nous devons combattre ensemble.

Trop d’hommes, en particulier ceux qui sont riches, puissants et privilégiés, sont en mesure de s’en prendre aux femmes en toute impunité. Nous devrions être horrifiées, mais non surprises, de la tendance observée sur les médias sociaux dans les heures qui ont suivi les élections, à savoir l’expression « ton corps, mon choix », en plus d’autres menaces misogynes de grossesse forcée et de viol. Il ne faut pas non plus se surprendre que le nouveau président ait invité le baladodiffuseur nationaliste blanc qui semble s’attribuer le mérite de cette expression devenue virale.

D’autres messages populaires en ligne appelaient les femmes à « retourner à la cuisine » et à abroger le 19e, en référence à l’amendement de la Constitution américaine qui protège le droit de vote des femmes. Les sondages effectués à la sortie des urnes indiquent d’ailleurs que les hommes ont été plus nombreux à préférer le prochain président des États-Unis par la marge de 13 %. Les femmes, en particulier les jeunes, les Noires et les Latino-Américaines, ont pour leur part été plus nombreuses à voter contre lui par la marge de 8 %. Parmi les personnes qui ont le plus voté en sa faveur par rapport aux dernières élections, on trouve les hommes de moins de 34 ans, le groupe démographique le plus susceptible de suivre les influenceurs et les baladodiffuseurs qui diffusent des messages violents à l’encontre des femmes.

Ces derniers jours, l’utilisation de ces messages dans le but de dominer, de réduire au silence et de punir les femmes et les jeunes filles a dépassé le monde en ligne et s’est répandue dans les écoles. L’Institute for Strategic Dialogue répertorie les signalements de jeunes garçons dans des salles de classe chantant « ton corps, mon choix » aux filles de leur école. Le harcèlement sur les campus universitaires s’intensifie également et des groupes d’hommes portant des vêtements promotionnels du mouvement MAGA auraient dit aux étudiantes de rentrer à la maison, car c’est là leur place.

Le 25 novembre était la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Le 6 décembre, le Canada marquera le trente-cinquième anniversaire du massacre de l’École polytechnique, où 14 femmes ont été tuées simplement parce qu’elles étaient des femmes dans une salle de classe d’ingénierie. L’urgence de travailler ensemble pour assurer la sécurité des femmes à la maison, à l’école, au travail et dans la communauté n’a jamais été aussi évidente.

Pendant que des filles et des femmes étaient victimes de harcèlement à l’école ce mois-ci, le prochain président des États-Unis tentait de nommer procureur général — le chef du département de la Justice — son principal conseiller juridique et son principal responsable de l’application de la loi, un homme qui a fait l’objet d’une enquête de ce même département de la Justice et de ses collègues du Congrès relativement à la traite d’enfants à des fins sexuelles. Le département de la Justice a refusé de porter des accusations contre lui, notamment pour des raisons qui ne seront que trop familières aux victimes et aux survivants de violence, à leurs alliés et à leurs défenseurs : les autorités se demandaient si un jury croirait le témoignage d’une enfant de 17 ans, aujourd’hui une jeune femme, qui l’avait accusé.

L’enquête du Congrès a été bloquée quand le procureur général pressenti a démissionné du Congrès avant qu’un rapport final sur sa conduite puisse être publié. Des témoins entendus par le comité du Congrès chargé de l’enquête ont toutefois laissé entendre qu’il avait payé une enfant pour avoir des relations sexuelles. Bien que cet homme n’ait finalement pas réussi à obtenir l’appui d’un nombre suffisant de sénateurs pour confirmer sa nomination, au moins un autre membre pressenti du Cabinet, au poste de secrétaire à la Défense, a également fait l’objet d’une enquête policière en lien avec des actes de violence sexuelle. En fin de compte, il n’a pas été accusé et il a versé un paiement de règlement à la plaignante, qui est maintenant assujettie à une entente de non-divulgation.

Nous assistons à la montée en puissance d’acteurs politiques qui, au mieux, sont des complices et, au pire, encouragent le harcèlement et la violence à l’encontre des femmes et des partenaires intimes à des fins politiques. Dans ce climat, les hommes, y compris au Sénat, à l’autre endroit et ailleurs, doivent s’engager, redoubler d’efforts et montrer l’exemple du comportement que doivent adopter nos dirigeants et nos modèles afin de défendre l’égalité pour tous.

Cela inclut des formes plus insidieuses de sexisme et de misogynie, dont beaucoup sont intégrées dans les modes de fonctionnement de nos institutions. Il s’agit non seulement d’actes manifestes de violence, mais aussi de formes plus difficiles à discerner et trop souvent plus cachées de coercition et de contrôle.

Comme nous l’a rappelé Kofi Annan, tant que la violence à l’égard des femmes continuera d’être perpétrée, « [...] nous ne pourrons prétendre à des progrès réels pour atteindre l’égalité, le développement et la paix ».

(2010)

Un nouveau rapport d’ONU Femmes sur les féminicides dans le monde souligne que, en 2023 seulement, sur les 85 000 femmes qui ont définitivement été tuées par un homme, 60 % ont été tuées par leur conjoint ou un membre de leur famille. Le rapport conclut que pour les femmes, l’endroit le plus dangereux, c’est leur maison.

Cette année, l’histoire de Gisèle Pelicot a rappelé au monde entier que cela est la réalité et qu’il existe une connivence entre des tiers qui maintiennent les femmes en danger. Dominique Pelicot a admis avoir violé son épouse, une grand-mère de 72 ans et une ancienne directrice d’entreprise française, et d’avoir organisé son viol par d’autres hommes alors qu’elle était inconsciente au domicile familial. Il a pris des milliers de photos et de vidéos afin de documenter ces agressions sexuelles répétées sur une période de 10 ans.

Pour avoir participé à ce nombre abominable de viols, 50 hommes subissent un procès. La plupart ont tenté de prétendre qu’ils croyaient que Mme Pelicot avait donné son consentement, même si elle était inconsciente, ou qu’elle participait à un soi-disant jeu sexuel… pensez-y. Parmi les dizaines d’hommes que M. Pelicot avait invités chez lui dans ce but, aucun ne semblait avoir avisé les autorités ou pris la moindre mesure pour prévenir ces actes violents.

Mme Pelicot a obtenu un soutien fort et sincère de la part de femmes du monde entier pour avoir courageusement renoncé à son droit à la vie privée et à l’anonymat, et pour avoir insisté sur la tenue d’audiences publiques. Son objectif était de renverser le scénario de la culpabilisation des victimes et d’insister sur les changements à apporter à la culture du viol tolérée par la société et à l’idée que les violences sexuelles sont commises par quelqu’un d’autre, et non par le conjoint, les amis et les voisins, et parfois les collègues.

Que faut-il donc faire? Comme l’ont souligné les médias et les experts, les efforts législatifs visant à remédier à la violence entre partenaires intimes ont échoué. Dans la pratique, ils se résument à un simple symbole de notre volonté de lutter contre la violence à l’égard des femmes au pays. Les mesures en droit criminel fondées sur des lois toujours plus punitives et contraignantes, sans le financement, l’infrastructure et les ressources indispensables pour prévenir la violence, y réagir et la traiter ne sont rien de plus que des paroles en l’air.

Pire encore, lorsque les femmes et les filles voient des hommes se livrer impunément à des comportements violents et intimidants, elles ne sont pas incitées à croire qu’elles seront crues ou soutenues si elles dénoncent un comportement abusif. En effet, à la suite de son étude réalisée en août 2022 pour le Bureau du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, Myrna Dawson a qualifié « [...] l’impact des lois existantes sur le changement social [de] faible [...] ».

Honorables sénateurs, si le projet de loi S-249 doit faire plus qu’éveiller les consciences, nous devons nous demander les uns aux autres et à tous les gouvernements de rendre des comptes et insister sur la mise en œuvre de mesures proactives, systémiques et durables pour lutter contre l’inégalité et l’injustice. Les mesures proactives doivent s’attaquer aux causes profondes de la violence entre partenaires intimes et à l’inégalité qui sous-tend et renforce les structures et les systèmes socioéconomiques et les systèmes de pouvoir existant au sein desquels nous opérons. Ces facteurs sont les plus préjudiciables et, trop souvent, fatals pour les femmes, d’autant plus si elles appartiennent également à des populations marginalisées, à savoir les femmes autochtones, les femmes noires et les autres personnes marginalisées en raison de leur race, celles qui vivent dans la pauvreté ou qui sont handicapées, les membres des communautés 2ELGBTQQIA+ et celles qui sont opprimées principalement par l’utilisation du pouvoir et les abus de pouvoir par les hommes.

Comme le souligne le journaliste Dean Beeby dans ses livres sur la Commission des pertes massives et le féminicide dans le comté de Renfrew, « [...] il y a longtemps qu’il a été démontré que les féminicides entre partenaires intimes sont l’un des rares crimes prévisibles et évitables ». Nous avons la responsabilité de mettre en œuvre des mesures visant à empêcher les femmes maltraitées d’être victimes de viols, d’agressions et de meurtres.

Pour comprendre à quel point la menace de la violence des hommes est courante et enracinée dans l’expérience collective des femmes, il suffit de parcourir les médias sociaux. Les menaces observées après les élections américaines m’ont fait penser à un débat viral sur TikTok au printemps dernier, lorsque le Comité sénatorial des affaires sociales entamait l’étude du projet de loi S-249. Les femmes répondaient à la question de savoir si elles préféraient être laissées seules dans les bois avec un homme ou un ours. La plupart choisissaient l’ours. De nombreuses personnes ont avancé des arguments bouleversants selon lesquels « […] la pire chose que l’ours puisse faire, c’est de me tuer […] », « […] au moins, les gens me croiraient si je disais qu’un ours m’a attaquée […] » et « […] personne ne me demanderait ce que je portais […] ». Ce genre de réponses révèle ce que bien trop de femmes vivent : les effets déshumanisants, coûteux et psychologiquement irrémédiables de la violence sexuelle.

Qui plus est, la réaction d’un grand nombre d’hommes a montré leur ignorance insensible, leur privilège et leur confusion envers les réponses des femmes. Certains se sont offusqués et ont riposté. Il était particulièrement effrayant de lire des réponses qui illustraient non seulement une incompréhension totale de l’omniprésence de la violence physique et sexuelle dans les expériences vécues par les femmes, mais qui contribuaient également à ces menaces. Nous devons mettre fin à ces menaces qui pèsent sur la vie et les décisions quotidiennes des femmes.

Cette dichotomie souligne la nécessité de démanteler les piliers du patriarcat, des privilèges et du pouvoir qui ont longtemps servi à perpétuer et à maintenir la position sociale subordonnée des femmes par rapport aux hommes dans notre pays et partout dans le monde.

En 1993, soit il y a maintenant plus de 30 ans le Comité canadien d’action sur le statut de la femme — la plus grande organisation féministe nationale de l’époque —, composé de plus de 700 groupes affiliés, a formulé les 99 mesures fédérales pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes. Le comité a reconnu que la violence à l’égard des femmes est fondamentalement et inextricablement enracinée dans l’inégalité substantielle des femmes. Sa stratégie reconnaissait que :

[...] les femmes pauvres, les femmes handicapées, les femmes de couleur et les femmes [autochtones] sont plus susceptibles d’être victimes d’agressions, et nous semblons avoir du mal à voir l’avantage que les hommes ont sur ces femmes et comment ces avantages juridiques, sociaux et économiques font partie de l’arsenal des agressions violentes. Tous les types d’avantages acquis (qu’il s’agisse de l’appartenance à la race dominante ou de l’exercice d’une profession) sont trop souvent utilisés pour faire du tort aux femmes. Aucun programme visant à mettre fin à la violence à l’égard des femmes ne peut être efficace s’il ne rompt pas ces relations de pouvoir et qu’il ne les transforme pas dans le sens de l’égalité.

En effet, comme il a été reconnu et réaffirmé dans plusieurs rapports au cours des décennies qui ont suivi, y compris le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre, le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences de 2019 et le rapport de 2022 de la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence à l’égard des femmes et des filles autochtones, pour mettre fin à la violence entre partenaires intimes, il faut la contextualiser dans des structures et des systèmes sociaux et économiques plus vastes. Cela comprend une collaboration entre les secteurs — juridique, social et économique — pour démanteler les normes patriarcales qui désavantagent les femmes et les empêchent d’atteindre les mêmes niveaux de protection juridique, de statut social et de stabilité financière que ceux dont jouissent les hommes.

Pourquoi tant de féministes — dont je fais partie — insistent-elles sur la nécessité d’un revenu minimum garanti? Les désavantages économiques que vivent les femmes sont nombreux. Elles gagnent en moyenne 89 cents pour chaque dollar gagné par leurs homologues masculins. L’écart est encore plus grand chez les femmes qui sont confrontées à des obstacles supplémentaires à l’atteinte d’une égalité réelle en raison de leurs identités qui se recoupent, en particulier les femmes autochtones, les autres femmes racialisées et marginalisées, ainsi que les femmes handicapées.

Plus de 1,5 million de femmes au Canada vivent dans la pauvreté et 10 fois plus de femmes que d’hommes ont quitté le marché du travail depuis 2020. Plus de femmes que d’hommes au Canada se trouvent dans une situation financière vulnérable et précaire. C’est un constat troublant en soi, mais qui l’est encore plus dans le contexte des conséquences financières préjudiciables souvent subies par les survivantes de la violence entre partenaires intimes.

Selon une étude réalisée en 2012, plus de 80 % des coûts de la violence entre partenaires intimes au Canada — qui sont estimés à 6 milliards de dollars par an — sont assumés par les survivantes elles-mêmes, sous la forme de frais médicaux, de perte de salaire, de perte d’éducation, de biens volés ou endommagés, de douleurs et de souffrances. Selon une étude réalisée en 2021 par le Centre canadien pour l’autonomisation des femmes, 80 % des survivantes de la violence entre partenaires intimes dans la seule région de la capitale nationale ont déclaré que leur partenaire avait adopté des comportements plus contrôlants et coercitifs à l’égard de leurs finances et de leur stabilité économique pendant la pandémie, et 1 femme sur 10 a été ramenée sous le contrôle de son agresseur en raison de contraintes liées à la dépendance financière. La possibilité d’échapper à la violence est un privilège que la pauvreté rend trop souvent inaccessible.

Dans les années 1970, l’expérience du revenu annuel de base au Manitoba, le Mincome, a entraîné une réduction de 17,5 % de la criminalité, dont 350 crimes violents de moins par 100 000 habitants par rapport à des villes semblables. Les chercheurs ont attribué cette réduction au fait que le Mincome a réduit le stress financier, ce qui a réduit la probabilité d’un incident violent, et a également amélioré le pouvoir de négociation et l’autonomie des femmes, ce qui a réduit l’incidence des agressions commises par un partenaire.

(2020)

Des recherches récentes font écho à ces conclusions : les transferts d’argent envoyés directement aux femmes peuvent contribuer à lutter contre les inégalités entre les sexes et à donner de l’autonomie aux femmes et aux filles en améliorant leur position de négociation, leur mobilité et leur statut économique et social, ce qui réduit le risque de violence entre partenaires intimes. Le revenu de base garanti suffisant peut également aider les femmes et les autres personnes marginalisées qui fuient des situations de violence en leur fournissant les ressources financières nécessaires pour trouver un logement sûr et de la nourriture pour elles et pour leurs enfants.

De tels faits révèlent précisément pourquoi les appels à la justice 4.5 et 16.20 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées portaient sur le revenu minimum garanti national et pourquoi l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a récemment déclaré devant le Comité des finances nationales : « Il y a toute une science de la prévention de la criminalité qui s’harmoniserait bien avec les principes du revenu minimum garanti [...] »

Comme l’a dit Isabel Grant lors de son témoignage à la Commission des pertes massives :

[...] l’autonomie économique de chaque femme dans ce pays est un énorme élément de la capacité des femmes d’échapper à toute forme de violence sexuelle.

Pour que le projet de loi S-249 ait un impact positif sur la libération des femmes, il ne doit pas seulement reconnaître les lacunes de l’aide sociale et économique existante, mais y remédier, et garantir des soins de santé réellement accessibles et efficaces, des solutions en matière de logement sûres et adéquates, la sécurité alimentaire et l’accès à des services universels de garde d’enfants.

Le sénateur Manning nous a rappelé les statistiques, et je n’y reviendrai pas, mais les femmes sont souvent condamnées pour ce que l’on appelle leur « choix de rester ». Les statistiques nous disent le contraire. Les femmes ne choisissent pas de rester dans des relations abusives. Toutefois, pourquoi ne pas plutôt chercher à savoir pourquoi les hommes ne veulent pas laisser partir les femmes — ou mener un examen sérieux pour trouver des endroits et des moyens pour s’en aller que nous pourrons suggérer aux femmes?

Comme Mme McGrath et plusieurs autres témoins l’ont souligné au comité, les femmes victimes de violence entre partenaires intimes sont censées porter le fardeau de la recherche d’un refuge sûr pour elles-mêmes et leurs enfants, ainsi que de l’atteinte de l’indépendance financière à l’abri de l’influence ou du contrôle de leur partenaire violent — tout cela en dépit de l’absence de soutien, et encore moins d’infrastructures, pour les aider à y parvenir.

Certains organismes et fournisseurs de services dont les efforts visent à remédier à la violence faite aux femmes ont mis en œuvre des mesures d’intervention en tenant compte de considérations pratiques et du bien-être des femmes -- la sénatrice Kingston et d’autres en ont donné des exemples -- et il existe des approches comme les cercles de femmes autochtones et le modèle de logement Safe at Home de WomanACT, à Toronto, qui permet aux femmes fuyant la violence de rester en sécurité dans leur logement actuel ou de déménager directement dans un logement autonome pendant que l’agresseur est retiré du foyer, ce qui réduit les risques de préjudice pour les femmes et les enfants.

Nous devons nous assurer que les stratégies sont viables à long terme et qu’elles accordent la priorité à la sécurité et au bien-être des femmes. Les femmes ne devraient pas continuer de faire face à des difficultés supplémentaires lorsqu’elles font des efforts pour échapper à la violence et aux mauvais traitements.

À cet égard, je tiens à souligner le travail du sénateur Manning et du Comité des affaires sociales, qui ont tenu compte des préoccupations soulevées par plusieurs témoins et supprimé des dispositions du projet de loi qui auraient nécessité un engagement en ce qui concerne:

[...] l’obligation des professionnels de la santé de signaler à la police les actes de violence conjugale qui, à leur avis, auraient été subis par leurs patients [...]

Comme nous l’avons entendu, la mise en œuvre de l’obligation de signaler peut involontairement entraver l’accès au soutien et aux soins de santé nécessaires pour les personnes victimes de violence entre partenaires intimes.

Les victimes de violence entre partenaires intimes s’adressent aux prestataires de soins de santé et aux lieux de culte plus que tout autre service dans leur communauté. C’est dans ces lieux que de nombreuses victimes sont le plus susceptibles d’établir des rapports et de favoriser des relations qui atteignent un niveau de confort qui leur permet et les habilite à révéler leur situation. Une obligation de signalement sans le soutien et l’éducation nécessaires pourrait dissuader certaines victimes d’accéder à ces lieux et à ces services. En raison des effets de longue date du colonialisme, du racisme et du patriarcat, qui sont ancrés dans le fonctionnement de nos institutions sociales — y compris le système de santé, les services de police, les services correctionnels et tant d’autres éléments —, les femmes noires et les femmes autochtones ont bénéficié d’encore moins de protection, de respect et de soins que les femmes non marginalisées sur le plan racial — sans parler des hommes.

Il est impératif de noter que seulement environ un cas de violence entre partenaires intimes sur dix est signalé. Si nous voulons encourager les victimes à porter plainte et à demander de l’aide, elles doivent être convaincues qu’elles disposent d’un soutien social, financier et juridique adéquat.

L’histoire troublante du Canada en matière de violence à l’égard des femmes autochtones, en particulier, contribue au fait qu’elles « sont souvent victimes de racisme, de sexisme et d’autres formes de discrimination [...] [d]ans leurs rencontres avec les différentes institutions ». L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées fait état de beaucoup trop de récits de rencontres empreintes de mépris et conflictuelles avec la police à la suite d’expériences de violence faite aux femmes.

De nombreux témoins ont affirmé dans le cadre de l’Enquête :

[...] ne plus se sentir à l’aise de faire appel à [la police] lorsqu’ils sont en danger, par crainte que les policiers contribuent à la violence déjà subie. Ces histoires marquées par la violence — et la prédation en toute impunité — expliquent en grande partie la réticence des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones à avoir confiance envers les institutions...

... à la suite de leurs rencontres. Non seulement les femmes autochtones sont continuellement rejetées lorsqu’elles signalent des actes de violence, mais elles sont aussi souvent dépeintes comme des agresseuses, traitées comme si la violence était de leur faute et considérées comme des victimes moins dignes de ce nom par de nombreuses personnes, à commencer par la police et parfois leurs avocats, des juges et l’ensemble du système de justice pénale.

Le harcèlement et la violence des autorités juridiques — que les peuples autochtones ne connaissent que trop bien — conjugués au mépris, à l’hyperresponsabilisation et au manque de considération que subissent les femmes et les filles autochtones lorsqu’elles signalent leurs expériences de violence faite aux femmes font en sorte qu’elles hésitent à signaler un incident à qui que ce soit.

Aussi troublante que soit leur inaction à l’égard des femmes autochtones victimes de violence fondée sur le sexe, les autorités judiciaires réagissent trop souvent de façon punitive en criminalisant des femmes comme Tona qui arrivent à faire face au manque de considération qu’on leur fait subir en essayant de se protéger ou de protéger les autres contre les mauvais traitements. Comme l’ont exprimé les auteurs du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le système juridique canadien :

Dans le cas de plusieurs femmes autochtones [...] [on] criminalise les actes qui découlent directement de leur instinct de survie. Cette situation renforce le colonialisme en jetant le blâme et la responsabilité sur les femmes autochtones et sur les choix qu’elles ont faits, et on ignore les injustices systémiques qu’elles subissent et qui les amènent souvent à commettre des crimes.

Le récent examen périodique du Canada par le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a fait état de préoccupations concernant la surreprésentation des femmes autochtones dans les prisons. Le comité a également souligné « la criminalisation des actions menées par les femmes autochtones défenseuses des droits de l’homme ».

Il convient de noter que l’élargissement de l’article 34 du Code criminel, la disposition qui autorise le recours à la légitime défense, a été adopté sous le gouvernement Harper en 2012, non pas dans le but de protéger les femmes, mais dans le but de donner aux propriétaires fonciers la force légale de protéger leurs terres en ayant recours à la force d’une manière jugée raisonnable. Le motif de l’ancien premier ministre pour cet élargissement n’était pas la protection des femmes contraintes de recourir à une force mortelle pour se défendre et défendre leurs enfants. Il visait plutôt à privilégier les propriétaires fonciers. L’élargissement de la légitime défense n’avait pas pour but d’aider les survivantes de la violence faite aux femmes.

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a révélé que les femmes autochtones sont trop souvent criminalisées et emprisonnées en réponse aux violences perpétrées contre elles ou contre d’autres personnes dont elles sont responsables et que les taux d’incarcération des femmes autochtones continuent de monter en flèche. En 2018, par exemple, Statistique Canada a constaté que 50 % des personnes ayant déclaré avoir été victimes de violence de la part d’un partenaire intime ont elles-mêmes été inculpées. Le système juridique canadien a appliqué de manière incohérente la légitime défense aux survivants de violence fondée sur le sexe.

Plutôt que de problématiser la violence déraisonnable infligée aux femmes, notre système juridique est connu pour problématiser les réponses raisonnables des femmes à la violence déraisonnable et illégale. Au lieu de considérer comme raisonnable l’usage de la force par une femme pour lutter contre la violence de son agresseur, notre système juridique tente souvent de justifier cette force en la qualifiant de symptôme du syndrome de la femme battue, pathologisant ainsi les femmes qui tentent de se protéger et de protéger autrui.

Le Comité des affaires juridiques a récemment constaté l’incidence des préjugés systémiques discriminatoires à l’égard des femmes dans le système de justice pénale dans le cadre de son examen du projet de loi C-40. Nous avons entendu des témoignages clairs et convaincants, notamment de la part de femmes autochtones comme Rheana Worme, sur l’incapacité des criminalistes, même chevronnés et respectés, à replacer dans leur contexte la violence subie par les femmes, en particulier les femmes autochtones. Pire encore, même lorsqu’un tel contexte est déterminé par la suite, la plupart des hommes ne sont pas disposés à assumer leurs échecs antérieurs. Pensez à ce que ce comportement représente pour les autres.

Il n’est donc pas étonnant qu’à ce jour, en dépit du fait que la plupart des femmes condamnées pour des délits violents sont judiciarisées et emprisonnées pour avoir réagi à la violence perpétrée contre elles ou contre une personne dont elles s’occupent, le processus actuel de révision des condamnations n’ait pas abouti à une seule mesure de réparation pour une femme, et encore moins pour une femme autochtone.

(2030)

Comme le sénateur Manning l’a déjà souligné, les personnes qui ne connaissent pas la dynamique du pouvoir et l’élément de contrôle qui sous-tend la perpétuation de la violence faite aux femmes peuvent également ne pas connaître les contraintes juridiques, sociales et économiques imposées aux survivantes en raison du racisme, de l’insécurité liée à l’immigration et de la pauvreté. Par conséquent, ces personnes peuvent être particulièrement mal équipées pour apprécier les ramifications négatives d’une tentative d’échapper à la violence.

On ne peut pas dire que les survivantes qui n’ont pas les moyens financiers de vivre seules, ou qui craignent la réaction du système judiciaire et de la société en général, aient véritablement le choix de quitter leur partenaire violent, ce qui ne leur laisse pas d’autre option que de riposter par la force physique aux violences qu’elles subissent.

À tous les stades de l’expérience de la survivante dans le système, les autorités judiciaires doivent répondre à son témoignage et à sa conduite en tenant compte des traumatismes et avec une compréhension informée de la complexité de l’ensemble de sa situation.

Afin de faire du signalement un choix sécuritaire et fiable pour les survivantes, le gouvernement fédéral devra investir dans des mesures et des infrastructures durables et à long terme qui aident les survivantes à accéder à un plan adéquat pour assurer leur protection, qui comprend la stabilité financière, un logement sûr et à long terme et des services de soutien social. Nous devons faire en sorte que le milieu qui les accueille est sécuritaire ou, à tout le moins, plus sécuritaire que le milieu dont elles s’échappent.

L’impact du projet de loi S-249 devrait se mesurer en fonction des conséquences réelles qu’il aura pour les victimes et les survivantes qu’il est censé servir.

Les progrès en matière de réparation et de prévention de la violence entre partenaires intimes ne peuvent être réalisés qu’avec une réponse à l’échelle de la société, soutenue par le financement de la prévention et des interventions relatives à la violence fondée sur le sexe dans une mesure comparable à la réponse à une épidémie.

Ces mesures doivent viser à déraciner et à éradiquer les désavantages juridiques, sociaux et financiers qui ont maintenu l’avantage et le contrôle des hommes sur les femmes dans notre pays, et qui, de fait, ont empêché les femmes d’atteindre l’égalité réelle qu’elles méritent.

Une stratégie nationale doit également fournir aux survivantes, aux prestataires de services et à la société dans son ensemble l’éducation nécessaire pour accéder aux mesures d’intervention disponibles pour les victimes de violence, en leur fournissant les indications et le soutien nécessaires pour qu’elles puissent se réfugier dans des centres d’hébergement, accéder aux soins de santé, acquérir une stabilité financière indépendamment de leur partenaire et mener une vie exempte de violence pour elles-mêmes et pour toute personne dont elles ont la responsabilité.

Soyons clairs, chers collègues. Les auteurs de violence entre partenaires intimes et de sévices à l’encontre des femmes ne sont pas des aberrations de notre société. Ils sont plutôt le résultat extrême et trop fréquent des normes et des structures sociales patriarcales et misogynes dans lesquelles ils sont élevés, de même que nous. Ce sont des structures qui mettent l’accent sur la domination des femmes et qui permettent d’abuser d’elles sans conséquence.

Il y a plus de 30 ans, les groupes de défense des femmes ont reconnu que, pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes, il fallait bouleverser les relations de pouvoir qui maintiennent les femmes dans une position de subordination aux hommes dans notre société.

Aujourd’hui, plus que jamais, les conséquences de l’élection américaine continuent de se répercuter sur la politique canadienne. Ce projet de loi devrait nous pousser, en tant que décideurs, à faire face au défi qui n’a toujours pas été relevé.

Dans 30 ans, j’espère que nos successeurs se souviendront de ce moment comme du début d’un changement monumental dans la manière dont nous luttons contre la violence à l’égard des femmes et la violence entre partenaires intimes, en commençant par le démantèlement du statu quo structurel et systémique afin de garantir aux femmes l’égalité réelle pour laquelle nous nous sommes battues depuis longtemps et à laquelle nous avons droit. Nous le devons aux femmes du monde entier. Elles ne méritent rien de moins.

Alors que nous appuyons d’une seule voix ce projet de loi, n’oublions pas qu’il s’agit, comme l’a souligné la sénatrice Bernard, de l’objet des 16 jours pour mettre fin à la violence de cette année. Agissons maintenant. Meegwetch. Merci.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Projet de loi sur le Mois du patrimoine arabe

Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénatrice Bernard, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-232, Loi instituant le Mois du patrimoine arabe.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, je suis arrivé au Canada en 1979 pour fréquenter une école internationale nommée en l’honneur de Lester Pearson. Un de mes colocataires, Karim, venait de l’Égypte. Il m’a enseigné les seuls mots arabes que je connais, ya habibi, ce qui veut dire « mon amour ». C’est le terme affectueux qu’il utilisait envers ses colocataires et ses amies de cœur.

J’ai également rencontré Anees et Nasir, deux des premiers réfugiés arabo-palestiniens à avoir reçu une bourse d’études pour venir étudier au Canada. Leurs familles avaient été déplacées par la Nakba — ou catastrophe — de 1948.

Je me souviens très bien d’avoir eu des discussions passionnées avec eux et avec des camarades d’Israël sur la question de l’État palestinien. À l’époque, il me semblait que la création d’un État palestinien était à la fois juste et inévitable, et très probablement quelque chose que je verrais de mon vivant.

Quarante-quatre ans plus tard, non seulement il n’y a pas d’État palestinien, mais nous sommes témoins du massacre de Palestiniens à Gaza et de la relocalisation forcée de civils qui doivent quitter leur lieu de résidence, vraisemblablement pour faire place à des colonies israéliennes, ce qui est en fait une suite de la Nakba.

Vous êtes probablement déjà au courant des chiffres officiels : plus de 43 000 personnes tuées, dont plus de 17 000 enfants. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que, selon un article paru en juillet 2024 dans The Lancet, depuis le 7 octobre et uniquement dans la bande de Gaza, on estime que 186 000 Palestiniens sont morts en raison soit des actions militaires directes, soit de la famine, de la malnutrition, de maladies, de l’exposition aux éléments ou de l’impossibilité d’accéder à des soins médicaux. Ce nombre de victimes bien plus élevé est le résultat de la politique d’Israël visant à limiter l’aide humanitaire, qui fait en sorte que les médicaments essentiels et la nourriture ne parviennent pas aux civils dans la bande de Gaza.

Je souligne que la position du gouvernement du Canada exprimée par son représentant au Sénat et applaudie par les conservateurs est que les victimes civiles sont une conséquence malheureuse de la guerre, qu’il n’y a aucun obstacle à l’aide humanitaire dans la bande de Gaza et que, de toute façon, tout est la faute du Hamas.

En décembre 2023, le gouvernement a lancé un programme de visas de résidence temporaires pour les Gazaouis ayant des liens familiaux au Canada. On ne sait pas exactement si ce programme a facilité la sortie de Palestiniens de la bande de Gaza.

Le gouvernement canadien a la capacité d’approuver rapidement les demandes afin que des Palestiniens puissent quitter immédiatement la bande de Gaza, comme il l’a fait, et à juste titre, pour les Ukrainiens qui voulaient fuir l’invasion russe. Toutefois, le gouvernement choisit plutôt d’abandonner les Palestiniens dans la bande de Gaza, dont des Canadiens qui ont de la famille en Palestine. Voici ce que plus de 40 organisations de la société civile ont déclaré à propos du programme : « Le racisme anti-arabe, et surtout anti-palestinien, est omniprésent dans chacun des aspects du programme de mesures spéciales. »

Le monde entier observe avec horreur ce qui se passe dans la bande de Gaza. L’Assemblée générale des Nations unies a adopté de nombreuses résolutions en faveur de la Palestine. Le Canada s’est trouvé du mauvais côté de la plupart de ces votes. Je note toutefois que, le 20 novembre, le Canada a soutenu une résolution visant à condamner les colonies israéliennes illégales dans les territoires palestiniens occupés. Voter pour condamner les colonies illégales devrait aller de soi, mais nous avons refusé pendant 13 ans d’appuyer une telle motion.

Malgré notre engagement rhétorique en faveur d’une solution à deux États, nos actions suggèrent que nous nous contentons de vœux pieux et que nous travaillons souvent à l’encontre de cet objectif.

(2040)

Le mois dernier, le gouvernement canadien a refusé de rencontrer Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens, lors de son passage à Ottawa. Comme excuse officielle, on a dit qu’elle était antisémite, ce qui a été rejeté par de nombreux leaders juifs et experts de l’antisémitisme.

Je soupçonne que la véritable raison, c’est que nos dirigeants politiques ne supportent pas d’entendre parler des crimes de guerre commis à Gaza, qui mettent en lumière l’hypocrisie, la duplicité et, oserais-je dire, la complicité de la politique étrangère canadienne dans les violations du droit humanitaire international.

Les Arabes de Palestine et du Liban ne sont pas les seuls à souffrir aux mains des Israéliens. Les Canadiens arabes, en particulier les Canadiens palestiniens, sont également réduits au silence pour avoir exprimé leur point de vue sur l’occupation israélienne du territoire palestinien, et l’arme de choix est de plus en plus l’accusation d’antisémitisme.

Je ne conteste pas l’augmentation des actes antisémites au Canada et je rejette toute forme de haine à l’égard des Juifs en tant qu’individus, groupes ou collectivités. Il n’est cependant pas antisémite d’affirmer que les Allemands et les Italiens devraient être au premier rang de l’opposition à l’assaut sur Gaza ou que notre inconscience collective de ce qui a conduit, il y a 100 ans, au génocide par le Troisième Reich des personnes non conformes à la « race pure » conduit à la perpétration d’un autre génocide.

Je paraphrase les observations de la rapporteuse spéciale Albanese, mais ce sont là les idées que notre gouvernement a qualifiées d’antisémites et qu’il a invoquées pour ne pas la rencontrer lorsqu’elle est venue à Ottawa.

D’après la fameuse définition de travail de l’antisémitisme qui a été approuvée par le gouvernement, les Palestiniens et tous les Canadiens, y compris ceux qui sont d’origine juive, qui critiquent fortement le sionisme en Israël peuvent être accusés d’antisémitisme. Par exemple, réclamer le boycottage, le désinvestissement et des sanctions contre Israël ou contre des partisans de l’assaut israélien contre Gaza et la Cisjordanie pourrait être qualifié d’antisémite.

Utiliser la terminologie de la sorte constitue une atteinte à la liberté d’expression, au débat politique légitime et à l’activisme politique. On réprime ainsi les opinions et les droits d’une minorité de personnes — en particulier les Arabes palestiniens — qui ont un intérêt particulier dans ce débat. Chers collègues, c’est aux antipodes de la célébration du patrimoine arabe.

Prenons l’exemple du tollé qu’a provoqué récemment l’interprétation d’une chanson arabe pendant une cérémonie du jour du Souvenir dans une école secondaire en Ontario. Des politiciens provinciaux et fédéraux, y compris des députés qui ont voté en faveur de ce projet de loi, ont exprimé leur indignation parce qu’on avait utilisé l’arabe au cours de la cérémonie. Imaginez un peu : l’arabe dans une école canadienne! Eh bien, honorables collègues, si nous respectons et célébrons vraiment le patrimoine arabe, nous pouvons certainement réserver un bon accueil à une chanson arabe pendant une cérémonie organisée à la mémoire des anciens combattants canadiens, qui comptent dans leurs rangs des Canadiens d’origine arabe.

Après tout, nous avons accueilli des expressions de la culture ukrainienne lors de récentes cérémonies du jour du Souvenir, et dans ma ville, Vancouver, il y a toujours une cérémonie spéciale du jour du Souvenir dans le quartier chinois pour les anciens combattants sino-canadiens. À titre d’information, la chanson « Haza Salam » est une complainte pour la paix. Si cet incident a pu porter préjudice aux élèves, c’est en raison des graffitis qui sont apparus à l’extérieur de l’école et qui l’ont qualifiée de « Hamas High ». Où est l’indignation face à la menace qui pèse sur les élèves canadiens d’origine palestinienne et arabe?

Nous voici, chers collègues, sur le point d’adopter un projet de loi visant à faire du mois d’avril le mois de la célébration du patrimoine arabe, apparemment sans tenir compte du fait que la plus grande menace qui pèse sur le patrimoine arabe est l’insensibilité avec laquelle nous considérons les vies arabes dans la guerre d’Israël contre la Palestine et le Liban, ainsi que la suppression des points de vue palestiniens sur Gaza, ici même, au Canada. Pensons-nous sérieusement à adopter un projet de loi visant à célébrer le patrimoine arabe sans réfléchir à la manière dont la politique canadienne aide et encourage le massacre des Arabes au Moyen-Orient?

Cela ferait d’avril, pour reprendre les termes de T.S. Eliot, « le mois le plus cruel ». Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Eliot a dépeint le mois d’avril non pas dans son rôle habituel d’annonciateur de temps meilleurs, mais comme une période d’amertume et de souvenirs éprouvants. Le titre de son poème est La Terre vaine, ce qui résume assez bien le traitement qu’Israël a réservé à la bande de Gaza dans sa riposte aux attentats répréhensibles du Hamas le 7 octobre.

Pour être clair, je ne conteste pas les exemples de réalisations arabo-canadiennes au Canada qui ont été soulignés par mes collègues dans cette enceinte et à l’autre endroit. La présence arabe au Canada, qui remonte à la fin du XIXe siècle, a de nombreuses raisons d’être célébrée.

Les premiers migrants libanais en Colombie-Britannique, les frères Abraham et Farris Ray, sont arrivés en 1888. Ils ont travaillé comme marchands itinérants à Victoria. De nombreux premiers immigrants libanais ont également travaillé dans l’industrie forestière sur l’île de Vancouver. En 2023, on a inauguré la Lebanese Emigration Plaza au Centennial Park, sur la rive méridionale du port de Victoria. J’ai eu l’occasion de visiter cette place au début de l’année et de voir la statue de l’émigrant libanais, qui est une réplique des statues d’Halifax et de plusieurs autres villes qui ont d’importants liens historiques avec la diaspora libanaise.

En effet, au mois d’avril et le reste de l’année, nous devrions célébrer le patrimoine arabe et la contribution des Canadiens d’origine arabe au pays. Mais évitons aux Arabes le déshonneur d’adopter à la hâte un projet de loi qui fait délibérément fi de la souffrance des Arabes de la Palestine et du Liban, et du fait qu’on réduit au silence les Canadiens d’origine arabe en raison de leurs opinions sur la situation en Palestine.

J’espère que d’autres sénateurs participeront au débat et que nous prendrons le temps de réfléchir à ce que signifie célébrer le patrimoine arabe, compte tenu de la position du Canada envers les Arabes de la Palestine et le racisme anti-palestinien flagrant qui envahit la société.

Nous pourrions commencer par observer, ce vendredi, la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, dont l’observation a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1977. Le Canada, soit dit en passant, a voté contre cette résolution. Bien sûr, c’est le 29 novembre 1947 que l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 181 sur le partage de la Palestine.

Lorsque le moment viendra de passer au vote, je voterai en faveur du projet de loi, non seulement pour célébrer et honorer le patrimoine arabe, mais aussi pour protester contre notre complaisance collective à l’endroit du génocide et des crimes contre l’humanité qui sont commis en Palestine, et pour exprimer la lamentation pour la paix rendue dans « Haza Salam » — que le fait de déclarer le mois d’avril Mois du patrimoine arabe devrait signifier ya habibi, non pas comme dans Terre en déshérence de T.S. Eliot, mais comme dans Les contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer, qui a écrit :

Quand avril de ses averses douces

a percé la sécheresse de mars jusqu’à la racine,

et baigné chaque veine de cette liqueur

par la vertu de qui est engendrée la fleur [...]

Merci de votre attention.

(Sur la motion de la sénatrice Ataullahjan, le débat est ajourné.)

[Français]

La Loi sur la santé des animaux

Projet de loi modificatif—Quatorzième rapport du Comité de l’agriculture et des forêts—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Black, appuyée par l’honorable sénateur Downe, tendant à l’adoption du quatorzième rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts (projet de loi C-275, Loi modifiant la Loi sur la santé des animaux (biosécurité dans les exploitations agricoles), avec un amendement et des observations), présenté au Sénat le 29 octobre 2024.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le rapport du Comité de l’agriculture sur le projet de loi C-275. Vous ne serez pas surpris d’entendre que je n’aurai pas les mêmes propos que le sénateur Plett, qui a vertement critiqué ce rapport.

(2050)

[Traduction]

En résumé, le projet de loi C-275 a été présenté comme une mesure législative sur la biosécurité proposant une infraction fédérale pour dissuader les intrus dans les fermes sous prétexte qu’ils exposent le bétail à des maladies. Il propose également de punir les organisations de défense des animaux qui encouragent ou soutiennent ces intrus.

Comme je vais l’expliquer, le projet de loi tel qu’il a été rédigé à l’origine est en fait un « bâillon sur le secteur agricole ». Il vise les personnes qui souhaitent attirer l’attention du public, et parfois des forces de l’ordre, sur divers types de mauvais traitements infligés aux animaux et les révéler.

D’emblée, je tiens à souligner que, quand des étrangers pénètrent sur la propriété de quelqu’un d’autre, ils devraient être passibles de sanctions au titre des lois provinciales sur l’intrusion ou des dispositions du Code criminel, y compris celles relatives aux méfaits auxquelles certains sénateurs ont déjà fait référence dans leur discours. De même, il est crucial de reconnaître l’intérêt du public à savoir comment les animaux sont traités.

À cet égard, une décision récente de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, publiée le 2 avril dernier — après l’arrivée du projet de loi C-275 au Sénat — s’avère pertinente. Ce jugement a annulé une partie des règlements adoptés aux termes de la Loi de 2020 sur la protection contre l’entrée sans autorisation et sur la protection de la salubrité des aliments de l’Ontario visant à empêcher les opérations d’infiltration sur la cruauté envers les animaux dans les exploitations agricoles, en raison de violations de la Charte en ce qui concerne la liberté d’expression. Le juge a écrit ce qui suit :

Faire connaître la façon dont les animaux sont traités est une question qui intéresse au moins une partie de la population. La population a le droit d’être informée à ce sujet si elle le souhaite. Il lui appartiendra ensuite de déterminer si elle trouve les conditions acceptables en tenant compte des conséquences, le cas échéant, de leur modification.

Autrement dit, les dispositions du régime ontarien empêchant les opérations d’infiltration ont été jugées contraires à l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés et déraisonnables et ne pouvaient pas être sauvées au titre de l’article 1.

Malheureusement, le projet de loi à l’étude, le projet de loi C-275, vise également à empêcher les défenseurs des droits des animaux de recueillir de l’information sur les pratiques agricoles et à empêcher les opérations d’infiltration dans les exploitations agricoles.

Mon discours se déroulera en quatre parties : la première concerne les témoignages en comité sur l’objet et les effets du projet de loi, la deuxième, les préoccupations juridiques soulevées en comité, la troisième, l’incidence de l’amendement, qui est fondé sur les données probantes et qui réduit le risque de contestation judiciaire; et la quatrième, les observations, également fondées sur les données probantes.

Premièrement, comme l’indique son titre, le projet de loi C-275 prétend être lié à la biosécurité dans les exploitations agricoles. Comme le sénateur Plett l’a mentionné, la perte de milliers de poulets par mon père à cause d’une maladie très contagieuse, lorsque j’étais beaucoup plus jeune, m’a convaincu il y a longtemps que la biosécurité est extrêmement importante. Par conséquent, je suis très favorable aux mesures qui pourraient l’améliorer de façon significative.

Malheureusement, le projet de loi que notre comité a reçu, qui n’a fait l’objet d’aucun débat à l’étape de la deuxième lecture au Sénat, ne porte pas sur la biosécurité. Il s’agit plutôt d’une tentative d’empêcher la publication de rapports sur certaines pratiques adoptées par des défenseurs des droits des animaux et des enquêteurs secrets dans les exploitations agricoles.

J’en parle en raison des preuves qui ont été présentées au Comité de l’agriculture et des forêts et à la Chambre des communes. Dans son témoignage devant notre comité, la Dre Mary Jane Ireland, vétérinaire en chef du Canada, a déclaré ce qui suit au sujet de l’Agence canadienne d’inspection des aliments : « L’ACIA n’a connaissance d’aucun cas confirmé de maladie animale au Canada qui aurait été provoqué par des intrus. »

Des experts nous ont également indiqué que les intrus ne présentent qu’un risque très faible de propagation de maladies par rapport aux visiteurs et aux employés légitimes. Par exemple, des cas de maladie ont été associés au non-respect par des employés de protocoles volontaires de biosécurité, comme la présence de la grippe aviaire sur leurs chaussures. Autrement dit, on nous a indiqué que, dans sa forme actuelle, le projet de loi ne s’attaquera pas aux véritables sources de risques liés à la biosécurité dans les exploitations agricoles.

Il est à noter que le jugement de la Cour supérieure de l’Ontario dont je viens de parler brosse un tableau semblable. Le juge a noté que les témoignages d’experts qu’il avait entendus indiquaient que le plus grand risque pour la biosécurité provenait d’un animal infecté amené dans une installation ou déplacé d’une zone confinée d’une installation à une autre zone de la même installation.

Les experts ont également reconnu que certains des abus montrés dans les vidéos en caméra cachée constituaient des risques pour la biosécurité, comme des cadavres d’animaux gisant à côté d’animaux vivants, l’utilisation d’aliments moisis pour nourrir les animaux, ou le fait que des employés quittent une installation pendant une pause pour ensuite y revenir sans s’être désinfectés.

Une lettre envoyée au comité par 20 experts en maladies infectieuses a aussi révélé que, comparativement à un intrus, l’introduction d’une maladie infectieuse dans une ferme est :

[...] tout simplement beaucoup plus probable [...] à cause des travailleurs qui ont des interactions quotidiennes étroites avec les animaux.

Sur ce point, le comité a entendu Jan Hajek, professeur adjoint de clinique et spécialiste des maladies infectieuses à l’Université de la Colombie-Britannique. Il a témoigné au sujet d’un incident survenu en 2019 dans un élevage de porcs au Québec. Des intrus, qui voulaient attirer l’attention sur les conditions de l’exploitation, ont été arrêtés, poursuivis et condamnés pour diverses infractions, notamment en vertu du Code criminel.

Contrairement à l’allégation de la Couronne, le juge a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que les intrus avaient apporté une maladie ou une infection aux porcs, comme le propriétaire le prétendait. Il a plutôt attribué cela aux mauvaises conditions de l’exploitation.

Incidemment, le juge a écrit ceci dans sa décision : « Sur place, avant d’entrer dans la porcherie, les contrevenants ont revêtu des vêtements de protection : combinaisons, couvre-chaussures, gants et couvre-cheveux. »

Ils se préoccupaient des animaux.

Chers collègues, de telles mesures de protection ne semblent pas être des cas isolés. Par exemple, la décision de l’Ontario que j’ai mentionnée plus tôt fait état de preuves dans le dossier suggérant que les défenseurs des droits des animaux sont plus susceptibles d’être attentifs à la santé du bétail en raison de leur préoccupation pour les animaux. En fait, dans l’affaire de la porcherie québécoise, une enquête ultérieure du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec a consigné de multiples manquements à la biosécurité et au bien-être qui n’avaient rien à voir avec les intrus. Ils ont trouvé un animal malade nécessitant des soins, des problèmes d’accumulation de fumier, de surpeuplement, une infestation de mouches et une ventilation inadéquate.

(2100)

Le Dr Hajek a également déclaré que des études évaluées par des pairs montrent que le respect des mesures de biosécurité est variable et souvent incomplet dans les exploitations agricoles. Il a donné l’exemple de l’élevage d’animaux à fourrure, où les visons sont parfois nourris de poumons de porc ou d’entrailles de poulet broyés crus, même si cela a entraîné la transmission de la grippe aux visons et que ce n’était pas recommandé par l’agence d’inspection fédérale. Il a observé des cas où la COVID-19 s’est propagée des travailleurs aux visons, a connu des mutations et s’est à nouveau propagée aux travailleurs. La sénatrice Simons y a d’ailleurs fait référence dans son excellent discours.

En d’autres termes, le projet de loi C-275 semble être une tentative colorée non pas d’assurer la biosécurité dans les exploitations agricoles, mais plutôt de punir plus sévèrement les rares actes d’intrusion commis par des personnes que le sénateur Plett a appelées des « activistes des droits des animaux ». Il aime le mot « activistes »; il m’a qualifié d’activiste au comité.

En réalité, le parrain du projet de loi et les différents groupes de pression qui l’appuient considèrent que les lois provinciales sur les intrusions ne suffisent pas à dissuader les activistes pour la défense des animaux de s’introduire par effraction dans des fermes pour documenter d’éventuels mauvais traitements subis par les animaux.

C’est pour cela que la nouvelle infraction définie par ce projet de loi prévoit que le contrevenant encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 25 000 $ ou un emprisonnement maximal de trois mois, ou les deux. En cas de déclaration de culpabilité par mise en accusation — une autre possibilité qui s’offre à la Couronne —, le contrevenant encourt une amende maximale de 100 000 $ ou un emprisonnement maximal d’un an, ou les deux. De plus, toute organisation jugée complice des activistes encourt une amende maximale de 500 000 $.

Dans leurs témoignages, le parrain et d’autres témoins favorables au projet de loi ont dit que ces groupes d’activistes recevaient des millions de dollars et pouvaient très bien payer des amendes de 500 000 $. Lorsqu’on leur a dit que ce qu’ils disaient s’appliquait aux organisations américaines et non aux organisations canadiennes, ils n’avaient soudainement plus grand-chose à dire.

Je passe maintenant à mon deuxième point : les préoccupations juridiques liées au projet de loi C-275 dans sa forme actuelle.

La Dre Mary Jane Ireland, vétérinaire en chef du Canada, a déclaré au comité que le libellé du projet de loi posait des risques sur le plan juridique. Voici ce qu’elle a dit :

Il y a un risque que l’interdiction ne constitue pas un exercice valide du pouvoir fédéral en matière d’agriculture, qui se limite aux exploitations agricoles qui sont « à la ferme ».

Devant le Comité sénatorial de l’agriculture, j’ai demandé à la Dre Ireland si elle avait reçu un avis juridique du ministère de la Justice du Canada avant de faire cette déclaration. Sa réponse a été « oui ». Elle a ajouté qu’elle s’en tenait à ce qu’elle avait dit à l’autre endroit.

En fait, le pouvoir fédéral en matière d’agriculture se trouve à l’article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans son discours, le sénateur Cotter en a parlé comme d’une assise potentielle pour justifier la validité du projet de loi. L’article 95 prévoit ce qui suit :

Dans chaque province, la législature pourra faire des lois relatives à l’agriculture et à l’immigration dans cette province; et il est par la présente déclaré que le parlement du Canada pourra de temps à autre faire des lois relatives à l’agriculture et à l’immigration dans toutes les provinces ou aucune d’elles en particulier [...]

D’après les recherches effectuées par mon bureau, il semble qu’on ait rarement recours à l’article 95 aujourd’hui. Néanmoins, nous disposons de quelques indications sur ce qui peut et ne peut pas être accompli au titre de l’article 95. Par exemple, un récent article du professeur Andrew Leach paru dans la UBC Law Review indique ce qui suit :

L’agriculture est une compétence partagée entre les provinces et le gouvernement fédéral, conformément à l’article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867. La compétence partagée concerne strictement la production et non les transactions effectuées en dehors de la ferme [...]

Dans la deuxième édition de l’ouvrage Agriculture Law in Canada, publié en 2019, on indique ceci au sujet de l’article 95 : « Selon la sagesse judiciaire qui prévaut, l’article devrait être interprété de façon très stricte. »

Toutefois, il est évident que le champ d’application du projet de loi C-275 ne se limitera pas aux activités menées à l’intérieur des exploitations agricoles. Le projet de loi s’appliquera à tout « bâtiment ou […] enclos où se trouvent des animaux », ce qui pourrait inclure les abattoirs, les sites de rétention temporaire, les foires agricoles, les camions et autres moyens de transport, les usines à chiots, les animaleries, les refuges pour animaux, les zoos, les résidences privées, etc.

Chers collègues, dans ce contexte, les arguments pour appuyer certaines dispositions du projet de loi C-275 au titre de l’article 95 de la Loi constitutionnelle semblent douteux ou, à tout le moins, très discutables, et ils ouvrent la porte à un examen approfondi, ce qui n’a pas été fait au comité.

Notamment, je tiens également à mentionner que le 24 octobre dernier, le gouvernement de l’Alberta a déclaré que l’article 95 « [...] prévoit que l’agriculture relève exclusivement des provinces ». Il a fait cette déclaration dans un document intitulé « Standing up for Alberta’s livestock industry », qui critique le projet de loi C-293, Loi concernant la prévention et la préparation en matière de pandémie, dont nous sommes actuellement saisis à l’étape de la deuxième lecture.

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec la déclaration de l’Alberta. Comme le sénateur Cotter, je crois que l’article 95 accorde au Parlement certains pouvoirs pour adopter des lois relatives à l’agriculture, notamment en lien avec la biosécurité à l’intérieur des exploitations agricoles. Par conséquent, la déclaration du gouvernement de l’Alberta semble inexacte, du moins à mes yeux.

Néanmoins, je tire deux conclusions de la position du gouvernement de l’Alberta. Premièrement, la mesure dans laquelle le Parlement peut agir en vertu de l’article 95 peut faire l’objet d’arguments et de contestations judiciaires. Après tout, je suppose que l’Alberta a consulté son procureur général avant d’affirmer que l’article 95 place l’agriculture dans les compétences exclusives de la province. Deuxièmement, je déduis de la position de l’Alberta que l’industrie agricole de cette province n’est pas très enthousiaste à l’idée d’être réglementée par le Parlement agissant en vertu de l’article 95.

Quoi qu’il en soit, d’après les commentaires du parrain du projet de loi à l’autre endroit ainsi que d’autres partisans du projet de loi, ce dernier semble s’appuyer davantage sur le pouvoir du Parlement en matière de lois pénales, qui figure au paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Cependant, la Cour suprême du Canada nous rappelle que l’exercice d’un tel pouvoir nécessite un objectif de droit pénal. La décision la plus récente de la Cour suprême concernant l’exercice du pouvoir fédéral en matière de droit pénal concerne l’adoption, en 2017, par le Sénat, et plus tard par l’autre endroit, de la Loi sur la non-discrimination génétique, dont la constitutionnalité a ensuite été contestée par le gouvernement du Québec, une contestation qui a été appuyée par le procureur général du Canada. Les deux ont perdu devant la Cour suprême.

La Cour suprême a rendu sa décision en 2020. Bien que les neuf juges de la Cour suprême aient convenu que la loi semblait viser un objectif de droit pénal, à savoir la santé publique, ils étaient divisés à cinq contre quatre sur la constitutionnalité de la loi.

(2110)

Au sujet de cette décision, Peter Hogg, un des plus grands constitutionnalistes du pays, a écrit ceci :

La Cour s’est à nouveau divisée sur le rôle que le préjudice devrait jouer dans la détermination de l’étendue du pouvoir du droit pénal. La juge Karakatsanis (au nom de trois juges) a approuvé une approche de l’objet du droit pénal qui exige une « appréhension raisonnée de préjudice » à un intérêt public [...] Elle a déclaré que « le degré de gravité du préjudice n’a pas à être établi pour [que le Parlement] puisse légiférer en matière criminelle ». L’appréhension du préjudice par le Parlement doit simplement être « raisonnée » et « son intervention législative [doit constituer] une réponse à ce préjudice appréhendé ».

En revanche, le juge Kasirer (au nom de quatre juges) a approuvé [...] une approche selon laquelle le préjudice joue un rôle important dans la limitation de la portée du pouvoir de légiférer en matière pénale. Il a défini un test en trois étapes à utiliser pour déterminer si une loi fédérale satisfait à l’exigence de finalité du droit pénal [en vertu de la Constitution]. Selon ce test en trois étapes, une cour doit déterminer si : (1) la loi fédérale se rattache « à un objectif public, par exemple la paix publique, l’ordre, la sécurité, la santé ou la moralité »; (2) la loi fédérale cherche à supprimer ou à prévenir une « menace bien définie » à l’objectif public concerné; (3) la menace à l’objectif public concerné est « “réelle”, en ce sens que le Parlement avait un fondement concret et une crainte raisonnée de préjudice lorsqu’il a adopté » la loi fédérale.

Si le projet de loi C-275, dans sa version initiale, devait être adopté, j’ose dire que les contestataires soutiendraient, à la lumière des témoignages entendus au comité, que le Parlement n’avait aucun motif concret pour soutenir une crainte raisonnée de préjudice en adoptant un projet de loi qui visait certains risques vagues et non prouvés de biosécurité attribuables à des intrus occasionnels, mais pas les sources de risques plus graves, comme les employés et les visiteurs qui ne se conforment pas quotidiennement aux protocoles suggérés.

En somme, dans sa forme originale, le projet de loi C-275 propose la création d’une infraction en lien avec des risques de biosécurité infinitésimaux tout en excluant, du même souffle, les risques graves prouvés. Je pense que c’est une bonne façon de contester un projet de loi.

C’est pourquoi, en parlant de l’exclusion visant les travailleurs agricoles des interdictions concernant le risque de propagation de maladies, les professeures de droit Angela Fernandez, de l’Université de Toronto, et Jodi Lazare, de l’Université Dalhousie, ont indiqué que ce décalage entre l’objectif déclaré du projet de loi et ses effets peut, dans son libellé actuel, soulever des questions de conformité constitutionnelle en ce qui concerne la compétence fédérale en matière de droit criminel.

La professeure Jodi Lazare a déclaré :

D’un point de vue constitutionnel, il s’agit donc, à mon avis et comme on l’a répété ici, d’un projet de loi sur l’intrusion, intrusion qui peut ou non, sur la base des données probantes, avoir des effets accessoires ou secondaires sur la biosécurité. Il est indubitable que le projet de loi vise à mettre un terme à l’activisme et à l’intrusion, ainsi qu’à protéger la production animale. De fait, il a été affirmé explicitement à quelques occasions déjà que le projet de loi concernait la protection de la propriété privée.

Malgré ces préoccupations, pourquoi les partisans du projet de loi tiennent-ils autant à le limiter aux intrus? La réponse est devenue évidente à la lumière de différents témoignages. Il s’agit de protéger les producteurs de viande contre les signalements négatifs des défenseurs des droits des animaux concernant leurs pratiques agricoles, rapports qui sont néfastes pour leurs affaires. En effet, la loi ontarienne sur la biodiversité et ses équivalents dans d’autres provinces ont le même objectif. Elles stipulent que le fait pour une personne d’être employée sous de faux motifs fait d’elle un intrus non autorisé légalement à se trouver sur l’exploitation agricole. En d’autres mots, selon ces lois provinciales, si quelqu’un décroche un emploi en cachant qu’il est un défenseur des droits des animaux ou un journaliste, ou encore qu’il veut rédiger un rapport en secret, il sera considéré comme un intrus.

La loi ontarienne et certains règlements adoptés en vertu de cette loi ont été contestés devant la Cour supérieure de l’Ontario qui, comme je l’ai dit, a déclaré qu’il s’agissait d’une violation des libertés garanties par la Charte et que cette violation était injustifiée en vertu de l’article 1. Malgré cette décision et les préoccupations qu’elle a soulevées à l’égard du projet de loi C-275, aucune analyse de conformité à la Charte n’a été fournie au comité et aucun énoncé concernant la Charte n’a été déposé à la Chambre. D’ailleurs, le sénateur Gold a laissé entendre la semaine dernière qu’on n’aurait peut-être pas droit à un tel énoncé.

On ne peut nier les effets dissuasifs prévus par le projet de loi C-275 dans sa forme initiale. Comme nous le savons, les opérations d’infiltration ont parfois permis de signaler des cas de cruauté envers les animaux dans des exploitations agricoles au Canada. Des images vidéo d’un dénonciateur de Paragon Farms, en Ontario, ont amené leurs sociétés à plaider coupables à des accusations de cruauté envers les animaux et à payer une amende de 20 000 $ en 2023. Les plaidoyers de culpabilité se rapportaient à une césarienne pratiquée de façon illégale sur une truie vivante et à des porcelets qu’on avait castrés et dont on avait coupé la queue sans soulager leur douleur.

En 2021, un éleveur de visons de l’Ontario a été déclaré coupable et condamné à une amende pour avoir enfreint les dispositions législatives de l’Ontario en matière de protection des animaux à la suite d’un reportage d’infiltration. Les images montraient des conditions insalubres, des visons enfermés dans de minuscules cages et des visons souffrant de plaies non traitées et suppurantes. Des animaux avaient souvent des comportements répétitifs associés à une mauvaise santé psychologique, comme faire les cent pas et tourner en rond rapidement dans leur cage.

De plus, il n’existe aucune justification en matière de biosécurité pour punir les employés infiltrés. Pour en revenir au jugement de l’Ontario dont j’ai parlé plus tôt, le juge a dit :

Il pourrait s’agir d’un employé modèle qui a respecté tous les protocoles de biosécurité, qui a traité les animaux avec le plus grand soin et qui a assuré la sécurité de ses collègues.

En fait, il est inacceptable d’étiqueter des employés infiltrés comme des intrus. Comme l’a écrit le juge de l’Ontario:

[...] même si les gens ne sont pas « autrement libres de se livrer » à l’intrusion, ils sont par ailleurs libres d’accéder à d’autres lieux en utilisant des prétextes sans être punis par l’État. L’État ne pénalise pas ou ne qualifie pas d’intrus les gens qui exagèrent leur passion pour une industrie donnée lors d’une entrevue d’emploi ou qui entrent dans un bar en prétendant avoir 19 ans alors qu’ils ne les ont pas.

Chers collègues, en ce qui concerne les employés infiltrés, c’est bien de la liberté d’expression qu’il est question. Bien sûr, en ce qui concerne la loi de l’Ontario, la province a soutenu le contraire. Elle a fait valoir que l’objectif politique de certains intervenants n’est pas d’améliorer le bien-être des animaux, mais plutôt d’éliminer l’utilisation d’animaux au service des humains autrement que pour la production de viande. L’Ontario a cherché à faire valoir qu’il est illégal d’obtenir un emploi dans le but d’espionner l’employeur pour le compte d’une autre personne ou d’un autre groupe. Elle a soutenu que la loi en question interdisait l’intrusion illicite et ne visait pas la liberté d’expression. Toutefois, comme l’a fait remarquer le juge, il s’agit là d’un raisonnement quelque peu circulaire. Il est facile de comprendre pourquoi. Il y a très peu de différence entre un employé infiltré et un employé réel.

Pour citer à nouveau la décision :

Dans le scénario en question, l’employé se trouve sur les lieux avec le consentement du propriétaire. L’employeur souhaite que l’employé soit présent tous les jours pour s’acquitter de ses tâches. Exception faite des enregistrements clandestins ou d’autres communications sur ce que l’employé voit, tout ce que l’employé fait, y compris l’interaction avec les animaux, se fait avec le consentement de l’employeur. En effet, l’employé suit les instructions de l’employeur. L’employé devient un intrus seulement lorsqu’il nie être affilié à un groupe de défense des droits des animaux. C’est cela qui fait de lui un intrus.

Il convient de signaler que la négation est compatible avec les valeurs qui sous-tendent la liberté d’expression.

(2120)

Comme l’a observé le juge :

Bien que l’on puisse être d’accord ou non avec les [défenseurs des droits des animaux], l’objectif qu’ils poursuivent en menant des enquêtes secrètes est conforme aux principes qui sous-tendent la liberté d’expression. Ils cherchent à informer le public des conditions dans lesquelles les animaux sont élevés et abattus. Ils le font pour provoquer des changements sociaux et politiques. Ils le font dans le but de s’épanouir.

Le juge a ajouté ceci :

Le fait qu’un employé potentiel nie toute association avec des groupes de défense des droits des animaux lors d’un entretien d’embauche ne menace pas la biosécurité, la chaîne d’approvisionnement alimentaire ou la sécurité des animaux. Pas plus que l’acte de suivi d’un tel activiste communiquant ce qu’il voit dans une installation agricole.

Je regrette que nous n’ayons pas eu l’occasion d’examiner correctement ces questions et développements juridiques, y compris les interactions potentielles du projet de loi C‑275 avec les lois provinciales, comme la loi ontarienne interdisant les opérations d’infiltration. Il est certain que nous ne les avons pas examinées au comité. En fait, ces aspects auraient davantage convenu au Comité des affaires juridiques. Il aurait également été utile d’avoir un débat à l’étape de la deuxième lecture sur ce projet de loi afin d’examiner ces questions avant l’étape du comité.

En conclusion, tout comme la loi ontarienne, le projet de loi C‑275 mérite d’être qualifié de bâillon pour le secteur agricole, car il vise les défenseurs des droits des animaux et les journalistes afin de prévenir toute publicité négative. Je pense que notre société devrait adopter une approche différente.

Comme le juge de l’Ontario l’a dit :

Plutôt que de punir l’expression, la réponse la plus proportionnée est un contre-discours qui explique les pratiques en question et pourquoi elles sont nécessaires. Il appartiendra alors au consensus social de déterminer si la pratique peut être maintenue ou si elle doit être modifiée.

J’en viens maintenant à mon troisième point : l’amendement ajouté au comité, aujourd’hui contesté par le leader conservateur au Sénat et ses partisans.

Au comité, le sénateur Plett a lui-même proposé des amendements après avoir entendu les témoignages de Mme Lazare et de Mme Fernandez qui mettaient en doute la constitutionnalité du projet de loi. Le sénateur Plett avait alors dit ceci : « Ne dites pas qu’il est inconstitutionnel et ne jetez pas le bébé avec l’eau du bain. Améliorons-le. »

Or, le sénateur Plett vous dit aujourd’hui dans cette enceinte qu’il s’oppose à tout amendement au projet de loi. Je suis d’accord avec ce qu’avait d’abord affirmé le sénateur Plett : un amendement est la meilleure solution, et nous devrions adopter un véritable projet de loi sur la biosécurité au lieu de tenter de faire taire les gens de manière déguisée.

À cet égard, je souligne que Mme Lazare a suggéré que les mesures de biosécurité prévues par le projet de loi s’appliquent à tous les membres de l’exploitation agricole, de sorte que l’objectif et les effets correspondent au titre du projet de loi. En réponse à une question du sénateur Plett, Mme Lazare a déclaré ceci :

Si vous me permettez de répondre à une question précédente sur la façon dont nous pourrions amender le projet de loi plutôt que de jeter le bébé avec l’eau du bain, si le projet s’appliquait à toute personne qui pénètre dans une exploitation agricole, si toute personne risquant d’introduire un contaminant ou une maladie dans une ferme pouvait être tenue responsable, ce serait un projet de loi sur la biodiversité. Ce serait quelque chose que le gouvernement fédéral pourrait faire dans le cadre de sa compétence en matière de droit pénal, ce qui couvre la santé publique et la sécurité. Dans sa forme actuelle, c’est un projet de loi sur l’intrusion; il ne cible pas la biodiversité.

Il convient également de noter que dans le récent jugement de l’Ontario auquel j’ai fait référence précédemment, le déposant du gouvernement de l’Ontario a reconnu lors du contre-interrogatoire que toute préoccupation relative à la biosécurité :

[...] serait au moins aussi bien prise en compte qu’elle l’est en vertu de la loi si toutes les personnes se trouvant dans les zones de protection des animaux étaient tenues de respecter les protocoles de biosécurité.

Chers collègues, c’est ce que fait l’amendement adopté par le comité en supprimant simplement « sans autorisation ou excuse légitime », cinq mots qui ont suscité beaucoup d’interrogations, comme je l’ai démontré jusqu’à présent. Cela atténue les préoccupations constitutionnelles en s’attaquant à toutes les situations qui représentent une menace réelle ou potentielle pour la biosécurité. Cela nous donne également quelque chose qui ressemble davantage à un projet de loi sur la biosécurité.

Soyons clairs, avec l’amendement, les intrus demeurent visés par l’interdiction, même s’ils n’ont jamais causé de cas confirmé de maladie animale. L’amendement ajoute à l’intention du projet de loi une approche rationnelle et fondée sur les données probantes et fait de la mesure une véritable mesure de biosécurité plutôt qu’une loi qui vise à imposer un bâillon au secteur agricole.

On a laissé entendre que la suppression de ces termes priverait les travailleurs et les visiteurs de toute protection et les exposerait à des accusations au titre de l’infraction nouvellement créée en cas de plainte déposée à la police par le propriétaire de l’exploitation agricole. Cependant, à mon humble avis, la protection des travailleurs agricoles, des visiteurs, des livreurs et autres personnes ne se trouve pas dans ces termes, mais dans l’un des éléments essentiels de l’infraction, à savoir que la conduite interdite — pénétrer dans un bâtiment ou un enclos où se trouvent des animaux — risque :

... vraisemblablement d’exposer les animaux à une maladie ou à une substance toxique susceptible de les contaminer.

Premièrement, il faut entrer et, deuxièmement, il faut être un risque.

Autrement dit, seules les personnes qui ignorent intentionnellement, par négligence ou par insouciance, les risques en matière de biosécurité pourraient être tenues responsables. Tant que les travailleurs agricoles, les visiteurs, les livreurs et les intrus respectent les protocoles ou les pratiques pertinents, ils ne peuvent pas être condamnés au titre de la mesure législative proposée.

D’ailleurs, au comité, la sénatrice Marshall a soulevé bien des questions et des commentaires sur cet élément essentiel de l’infraction proposée. Permettez-moi de citer l’une de ses interventions :

Je tiens à préciser que l’amendement en soi ne porte pas du tout sur l’intrusion. Quand je lis l’amendement[...]

 — elle parle du fait que le projet de loi modifie la Loi sur la santé des animaux —

[...] il y a intrusion si « [...] ce fait risquerait vraisemblablement d’exposer les animaux à une maladie ou à une substance toxique [...] ».

En lisant l’amendement, je n’ai pas l’impression que vous mettez l’accent sur l’intrusion; c’est un type précis d’intrusion. C’est une portée plus étroite.

Je dirais que la sénatrice Marshall n’est peut-être pas avocate de formation, mais elle a un bon raisonnement juridique.

Chers collègues, pourquoi un employé qui ignore délibérément ou imprudemment les protocoles de biosécurité devrait-il être protégé par le fait qu’il se trouve légalement sur les lieux? Pourquoi un employé qui propage délibérément une maladie ne serait-il pas couvert par une véritable loi sur la biosécurité?

[Français]

Je passe maintenant à mon dernier point : l’observation. Cette observation invite simplement le gouvernement à adopter des règlements pour protéger la biosécurité dans les fermes en vertu de l’article 64 de la Loi sur la santé des animaux, que ce projet de loi propose de modifier. Cela ferait en sorte que les protocoles qui sont actuellement facultatifs sur les fermes deviennent obligatoires, car prescrits par le règlement.

Je comprends que le sénateur Plett ne soutienne pas cette invitation au gouvernement, parce que, selon lui, la biosécurité devrait être laissée à la discrétion de chaque agriculteur, même si le non-respect des protocoles suggérés pourrait se solder par une épidémie qui aurait des effets dévastateurs, non seulement sur sa ferme, mais sur la ferme de ses voisins.

En somme, l’observation adoptée par la majorité des membres du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts découle de la preuve qui a été faite devant le comité du caractère insuffisant des protocoles volontaires mis en vigueur, qui sont souvent non respectés.

[Traduction]

Honorables sénateurs, l’amendement du Comité de l’agriculture et des forêts permet maintenant au projet de loi C‑275 d’améliorer de façon considérable la biosécurité dans les fermes et ne constitue pas un projet de loi sans imposer un bâillon dans le secteur agricole qui mènerait à une contestation du projet de loi devant les tribunaux. Je vous invite à adopter le rapport et, si nécessaire, à renvoyer ce projet de loi à la Chambre des communes pour une réflexion plus approfondie.

Merci. Meegwetch.

Son Honneur la Présidente : Je vois que la sénatrice Batters a une question.

Sénateur Dalphond, acceptez-vous de répondre à une question?

[Français]

Le sénateur Dalphond : Avec plaisir.

[Traduction]

L’honorable Denise Batters : Merci. Sénateur Dalphond, dans votre discours, vous avez dit que le projet de loi C-275 n’était pas accompagné d’un énoncé concernant la Charte. Bien sûr, comme vous vous en souviendrez, j’en suis sûr, il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire, et les énoncés concernant la Charte sont préparés par le gouvernement. Il me semble qu’on n’en prépare pas pour les projets de loi d’initiative parlementaire, et que, généralement, on le fait seulement pour les projets de loi d’initiative ministérielle.

(2130)

Vous avez en quelque sorte un projet de loi d’initiative parlementaire, car vous avez présenté un projet de loi d’intérêt public au Sénat, le projet de loi S-256, et je me demande si vous avez un énoncé concernant la Charte pour ce projet de loi. Vous en avez peut-être préparé un vous-même, mais y en a-t-il pour ces projets de loi? N’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’en général, ils ne sont préparés que pour les projets de loi d’initiative ministérielle?

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie de cette question, sénatrice Batters. Cela me donne l’occasion de clarifier mes propos. Je parlais peut-être trop vite pour m’assurer de tout aborder. Ce que j’ai dit, c’est que le sénateur Gold, dans son discours au nom du gouvernement, a déclaré que le gouvernement appuyait le projet de loi avant l’amendement et était opposé à l’amendement. Je lui ai demandé si la question de la Charte avait été examinée et si le gouvernement était d’avis qu’il s’agissait d’un projet de loi valide qui ne posait aucun problème sur le plan constitutionnel, puisqu’il avait probablement reçu une analyse de conformité à la Charte, puis j’ai ajouté : « Il y a peut-être un énoncé concernant la Charte, alors pourrions-nous en avoir une copie? »

Je n’ai pas dit que les projets de loi d’initiative parlementaire doivent faire l’objet d’un énoncé concernant la Charte. Je viens tout juste de dire que, lorsque le gouvernement déclare qu’il appuie un projet de loi, il doit s’assurer que ce projet de loi est constitutionnel et qui respecte la Charte des droits, parce que le gouvernement s’est toujours engagé à respecter la Charte des droits et à ne jamais utiliser la disposition de dérogation.

La sénatrice Batters : Je vais relire le compte rendu pour savoir ce que vous avez dit exactement. J’ai pris en note que vous aviez fait allusion à l’absence d’un énoncé concernant la Charte pour le projet de loi. Je vous demande simplement de confirmer qu’en général le gouvernement ne rédige pas d’énoncé concernant la Charte pour les projets de loi d’initiative parlementaire et que vous n’en avez pas pour votre projet de loi d’initiative parlementaire.

Le sénateur Dalphond : Je vais répéter ma réponse en français pour m’assurer qu’elle soit bien comprise.

[Français]

Sénatrice Batters, cela me fait plaisir de répéter ce que j’ai dit en anglais un peu plus tôt. Mon commentaire fait suite à la question que j’ai posée au sénateur Gold lorsqu’il a fait son discours la semaine dernière sur le projet de loi C-275, dans lequel il a indiqué que, avec respect pour moi, le gouvernement n’était pas d’accord avec ce que j’avais fait, ce qui démentait ce que le sénateur Plett avait dit, soit que j’agissais conformément aux instructions du premier ministre. Par la suite, il a déclaré que le gouvernement était d’accord avec ce projet de loi et qu’il l’appuyait totalement, sans l’amendement.

Je me suis levé et j’ai posé respectueusement cette question au sénateur Gold : « Sénateur Gold, puisque vous dites que le gouvernement soutient ce projet de loi et que le Cabinet l’a étudié, avez-vous eu une opinion constitutionnelle avant que le gouvernement ne se prononce? Est-ce que le gouvernement a obtenu une déclaration de conformité à la Charte? Si oui, pourriez-vous nous en produire une copie? »

Je n’ai jamais dit que le projet de loi que vous avez fait adopter récemment pour modifier le Code criminel requérait une déclaration de conformité ou que vous devriez en faire une. Je n’ai jamais dit cela, et je ne le dis pas non plus aujourd’hui. J’espère que c’est plus clair en français qu’en anglais. Merci.

[Traduction]

L’honorable David Richards : Honorables sénateurs, je serai bref, plus bref que le sénateur Dalphond. J’ai bien aimé votre discours, sénateur Dalphond. Vous êtes un juge, et, comme vous me l’avez dit, je n’en suis pas un. Or, vous saurez que je m’intéressais à ce sujet bien avant que ce projet de loi ne soit présenté. Je m’y intéresse depuis que je suis enfant, à l’époque où je me disputais avec mes amis qui laissaient les chevaux courir librement sur la route près de Tracadie pour qu’ils se fassent frapper par des camions. Ils pensaient tous qu’ils faisaient du bon travail. Ils pensaient tous qu’ils agissaient pour le bien des animaux qu’ils croyaient protéger. Je me suis donc pointé aux travaux du comité avec une petite idée en tête de la façon dont les activistes pour les droits des animaux — et je sais que vous n’aimez pas cette appellation — agissent.

Ce projet de loi ne concerne pas tant les journalistes d’enquête — car ceux-ci vont toujours trouver un moyen d’arriver à leurs fins, et vous le savez — que les dégâts causés volontairement et sans aucune raison valable aux installations et aux animaux et la menace, même future, posée par la propagation de maladies en raison de la présence dans les fermes de personnes qui n’ont rien à y faire. Voilà le problème.

George Orwell a dit à propos du mahatma Gandhi — et il y a beaucoup de raisons de vénérer le mahatma Gandhi — que tous les saints devraient être considérés comme étant coupables jusqu’à ce qu’on puisse prouver leur innocence. Dans un sens, nous sommes en proie à un genre de nouvelle théocratie avec les activistes pour les droits des animaux. J’estime que le passage le plus important du projet de loi est « sans autorisation ou excuse légitime » de se trouver sur les lieux. Et j’estime également que la propriété privée est sacrosainte. Je crois que c’est là où le bât blesse avec cet amendement. Vous accordez beaucoup trop de crédit aux activistes. Je ne parle pas des journalistes d’enquête. Ce n’est pas du tout la même chose. Je crois que vous mélangez les pommes et les oranges.

Je me demande si l’amendement proposé n’accorde pas aux activistes pour les droits des animaux une importance qu’ils ne méritent pas et s’il n’amène pas l’éleveur à adopter le même point de vue cynique que ceux qui veulent détruire son gagne-pain.

Je me demande si l’amendement donne aux intrus un crédit qu’ils ne méritent pas, à savoir que leurs actes perturbateurs dans une grange au beau milieu de la nuit entraînent un transfert biologique qui devrait être interdit, que leur ADN ne devrait pas se retrouver dans les endroits où ils veulent semer le chaos. En effet, ce qu’ils veulent, c’est semer volontairement le chaos, et leurs gestes sont de nature criminelle et incluent la cruauté envers les animaux.

Le pire, à mon avis, est que je ne crois pas que leur intérêt soit exempt d’un narcissisme certain qui efface toujours toute trace de bienveillance. Voyez-vous, il est toujours dans l’intérêt des journalistes d’enquête qui se font embaucher d’attendre un mois pour réussir à prendre une photo et pondre un reportage sur un cas d’animal maltraité — et j’en connais un qui a justement fait cela. Mais n’importe quel journaliste d’enquête pourrait constater que les activistes pour les droits des animaux se rendent chaque nuit responsables, volontairement ou non, de cruauté envers les animaux en libérant dans la nature des animaux qui ne connaissent rien d’autre que la ferme et qui s’en trouvent terrorisés. Je pense aux chevaux qui ont été tués sur l’autoroute 11.

Bien souvent, ces activistes ne font l’objet d’aucune surveillance. Nous les croyons sur parole quand ils affirment qu’ils agissent avec retenue et dans le plus grand respect et qu’ils observent toutes les règles liées à la propreté lorsqu’ils lâchent des animaux dans la nature à 3 heures du matin, ce qu’ils font souvent. Certains diraient que ces activistes sont consciencieux au point de ne jamais faire entrer de contaminants biologiques dans les endroits où ils s’introduisent. Peut-être que c’est vrai et qu’ils possèdent l’équipement sophistiqué nécessaire pour empêcher cela. Ce que je dis, c’est que l’intrusion elle-même constitue une perturbation biologique qui ne devrait pas être autorisée par un amendement qui accorde un soutien tacite à ces semeurs de chaos retors en imposant le même fardeau aux agriculteurs chez qui ils s’introduisent.

Est-il vrai qu’ils peuvent se soucier autant du bien-être des animaux que les agriculteurs qui en dépendent? Exploitent-ils plutôt les animaux et les agriculteurs par vanité? Si je suis cynique, c’est uniquement à l’égard de ceux qui le sont eux-mêmes.

Pire encore, l’idée même que leur invasion est non violente et bénéfique montre à quel point le principe de non-violence est devenu corrompu dans notre société. Leur résistance passive se fonde sur la tyrannie des suppositions et de la vanité. Comme tant d’autres résistances passives, elle porte en elle les germes de la haine. J’observe ce qui se passe depuis des années et, comme Orwell, que j’ai mentionné, j’ai compris qu’il en était ainsi.

Non, tous les agriculteurs ne sont pas bons. J’en ai vu beaucoup qui ne l’étaient pas. Tous les ouvriers agricoles ne sont pas justes. J’en ai vu beaucoup qui ne l’étaient pas. J’ai visité suffisamment d’élevages de chevaux et de bétail pour le savoir. Il reste qu’ils sont nombreux à être bons et qu’ils sont encore plus à essayer de l’être. Je sais toutefois que beaucoup de gens se méfient des agriculteurs, et cet amendement approuve essentiellement ce cynisme. Les agriculteurs se retrouvent dans la même position que ceux qui veulent les détruire. Ce doit être un sort horrible pour les agriculteurs qui ont toujours travaillé que d’être pendus aux côtés de ceux qui veulent détruire ce que leur famille a essayé de sauvegarder, l’œuvre d’une vie.

Cet amendement, du moins de manière symbolique, le permet — je dis que c’est le cas symboliquement. Nous savons que cet amendement entraînera le rejet du projet de loi. L’agriculteur et son destructeur seront tous les deux suspects de la même manière, mais, pour une raison quelconque, je crois que l’agriculteur le sera davantage, et c’est ce que votre discours prouve déjà.

(2140)

Une chose est sûre : les voleurs qui pénètrent clandestinement dans une exploitation agricole au milieu de la nuit ne le font pas pour la sauver, mais pour la saboter. Ce faisant, ils deviennent l’agent biologique qui ne devrait pas être autorisé. Je pose la question suivante : est-ce que cela les dérangerait que les animaux tombent malades, puis meurent, ce qui plongerait l’exploitation agricole en situation d’insolvabilité?

Cet amendement alimente le scepticisme et la méfiance à l’égard des agriculteurs que les défenseurs des droits des animaux souhaitent susciter chez les habitants des milieux urbains. Il leur donne une victoire qu’ils ne méritent pas.

Un mauvais agriculteur sera connu pour cela. Un reporteur-enquêteur le découvrira tôt ou tard si personne d’autre ne le fait. Un bon agriculteur sera également connu pour cela. Je me demande toutefois si de nombreux défenseurs des droits des animaux élèvent des vaches, des moutons et des volailles et les entretiennent au prix d’un travail éreintant, non pas pour les destiner à l’abattoir, mais pour les garder en sécurité. Possèdent-ils des granges et des propriétés pour accueillir des animaux et les entretenir? Quel défenseur des droits des animaux ai-je déjà connu qui fait preuve d’une telle sollicitude et d’un tel altruisme? Combien de défenseurs des droits des animaux se sont alarmés de la grippe aviaire au cours des deux derniers mois? Je sais que la plupart des agriculteurs de l’Ouest l’ont fait.

S’ils s’en souciaient vraiment, ils entretiendraient des propriétés pour aider les animaux qu’ils souhaitent protéger. On ne verrait pas les défenseurs des animaux vêtus de cagoules, pénétrant dans les étables avec la vision limitée des révolutionnaires contemporains. On les verrait plutôt décharger du foin pour les chevaux et donner du grain au bétail. Nous pourrions voir des agneaux et des brebis dans leurs cours et des canards dans leurs étangs. Ils seraient vétérinaires et étudieraient les maladies en espérant des remèdes. Vous pouvez penser que ce que je dis est frivole et que certains sont vétérinaires, mais ce sont des cas trop rares.

Bon nombre de ces militants sont les enfants adoptifs de ceux avec qui j’ai grandi, les militants de ma jeunesse qui avaient l’intention de sauver le monde et, étant donné leur ego immense, ont fini par détester tous ceux qui en font partie. Je préfère à tous ces militants la petite fille qui nourrit ses poulets et recueille les œufs du matin, car elle comprend mieux la nature de l’amour. Il est raisonnable de présumer qu’elle est plus près de la vérité qu’ils ne le seront jamais.

L’autoréglementation à laquelle s’astreignent la plupart des agriculteurs pour maintenir la sécurité de leur ferme et la lucidité des gens qui s’y trouvent ne sera plus acceptée — elle ne l’est déjà plus —, et pourtant, le bénéfice du doute sera toujours accordé à ceux qui entrent sur les lieux par effraction et disperse les animaux d’élevage.

Je sais que les bestiaux sont destinés à l’abattoir, mais à moins que nous ne devenions tous végétariens de notre plein gré, c’est le prix à payer. Comme je l’ai dit il y a longtemps dans un essai, à moins que nous ne devenions tous végétariens de notre plein gré, nous devrions être moralement obligés de tuer ce que nous mangeons au moins une fois au cours de notre vie. Nous comprendrions alors peut-être ce que les éleveurs font pour nous chaque jour. Nous devrions célébrer ce qu’ils ont de meilleur, et non pas les traquer dans l’obscurité.

Cet amendement en soi permet, par sa transposition, une forme de violence coercitive qui montre un mépris à l’égard de la violence ouverte que cause toujours la violence coercitive aux personnes qu’elle cible. En fait, les défenseurs des droits des animaux devraient être les derniers à revendiquer des droits moraux supérieurs lorsqu’ils défoncent la porte chez des personnes qu’ils ne connaissent pas. Tôt ou tard, il y aura de la violence ouverte.

Ce petit amendement est une atteinte à 10 000 exploitations agricoles et une victoire grandiose pour ceux qui voudraient les brûler. Pour ces raisons, je voterai contre cet amendement. Merci.

(Sur la motion du sénateur Tannas, au nom de la sénatrice Patterson, le débat est ajourné.)

La Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

Projet de loi modificatif—Quinzième rapport du Comité des affaires étrangères et du commerce international—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Boehm, appuyée par l’honorable sénatrice Moodie, tendant à l’adoption du quinzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international (projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre), avec un amendement et des observations), présenté au Sénat le 7 novembre 2024.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, j’aimerais, moi aussi, appuyer la version amendée du projet de loi C-282 et vous demander de voter pour le rapport du comité sur ce projet de loi. J’espère que la minuterie sera ajustée pour que je dispose du temps qui devrait m’être accordé.

À titre de membre du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, j’ai participé activement aux réunions concernant le projet de loi C-282. Je me consacre aux questions de politique commerciale depuis plus de 30 ans et je n’ai jamais vu une idée aussi idiote en matière de politique commerciale que le projet de loi dans sa forme originale.

Mon discours portera principalement sur une lettre qui nous a été envoyée la semaine dernière par les dirigeants des secteurs canadiens soumis à la gestion de l’offre. Je salue les associations qui représentent les producteurs laitiers, les producteurs de poulet, les producteurs d’œufs, les producteurs de dinde et les producteurs d’œufs d’incubation pour leur dévouement inconditionnel envers leurs membres. Je les remercie de nous avoir présenté leur point de vue. Comme ils représentent une partie minuscule de notre économie qui reçoit une protection spéciale depuis plus de 50 ans, je vais les appeler les « cinq secteurs privilégiés » pour me simplifier les choses.

La lettre des cinq secteurs privilégiés visait à démystifier prétendument certaines affirmations faites au cours des réunions du comité. Je vais me pencher sur les principaux arguments soulevés dans la lettre, à commencer par l’idée voulant que la version non amendée du projet de loi ne rende pas la tâche du Canada plus difficile quand vient le temps de renégocier des accords commerciaux ou de négocier de nouveaux accords. Je cite la lettre:

Une négociation commerciale implique un large éventail de sujets, y compris une culture, des produits et services industriels, la propriété intellectuelle, les règles d’investissement et bien d’autres. Avec autant d’éléments à considérer, il est évident qu’on peut trouver un terrain d’entente sans mettre en péril les secteurs soumis à la gestion de l’offre au Canada.

Permettez-moi de traduire cette dernière phrase en langage clair. Ce qu’ils disent, c’est qu’ils ne se soucient pas vraiment des préjudices qui pourraient être causés à d’autres secteurs de l’économie canadienne, tant que cela ne leur nuit pas.

Les cinq secteurs privilégiés poursuivent en disant: « Nos agriculteurs veulent que toute l’industrie agricole canadienne puisse prospérer et ne veulent pas qu’on sacrifie un secteur au détriment des autres. » Ils passent commodément sous silence le fait que 40 autres organismes agricoles s’opposent au projet de loi C-282 et feront valoir le même argument, alors qu’ils représentent une part beaucoup plus importante de l’agriculture canadienne en ce qui concerne les revenus, les emplois, les fermes familiales, bien sûr, ainsi que la contribution à l’économie rurale.

Les cinq secteurs privilégiés affirment également que d’autres pays ont des politiques d’importation restrictives pour les produits agricoles sensibles et que cela justifie la codification de la protection de leurs industries dans la loi qui régit le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Mis à part la question de savoir si la protection extrême des produits agricoles est bonne pour une économie donnée, cet argument ne tient pas compte du fait que le Canada a déjà pour politique de ne pas faire d’autres concessions en matière d’accès aux marchés dans les industries soumises à la gestion de l’offre. Cela a été confirmé par les fonctionnaires qui ont témoigné lors des audiences du comité.

En d’autres termes, nous faisons déjà ce que les cinq secteurs privilégiés nous demandent de faire pour imiter les autres pays.

Ce que les cinq secteurs privilégiés demandent, c’est que le Canada aille au-delà de ce que tous les autres pays ont fait. Toutefois, cela représenterait une surenchère protectionniste qui entraînerait des représailles et qui présenterait un risque important pour la négociation et la renégociation des traités commerciaux. La question qui se pose, chers collègues, est ce que notre ancien représentant à l’OMC, Johnathan Fried, appelle le « choix de l’instrument ».

Pour tout objectif politique, différents instruments peuvent être déployés. En ce qui concerne la protection des cinq secteurs privilégiés, nous avons déjà choisi un instrument très puissant sous la forme d’une directive. Dans le climat politique actuel, il n’y a guère de désaccord sur le choix stratégique actuel de protéger la gestion de l’offre. C’est la raison pour laquelle la Chambre a voté si largement en faveur de ce projet de loi.

Il revient à chaque sénateur de décider comment le Sénat doit réagir. Néanmoins, on ne peut en aucun cas affirmer que le projet de loi, tel qu’il a été amendé, modifie l’objectif stratégique actuel du gouvernement en ce qui concerne les industries soumises à la gestion de l’offre.

Maintenant que j’ai évoqué un ancien négociateur commercial canadien de premier plan, je suis sûr que certains d’entre vous s’interrogent sur Steve Verheul, le négociateur légendaire de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique. Le sénateur Cardozo a prononcé le nom de M. Verheul à deux reprises dans son discours de la semaine dernière, notamment dans sa réponse au sénateur Boehm sur les raisons qui justifient ce projet de loi.

Eh bien, M. Verheul, qui mérite tous les éloges qu’il a reçus pour les services qu’il a rendus au Canada, est non seulement légendaire, mais aussi énigmatique. Depuis ses observations sur le projet de loi C-282 en février 2024, il n’a fait aucune déclaration publique à ce sujet. Je voulais désespérément l’entendre, et notre comité l’a bien sûr invité à témoigner, mais il a décliné notre invitation.

(2150)

Je ne sais pas quels facteurs personnels ou professionnels l’ont empêché de comparaître devant le comité, mais au moins une demi‑douzaine d’anciens négociateurs et d’experts en politiques commerciales l’ont fait, et chacun d’entre eux s’est prononcé contre le projet de loi.

La bonne nouvelle est que M. Verheul n’est pas devenu un ermite. Dans une entrevue qu’il a accordée au National Post il y a quelques mois, il a déclaré que les États-Unis continuent de penser qu’ils n’ont pas obtenu l’accès au marché canadien des produits laitiers qui leur avait été promis dans l’Accord Canada—États-Unis—Mexique. Voici ce qu’il a dit :

Ma plus grande inquiétude à ce stade-ci est que la représentante au Commerce des États-Unis, Katherine Tai, a dit que cette question devra probablement être abordée lors de l’examen prochain de l’accord. Et je pense qu’évoquer la possibilité que des décisions liées à des différends commerciaux soient annulées dans le cadre d’un processus de négociation n’envoie pas un très bon message [...] Cela mine la confiance non seulement envers le processus de règlement des différends, mais aussi envers l’accord dans son ensemble.

Permettez-moi de décortiquer ce commentaire pour vous. La représentante américaine au Commerce, Katherine Tai, qui est sur le point de se retirer et qui sera remplacée par quelqu’un d’encore plus protectionniste, menace de répondre à ce que les États-Unis considèrent comme un traitement injuste dans le secteur laitier en éliminant le mécanisme de règlement des différends que le Canada s’est battu si fort pour protéger pendant les négociations de l’ACEUM. 

C’est pourquoi l’adoption de la ligne dure pour protéger les cinq secteurs privilégiés, comme le projet de loi C-282, pourrait entraîner non seulement des mesures punitives supplémentaires contre quelques autres industries canadiennes, mais aussi contre l’ensemble de l’économie, en supprimant un processus d’arbitrage impartial pour les différends commerciaux.

M. Verheul n’a pas évoqué la possibilité que les Américains se retirent complètement de l’ACEUM, mais, compte tenu des commentaires du président élu Trump au fil des ans, nous ne devrions pas l’écarter. Les cinq secteurs privilégiés diront que ce résultat est hautement improbable et que, de toute façon, le projet de loi C-282 ne sera pas la principale raison d’un tel résultat. Cependant, la question que je pose à tous mes honorables collègues est la suivante: voulons-nous courir ce risque en adoptant un projet de loi qui est totalement inutile?

Certains pourraient nous dire que le mécontentement de longue date des États-Unis au sujet de nos pratiques dans le secteur laitier est précisément la raison pour laquelle il nous faut adopter ce projet de loi. Autrement dit, nous devons marquer très clairement la limite que nous ne sommes pas disposés à franchir. Nous devons claquer la porte et la verrouiller à double tour en modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Or, de l’aveu des partisans du projet de loi, si nous le voulions vraiment, nous n’aurions qu’à modifier de nouveau la loi. Il s’agirait simplement que le Parlement le décide.

C’est ce que nous a dit le sénateur Cardozo dans son discours la semaine dernière. C’est dorénavant écrit dans le hansard, et le monde entier peut le voir. Si la pression devient trop forte, nous pourrons annuler l’effet du projet de loi C-282. Selon vous, comment les négociateurs commerciaux des États-Unis interpréteront-ils cela?

Permettez-moi de poser une question à ceux qui ont des enfants. Si vous dites à vos enfants que, lors des repas en famille, les appareils électroniques ne sont pas permis à table, mais que cette règle peut être levée si quelqu’un s’y oppose fortement, qu’arrivera-t-il, selon vous? Évidemment, les États-Unis vont nous dire: « Vous avez admis pouvoir changer la loi si c’est vraiment nécessaire, alors maintenant, changez-la, sinon, vous allez voir. » Dois-je vous rappeler la menace du président élu, Donald Trump, qui a fait l’effet d’une bombe hier?

Je ne veux pas présumer de ce qui se passera dans cette situation, mais voulons-nous vraiment avoir un débat sur la souveraineté nationale à propos d’un projet de loi sur les industries soumises à la gestion de l’offre? Si nous finissons par abroger le projet de loi C-282 face à la pression américaine, comment pensez-vous que cela affectera le pouvoir de négociation de nos négociateurs commerciaux en général, sans parler de la fierté nationale?

C’est pourquoi, au début de mon discours, j’ai dit que je trouvais ce stupide. Il ne l’est pas seulement du point de vue de la stratégie de négociation commerciale et de l’intérêt économique général du Canada, il l’est aussi du point de vue des industries soumises à la gestion de l’offre. Comme l’ont dit certains témoins, notamment l’ancien ministre John Manley :

Le projet de loi C-282 plaque une cible dans le dos de ces cinq secteurs privilégiés. Imaginons que celui qui vise et qui s’apprête à tirer sur cette cible, c’est notre plus important partenaire commercial.

Avec tout le respect que je dois aux partisans de la gestion de l’offre, ce projet de loi est une énorme erreur stratégique qui va à l’encontre des intérêts mêmes du secteur. Il se contente d’une solution législative grossière, sans tenir compte des conséquences prévisibles et vraisemblablement dévastatrices de cette mesure. Plutôt que de s’appuyer sur les résultats avérés d’une stratégie de négociation commerciale canadienne qui a protégé la gestion de l’offre contre les importations massives, l’industrie et ses partisans tentent d’imposer un résultat dans toutes les négociations futures qui se retournera contre eux.

De plus, la position intransigeante des cinq secteurs privilégiés aliène d’autres secteurs agricoles et industries non agricoles qui dépendent du commerce. Ce projet de loi est si mauvais que je m’y opposerais même s’il émanait du gouvernement. Le fait que le représentant du gouvernement au Sénat s’est tardivement prononcé fermement en faveur du projet de loi ne l’améliore nullement.

L’amendement qui a été adopté par le comité rend le projet de loi plus acceptable, mais il demeure foncièrement mauvais. J’espère que vous vous joindrez à moi pour appuyer le rapport. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi canadienne sur les droits de la personne

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

La sénatrice Ataullahjan propose que le projet de loi S-257, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection contre la discrimination fondée sur la croyance politique), soit lu pour la deuxième fois.

(Sur la motion de la sénatrice Ataullahjan, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi contre la rétribution du silence

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McPhedran, appuyée par l’honorable sénatrice McCallum, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-261, Loi concernant les accords de non-divulgation.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est à son 15e jour et je ne suis pas prête à intervenir. Par conséquent, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 4-15(3) du Règlement, je propose l’ajournement du débat pour le temps de parole qu’il me reste.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est ajourné.)

[Traduction]

Projet de loi sur la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Salma Ataullahjan propose que le projet de loi S-263, Loi concernant la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes, soit lu pour la deuxième fois.

(Sur la motion de la sénatrice Ataullahjan, le débat est ajourné.)

(2200)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

À l’appel des autres affaires, projets de loi d’intérêt public des Communes, deuxième lecture, article no 3 :

Deuxième lecture du projet de loi C-295, Loi modifiant le Code criminel (négligence d’adultes vulnérables).

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est au 15e jour. Par conséquent, avec le consentement du Sénat, je demande que l’étude de cet article soit reportée à la prochaine séance.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est reporté à la prochaine séance du Sénat.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, appuyée par l’honorable sénateur Boehm, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-332, Loi modifiant le Code criminel (contrôle coercitif d’un partenaire intime).

L’honorable Paulette Senior : Honorables sénateurs, je prends la parole sur le territoire non cédé de la grande nation algonquine anishinaabe afin de vous faire part de mes réflexions sur le projet de loi C-332. Je suis heureuse de l’occasion qui m’est offerte de parler de la violence fondée sur le sexe sous toutes ses formes. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit plus particulièrement du contrôle coercitif, une des formes de violence fondée sur le sexe les moins connues et les plus insidieuses. Pour ceux qui observent de l’extérieur, elle est parfois totalement invisible.

Je tiens à féliciter la sénatrice Miville-Dechêne d’avoir marrainé et fait avancer ce projet de loi.

Chers collègues, le projet de loi C-332, qui est soutenu par la recherche et une expérience limitée à certains endroits, part d’une bonne intention et pourrait améliorer les choses dans certaines situations et dans certaines communautés, mais pas toutes. Je ne dis pas cela parce que je m’oppose au projet de loi, mais plutôt pour montrer qu’une solution axée sur la justice pénale, même si elle apporte des changements appréciables, ne suffira pas et pourrait bien ne pas être la panacée que nous recherchons tous.

La violence fondée sur le sexe est et a toujours été un fléau répandu et pernicieux qui déchire des vies, des familles et des communautés. En fait, il s’agit d’une épidémie, sinon d’une pandémie, qui perdure depuis trop longtemps malgré le régime actuel de justice pénale.

Personnellement, je ne peux pas vous dire depuis combien d’années je répète ce refrain : tous les six jours, au Canada, une femme est tuée par son partenaire intime. Franchement, j’en ai assez de répéter ce refrain, mais nous ne pouvons pas rester silencieux alors que cette pandémie fait rage.

Comme on l’a laissé entendre, il est tout à fait possible qu’un ajout au régime législatif actuel soit la mesure nécessaire, mais je ne suis pas tout à fait convaincue que ce projet de loi sera la solution que nous cherchons. Je dis cela en me fondant sur mes décennies d’expérience en tant que leader dans le secteur de la violence fondée sur le genre, en tant que personne qui a offert des programmes et des services de première ligne à l’échelle locale pour lutter contre la violence fondée sur le genre et en tant que femme noire qui a connu la violence fondée sur le genre, y compris le contrôle coercitif.

Bien que mon expérience personnelle remonte à une quarantaine d’années, quand j’étais une jeune mère mariée dans la vingtaine, j’ai appris très rapidement et amèrement que le système de justice pénale n’était pas la meilleure option pour mon fils et moi. En fait, après avoir été ignorée et consciencieusement rejetée par la police, j’ai eu la chance d’avoir à mes côtés ma famille, mes amis et ma communauté, qui m’ont protégée alors que j’étais exposée à d’autres préjudices et dangers.

Si je vous parle de mon vécu, ce n’est pas pour m’attirer votre sympathie, mais afin de vous montrer que, pour 44 % des femmes canadiennes de 15 ans et plus, la violence fondée sur le sexe n’est pas inhabituelle. C’est un problème qui perdure et où les agresseurs demeurent souvent impunis malgré le renforcement de la législation au fil des années. Les dispositions légales ont certainement été améliorées, mais le projet de loi C-332 constituera un outil juridique additionnel pour sauver des vies.

Chers collègues, je m’inquiète de voir que les systèmes discriminatoires, misogynes, racistes et hostiles aux Autochtones qui font perdurer la violence fondée sur le sexe depuis longtemps n’ont pas beaucoup changé. Je crains qu’ils continuent de sauver uniquement certaines vies aux dépens des autres, en particulier les vies de celles qui sont le portrait de la victime idéale. Les Noires, les Autochtones, les personnes de diverses identités de genre, les femmes handicapées et d’autres encore continueront d’être exposées à un risque élevé d’être victime d’un crime si l’on ne s’attaque pas aux causes des agressions qui ne cessent de se produire et qui prennent la forme de violence fondée sur le sexe et de féminicides.

Il y a une quarantaine d’années, je n’étais pas une victime idéale à protéger. Aujourd’hui, les statistiques concernant la violence fondée sur le sexe et les taux d’incarcération nous montrent que beaucoup sont encore dans cette situation. Dans le cadre juridique actuel, ajouter un instrument de plus à l’arsenal de dispositions juridiques ne servira pas à grand-chose. Si l’on ne consacre pas les sommes nécessaires aux ressources communautaires essentielles pour intervenir et résoudre les problèmes à la racine, les iniquités continueront d’exister comme c’est le cas depuis des dizaines d’années.

Je suis certaine qu’il n’y a pas un seul sénateur dans cette enceinte qui ne souhaite pas sauver les vies de toutes les femmes et de tous les enfants, et prévenir partout la violence faite aux femmes. C’est possible cependant, y compris avec le projet de loi C-332. Je soulève certaines préoccupations pour souligner l’application injuste des lois existantes qu’ont endurées historiquement les femmes noires, autochtones, racialisées, handicapées, 2ELGBTQI+ et d’autres groupes vulnérables. Elles, de même que nous tous, ont droit à un traitement égal devant la loi, mais elles méritent aussi que l’on reconnaisse que les seuls outils de la justice pénale ne constituent pas un remède efficace au mal social implacable et persistant qu’est la violence faite aux femmes, y compris la violence entre partenaires intimes coercitive et contrôlante.

Il reste encore beaucoup de choses à dire sur le sujet qui, j’espère, seront explorées en comité. C’est là que nous entrerons dans le vif du sujet, selon moi. Je me contenterai de dire que mes préoccupations demeurent inchangées, malgré les amendements réfléchis visant à apporter des précisions qui ont été apportés jusqu’à présent.

Tout à l’heure, vous avez entendu la sénatrice Petten mentionner l’appel à l’aide — merci de la publicité. Il s’agit d’un moyen simple et non numérique lancé par la Fondation canadienne des femmes qui a retenu l’attention du monde entier et a été utilisé des milliers de fois partout dans le monde pour signaler qu’on avait besoin d’aide. Je suis fière de cette initiative, de cet outil innovateur qui a été créé sous ma gouverne, à la fondation, au début de la pandémie, alors que nous recevions de plus en plus d’appels à l’aide pressants de la part de refuges et de services de soutien aux femmes.

Chers collègues, je suis consciente que nous sommes au deuxième jour des 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe et que nous sommes à quelques jours du 35e anniversaire du 6 décembre, la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes au Canada.

(2210)

J’ai dit tout à l’heure que j’étais fatiguée. Je suis fatiguée de répéter sans cesse les mêmes statistiques. À un moment donné, cependant, nous devons tous nous rendre compte que la question de la violence fondée sur le sexe est profondément systémique — et dans certains cas, de la pire façon. Les systèmes pernicieux du sexisme, de la misogynie, du racisme, de l’inégalité entre les sexes, de la pauvreté, etc. se recoupent et fonctionnent ensemble pour enfermer et retenir les femmes les plus vulnérables dans des cercles vicieux dont il est impossible de sortir, ce qui a pour conséquence de priver de nombreuses femmes des choix et des options qu’elles auraient pu avoir si elles avaient eu accès à des moyens significatifs tels que des logements sûrs et abordables, des revenus suffisants et des ressources communautaires adéquatement financées.

Comme je l’ai dit, mes dernières observations ne visent pas à m’opposer au projet de loi C-332, mais à susciter des conversations plus réfléchies, plus globales et plus holistiques sur la question de savoir si une énième mesure législative — qui renforce encore les obstacles systémiques sans s’attaquer aux obstacles et aux inégalités historiques profonds déjà connus, et sans investir dans des initiatives locales — est ce dont nous avons besoin aujourd’hui.

Merci de votre attention.

[Français]

L’honorable Michèle Audette : [Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime en innu-aimun.]

Merci beaucoup au peuple anishinabe. Enfin, chère amie, madame la sénatrice Julie Miville-Dechêne, c’est un message pour vous, mais surtout, je prends la parole dans cette Chambre pour parler d’un projet de loi qui est important pour certains, qui fait peur à d’autres, et qui fait tout cela en même temps pour moi. Ma collègue la sénatrice Senior l’a fort bien expliqué.

Je viens d’un monde où nous vivons en communauté isolée. C’est seulement l’avion qui nous y amène ou qui nous en sort. En hiver, c’est le skidoo, ou sinon, les routes de glace ou le train. Quand une petite initiative pourrait permettre de sauver une femme ou un homme, je dois bien réfléchir afin de m’assurer que cette initiative va bel et bien soutenir un individu ou une famille.

Pour moi, ce projet de loi est bien plus qu’un projet de loi; c’est une question de justice, une question de protéger des enfants, une famille ou une communauté. Chaque jour, on se rend compte que cette forme de violence est souvent dans l’ombre. Elle est souvent cachée ou invisible, même pour moi. C’est grâce à vous que j’ai appris à connaître ce mot. Avant cela, je normalisais cela ou j’appelais cela une forme de harcèlement.

Je viens d’un monde qui utilise une approche holistique, où il faut considérer tous les aspects, toutes les parties prenantes, et le contexte dans lequel on se retrouve, à savoir notre culture et notre façon de faire. Cependant, dans mon monde à moi, chez les Innus, on a fini par accepter ce comportement répétitif, cette forme de manipulation, ce harcèlement, ce contrôle, cette humiliation. On se dit : « Cela fait partie de la vie... », ou « Pourquoi est-ce que je dénoncerais? C’est fait comme cela. » Merci aux sénateurs et sénatrices qui l’ont bien expliqué dans leurs messages jusqu’à maintenant.

Parfois, cette violence sera physique, mais on n’entend pas beaucoup parler de cela. On parle plutôt d’une forme de contrôle coercitif, mais elle entre dans une famille. Quand je dis « physique », cela a un effet sur sa propre estime de soi, sur sa façon de vouloir se lever le matin et de se dire : « Est-ce que je mérite de vivre? Est-ce que je mérite tout ce qui m’arrive, ou est-ce normal? » Vous allez comprendre pourquoi je dis toujours « normal ».

Plusieurs d’entre vous ont parlé de leurs expériences personnelles lorsque vous étiez jeunes. C’est la même chose chez nous quand on voit la personne qu’on aime le plus — ma mère, dans mon cas — se faire contrôler par une personne de l’extérieur qui veut changer sa façon d’être et sa manière d’agir avec ses propres enfants et son environnement, au point où elle finit par dire : « C’est comme cela, la vie, ma fille. » Pourtant, je savais, au plus profond de moi-même, qu’elle avait peur. Elle se retrouvait dans le cycle de cette forme de violence, mais elle savait que ce n’était pas normal.

La communauté l’a vu. Les gens l’ont vu. Collectivement, on a normalisé cela. Pourtant, on savait qu’elle méritait mieux et aujourd’hui, on continue de croire qu’elle mérite mieux. On l’a observé, et je l’ai déjà dit, on s’est même senti impuissant à un certain moment. J’étais jeune. Je ne savais pas que j’avais droit de dénoncer, et si je l’avais fait, quelle aurait été la réponse? On n’avait même pas de vrais policiers dans la communauté. C’était des surnuméraires, des gens qu’on tapait sur l’épaule — car le conseil de bande a cette autorité — et à qui l’on disait : « Toi, tu deviens surnuméraire. » Pourtant, ils n’avaient pas de formation pour intervenir en matière de violence conjugale, de violence familiale, et encore bien moins cette violence qu’on appelle « contrôle coercitif ». Ce mot n’existait pas dans mon monde.

Lorsque j’ai regardé le projet de loi C-332, je me suis dit que nous avions une possibilité. Ce monde est imparfait. On voudrait changer le Code criminel non pas par petits bouts, mais par une grande révision, afin qu’il soit plus adapté à ce que nous sommes comme femmes, comme hommes et comme personnes en 2025. Hélas, c’est ce que nous avons comme société et comme démocratie : de petites perles à la fois.

Les mots sont importants pour moi; il faut mettre un mot sur cette violence invisible, qui va protéger ma mère, ces femmes, ces filles et ces petites filles, qui va briser une forme de cycle de violence que j’ai appelée plus tôt silencieuse. Nous avons entendu un homme se lever, un frère, un collègue, un sénateur, qui veut dénoncer avec nous plusieurs formes de violence que les femmes et les filles subissent partout au Canada.

Quand on va chez les Innus, on voit ce féminisme où les hommes font partie du problème, mais aussi de la solution. Nous les avons portés, nous les avons mis au monde. Nous voulons que ces hommes soient nos guerriers, nos protecteurs, qu’ils prennent soin de nous et qu’ils reprennent la place qu’ils ont perdue à cause du colonialisme. Rappelez-vous cette grande Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et l’appel à la justice no 5.3, où l’on demandait à tous les gouvernements, y compris au gouvernement fédéral, de réexaminer la question et de faire une grande réforme des lois qui touchent la violence sexuelle et la violence d’un partenaire intime, tout en tenant compte des perspectives féministes et des réalités des femmes et des filles autochtones.

Je pense que je vais pleurer, mais je suis capable d’être forte. Il y a un an, j’ai dû vous quitter, parce que j’ai reçu un appel qu’aucune mère ne voudrait recevoir. Mon fils était à l’autre bout du fil après avoir reçu un coup de couteau, en pensant qu’il était amoureux de la bonne personne. On l’avait vu changer, on l’avait vu diminuer, on l’avait vu s’écraser, on l’avait vu s’éteindre. On se disait que ce n’était pas normal. « Prends ta place, tu as le droit. Il y a des organismes pour toi, il y a des choses pour toi, tu as le droit de vivre. » Non, il n’écoutait pas. Il était pris dans cette façon de faire. Encore là, je ne connaissais pas le terme « contrôle coercitif », mais des amis ici — des avocats, des expertes, des féministes et des gens qui ont vécu la même chose — m’ont dit : « Voici ce que tu peux faire comme mère »; ce fut la même chose dans ma famille. J’ai tenu mon fils à l’autre bout de la ligne téléphonique et je lui ai dit : « Tu vas survivre, tu en es capable. »

Aujourd’hui, il se tient. Il est droit, il est fort. Il est en processus de guérison, mais cela nous a énormément bouleversés. En même temps, aujourd’hui, avec sa petite fille, on se dit toujours : « On va apprendre ces mots, on va changer les lois ensemble, on va les modifier, on va les brasser, on va les dénoncer. On va s’assurer que ce n’est pas juste pour toi, Uapen, mais pour tous ces hommes et toutes ces femmes qui n’ont pas eu la capacité, le courage ou la force de se rendre jusqu’ici. » Parce que du courage, c’est difficile d’en avoir quand on est pris dans cette violence.

(2220)

Je vous dis tout cela du fond de mon cœur de maman passionnée — je pense que vous l’avez vu —, mais aussi convaincue de chaque petite perle qu’on peut faire pour sauver une vie ou plusieurs vies, de changer les mentalités, mais aussi qu’on pourrait donner la capacité aux policiers et policières de dire : « Oui, je peux agir. En ce moment, je n’ai pas de cadre qui me permet d’agir, de pouvoir soutenir les victimes et dire que nous avions remarqué qu’il y avait réellement un contrôle coercitif dans la famille, parce que ce n’est pas la première plainte qui est faite. » J’ai souvent entendu les policiers dire, pendant une grosse enquête : « Je n’ai pas de cadre juridique, donc je ne peux rien faire. » Même si vous essayez de les former comme un mouvement féministe, comme policiers, ils ne peuvent pas agir parce qu’ils n’ont pas de cadre juridique.

D’accord, les policiers chez les Autochtones, ce n’est pas toujours possible, et le système judiciaire n’est certainement pas facile non plus. Les preuves sont là; la surpopulation, l’incarcération, c’est incroyable : nous sommes les champions des statistiques.

Encore une fois, pour moi, c’est tolérance zéro; je dis non à la violence, à toutes les formes de violence. Je vais me battre, je vais combattre ou je vais mobiliser les gens pour faire en sorte que, lorsqu’on étudiera ce projet de loi, on fasse en sorte de tenir compte des angles morts, des endroits où l’on s’est fait dire de faire attention, car si on va vers cela, cela aura peut-être un impact dans une grande communauté de femmes, de femmes autochtones et ainsi de suite.

En même temps, il faut s’assurer qu’on le fait pour les bonnes raisons et qu’on va parler de sensibilisation, de formation et d’éducation; on ne peut pas le prendre juste comme cela, car ce projet de loi fait partie d’une approche holistique.

Comme mère et grand-mère, je veux faire partie de ce changement. J’espère donc qu’on va étudier le projet de loi en comité. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Finances nationales

Motion tendant à autoriser le comité à étudier une feuille de route pour une politique économique et sociale post-pandémie en vue d’aborder les coûts humains, sociaux et financiers occasionnés par la marginalisation et l’inégalité économiques—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénatrice Duncan,

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, une feuille de route pour une politique économique et sociale post-pandémie en vue d’aborder les coûts humains, sociaux et financiers occasionnés par la marginalisation et l’inégalité économiques, dès que le comité sera formé, le cas échéant;

Que, vu les appels à l’action des autorités compétentes autochtones, provinciales, territoriales et municipales, le comité examine en particulier des approches potentielles nationales pour une collaboration intergouvernementale afin de mettre en œuvre un revenu de base de subsistance garanti;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 31 décembre 2022.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est au 15e jour. Avec le consentement du Sénat, je propose l’ajournement du débat pour le temps de parole qu’il me reste.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est‑il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est ajourné.)

[Français]

L’avenir de CBC/Radio-Canada

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Cardozo, attirant l’attention du Sénat sur l’avenir de CBC/Radio-Canada.

L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, je suis heureuse de pouvoir participer à mon tour à l’excellent débat lancé par notre collègue le sénateur Cardozo sur l’avenir de CBC/Radio-Canada.

Les précédentes contributions ont été très riches. Elles ont déjà abordé avec pertinence un grand nombre de sujets. Pour ma part, je souhaite aborder la question du réseau international de notre diffuseur public et, compte tenu des mutations du monde, le positionnement global qu’il devrait occuper.

En premier lieu, à l’inverse de certaines voix que l’on peut entendre, je ne pense pas qu’il faille réduire le financement de cette institution centrale pour notre pays. Au contraire, je pense que son budget devrait être réévalué en tenant compte de ses mandats au pays et dans le monde.

Comme l’a rappelé le sénateur Forest, le Japon dépense 68 $ par année par habitant pour son diffuseur public, la France, 79 $ et l’Allemagne, 149 $. Pour le Canada, ce montant s’établit à 33 $ par personne. On peut difficilement nous accuser d’être trop dépensiers dans ce domaine.

Vous l’aurez compris, je ne crois pas que la suppression de CBC/Radio-Canada soit une perspective envisageable. Mettre fin à l’existence de notre diffuseur public tel que nous le connaissons constituerait une faute politique majeure et la perte d’un des liens les plus essentiels à la connaissance continue des évènements du pays continental que nous sommes.

De plus, cette position créerait un déséquilibre entre les services offerts dans les deux langues officielles du pays. Dans ce cas, comme pour toutes les institutions canadiennes majeures, ce bris serait insupportable, comme il l’est quand la langue française est ignorée par ces institutions.

Par ailleurs, je suis aussi d’avis que le mandat de CBC/Radio-Canada oblige notre société d’État à donner à nos cultures un levier devenu indispensable à l’ère des GAFA et des réseaux sociaux. Voilà ce qui est attendu de notre diffuseur public.

Cette attente est-elle comblée par les programmations actuelles et les aires de diffusion au pays et dans le monde? La question mérite d’être posée. Vous ne serez pas surpris, chers collègues, que j’insiste sur la dimension internationale du mandat de notre diffuseur public.

(2230)

C’est à la fois ce qu’il nous dit sur le monde et ce qu’il dit au monde sur ce que nous sommes. Nos intérêts nationaux sont en cause. Je crois qu’il doit y avoir un regard canadien sur les événements du monde. Je crois aussi que le monde a le droit de connaître nos positions en matière de paix et de sécurité, de développement des institutions internationales et de leurs politiques. Plus spécifiquement, on doit connaître la nature de nos politiques environnementales, sociales et culturelles. Or, ces dernières années, CBC/Radio-Canada a fermé un nombre considérable de ses bureaux dans le monde : Moscou et Pékin ont tous deux fermé en 2022 en raison de décisions des autorités locales, tout comme Mexico, Dakar, Nairobi et Rio de Janeiro, auxquels il faut ajouter la diminution considérable des ressources à Londres et à Paris. Quelqu’un, quelque part, doit porter un regard responsable sur ce repli considérable, ce quasi-abandon de la dimension internationale de son mandat par la société d’État. En clair, le réseau international de notre radiodiffuseur public est devenu presque inexistant dans le monde, et absolument inexistant sur le continent africain.

Pire encore, certains continents sont totalement privés de correspondants permanents, à l’image du continent africain. Ainsi, un continent qui compte de plus de 1,3 milliard d’habitants n’est plus couvert par notre radiodiffuseur public qui, en français, se contente de reprendre les dépêches de l’Agence France-Presse (AFP) et sa vision tronquée et néocoloniale de l’actualité du continent. Résultat : il n’y a plus sur nos écrans que l’Afrique des guerres, des famines et de la pauvreté. Il s’agit ici de plus qu’une erreur; il s’agit d’une désinformation systématique et intolérable. Qui, dans cette distinguée Chambre, a entendu dire que le Kenya avait réussi à produire 90 % de son électricité nationale à partir de sources renouvelables en 2024? Que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) prévoit de mobiliser un milliard de dollars pour établir des carrefours technologiques à travers l’Afrique et soutenir 10 000 jeunes entreprises innovantes? Ou encore que, dans un environnement économique mondial contrarié, le FMI annonce un taux de croissance de 3,8 % en Afrique subsaharienne pour 2024? Si l’absence de correspondants locaux nous empêche d’avoir une compréhension pleine et entière de la réalité du continent, elle est aussi un obstacle à une projection efficace de la vision canadienne en Afrique.

[Traduction]

Chers collègues, la présence de CBC/Radio-Canada sur le continent africain aurait de nombreux avantages. Elle servirait indéniablement à promouvoir des valeurs communes sur le plan de la gouvernance démocratique ainsi que des droits et des libertés, y compris l’égalité des genres, et contribuerait à la promotion des nos liens économiques et commerciaux, ainsi qu’à la diffusion de nos productions scientifiques et culturelles.

[Français]

Enfin, une présence de CBC/Radio-Canada en Afrique apporterait une dimension canadienne aux débats idéologiques qui, comme vous le savez, dominent aujourd’hui toutes les perspectives relatives à l’avenir du continent. La Chine a considérablement renforcé sa présence médiatique sur le continent. Sa chaîne CGTN Africa — China Global Television Network Africa — est diffusée dorénavant dans plus d’une trentaine de pays. Plus encore, la Chine forme maintenant des journalistes africains sur son sol et dispose aussi d’un siège au Kenya et des bureaux aux quatre coins de l’Afrique, notamment au Nigeria, en Égypte et en Afrique du Sud. La Russie n’est pas en reste. Ses réseaux Sputnik Africa et Russia Today connaissent un succès gigantesque grandissant, en particulier dans l’espace francophone.

[Traduction]

CBC/Radio-Canada doit apprendre comment parler au reste du monde et diffuser des valeurs qui sont chères à notre pays, des valeurs qui nous définissent et que nous souhaitons partager avec nos partenaires de l’Afrique et d’ailleurs dans le monde.

En ce moment, soyons clairs. Sur le plan médiatique, nous avons abandonné cette formidable responsabilité.

[Français]

CBC/Radio-Canada doit se projeter à nouveau en Afrique, autant pour restituer une image fidèle du continent au pays que pour diffuser et promouvoir les valeurs du Canada et sa vision du monde auprès des auditeurs africains. L’avenir de CBC/Radio-Canada passe aussi par une présence accrue sur les plateformes en ligne. En effet, c’est là que les nouvelles générations s’informent aujourd’hui et que les débats d’opinions ont lieu. Cet état de fait est également africain. Selon les Nations unies, et je cite :

La population des jeunes Africains devrait atteindre plus de 830 millions de personnes d’ici à 2050, et leur participation est essentielle pour façonner un avenir durable et inclusif.

L’âge médian du continent n’est que de 19,7 ans, ce qui en fait le plus jeune du monde.

Selon l’Union internationale des télécommunications, le taux d’utilisation d’Internet en Afrique a plus que doublé en 10 ans, atteignant maintenant près de 40 % de la population africaine. Voilà une autre bonne nouvelle que vous n’avez évidemment probablement pas eu la chance d’entendre dans nos médias.

Chers collègues, je voudrais réaffirmer la nécessité pour notre pays de bénéficier d’un diffuseur public qui remplit intégralement ses mandats, y compris en ce qui concerne notre rapport au monde. Cette question mérite un examen très attentif.

Je vous remercie de votre attention.

(Sur la motion de la sénatrice White, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La hausse alarmante des infections transmissibles sexuellement et par le sang

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Cormier, attirant l’attention du Sénat sur la hausse alarmante des infections transmissibles sexuellement et par le sang au Canada, incluant le VIH/SIDA.

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, je vous retiens loin de vos lits. Je vous prie de m’en excuser. Toutefois, je suis honorée aujourd’hui de contribuer à cette interpellation sur la question cruciale de santé publique que constituent les infections transmissibles sexuellement et par le sang, qu’on appelle aussi ITSS, au Canada.

Pour commencer, je tiens à remercier le sénateur Cormier pour le leadership dont il a fait preuve dans ce dossier. Dans son discours d’ouverture, le sénateur Cormier nous a parlé de la situation critique où l’on se trouve en matière de prévention, de diagnostic et de traitement des infections transmissibles sexuellement et par le sang, surtout du VIH.

Dans le peu de temps qui m’est imparti, je souhaite me concentrer plus particulièrement sur les répercussions des infections transmissibles sexuellement et par le sang sur les enfants, car, même si cela peut surprendre, ces infections peuvent avoir des répercussions qui changent la vie des enfants et des jeunes — ce que j’ai moi-même pu constater en tant que pédiatre et spécialiste des nouveau-nés.

(2240)

Je tiens d’abord à réfuter la fausse idée voulant que les infections transmissibles sexuellement et par le sang ne touchent que les personnes actives sexuellement. En fait, la transmission de la mère à l’enfant peut se produire dans l’utérus, avant la naissance de l’enfant, et elle a des conséquences dévastatrices. Par exemple, la mort du fœtus, ou mortinaissance, survient dans environ 30 à 40 % des grossesses lorsque la mère est atteinte d’une syphilis non traitée. Les enfants qui survivent peuvent souffrir de troubles neurologiques, d’anomalies osseuses et de surdité. Même les bébés qui n’ont pas d’infection congénitale transmissible sexuellement et par le sang à la naissance, mais qui sont exposés à un risque d’infection, doivent subir des tests exhaustifs qui comportent des risques et peuvent être très invasifs.

Nous devons nous en préoccuper, car, entre 2018 et 2022, le taux de syphilis congénitale a augmenté de 599 % — vous m’avez bien entendue — selon le Relevé des maladies transmissibles au Canada de 2022. Il est donc urgent que les autorités de santé publique s’assurent que la prévention, le dépistage et les traitements sont largement accessibles.

On reconnaît dans une certaine mesure qu’il est nécessaire de s’attaquer à ce problème. Dans son discours, le sénateur Cormier a parlé du cadre d’action pancanadien sur les ITSS et du plan d’action sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang, qui ont fixé des objectifs cruciaux pour le Canada, notamment aucune nouvelle infection par le VIH, aucun décès lié au sida et une réduction de 90 % de l’incidence de la syphilis et de la gonorrhée d’ici 2030.

Évidemment, les statistiques présentées tout à l’heure nous montrent que, malgré les politiques et les plans d’action, la situation se dégrade. C’est entre autres parce que nous n’arrivons pas à fournir aux adolescentes et aux jeunes mères les soins dont elles auraient besoin. Les lignes directrices sur le dépistage et les recommandations relatives aux traitements ne suffisent pas pour que soient offerts, au Canada, des soins prénataux et des traitements contre les infections transmissibles sexuellement et par le sang en quantité suffisante.

Parmi les 3 700 bébés nés avec la syphilis en 2022, la mère n’avait reçu aucun soin prénatal dans 40 % des cas.

La dégradation de la situation peut également s’expliquer par l’accent mis sur la prévention du VIH dans la publicité visant à promouvoir les pratiques sexuelles sans risque au Canada, alors que des maladies comme la syphilis, la chlamydia et la gonorrhée sont largement négligées. Je dirais que ce déséquilibre a engendré une perception dans le public qui cause un certain abandon des pratiques sexuelles sans risque et de l’usage du préservatif, en particulier depuis la fin de la pandémie. Les efforts de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang ont diminué.

Le dépistage aurait certainement été utile pour inverser cette tendance, et l’inaction coûte cher.

Selon une étude réalisée en 2021 au Manitoba, le coût direct à court terme du traitement d’un seul cas sans complication de syphilis congénitale atteint presque 20 000 $. En 2021, les 81 cas qui se sont produits ont entraîné une dépense totale de 1,5 million de dollars. Voilà ce qu’a coûté cette maladie au système de santé du Manitoba en seulement un an. Par comparaison, un dépistage prénatal systématique parmi les 16 800 grossesses qui se produisent chaque année au Manitoba coûterait moins de 140 000 $. La différence de prix entre la prévention et le traitement est considérable.

Il est clair qu’accroître le dépistage préventif est avantageux pour réduire les coûts. Le Canada n’a pas réussi à éradiquer ou atténuer la propagation des infections transmissibles sexuellement et par le sang, ce qui nous place devant une question importante: comment pouvons-nous nous assurer que les femmes, les enfants et les adolescents de partout au Canada puissent avoir accès aux services de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang et aux traitements dont ils ont besoin?

Le Plan d’action 2024-2030 du gouvernement du Canada sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang résume les stratégies essentielles, comme faciliter l’accès aux tests et améliorer la surveillance des données. Cependant, nous gagnerions à essayer de nous inspirer des pays comparables au nôtre. À dire vrai, le Canada n’est pas le seul à souffrir de lacunes dans les services de santé-sexualité.

La pandémie de COVID-19 a fait reculer de nombreux pays, qui indiquent avoir connu une baisse des tests de prévention et des services de traitement des infections transmissibles sexuellement. Ces infections sont donc en hausse dans le monde. Les pays qui se montraient auparavant efficaces dans la surveillance des infections transmissibles sexuellement, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, affichent, eux aussi, une hausse des infections transmissibles sexuellement et par le sang. Par exemple, une souche hautement résistante de gonorrhée est de plus en plus signalée dans des pays comme l’Australie, le Danemark, la France, l’Irlande et le Royaume-Uni.

Nous voyons donc que le Canada n’est pas le seul à rencontrer les mêmes difficultés et que nous pouvons tirer des leçons des réussites et des échecs de ces pays. L’Allemagne a obtenu de bons résultats avec la campagne LIEBESLEBEN, un titre qui signifie « vie amoureuse ». Depuis près de 40 ans, cette campagne allie la publicité dans les médias de masse et les communications personnelles afin de cibler des groupes précis et de les sensibiliser aux risques et aux répercussions des infections transmissibles sexuellement et par le sang. La communication créative, par exemple avec des bandes dessinées dans les espaces publics et des messages dans les médias sociaux, fait partie intégrante de cette campagne. Cibler intentionnellement des groupes de la société canadienne parmi lesquels les infections transmissibles sexuellement et par le sang sont en hausse pourrait nous aider à combler les lacunes dans l’éducation et la sensibilisation de ces groupes.

La conversation que nous avons au Canada sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang doit évoluer. Nous devons donner la priorité aux ITSS dans notre système d’éducation, de la même manière que nous accordons de l’attention à la nutrition, à l’exercice physique et à une bonne santé mentale. En tant que pays, nous avons besoin de programmes de dépistage plus solides. Nous devons améliorer l’accès aux soins prénatals, en particulier pour les mères défavorisées et dans les régions rurales et éloignées.

J’aimerais m’inspirer d’un exemple britannique. Dans A Framework for Sexual Health Improvement in England, on parle notamment de la technologie pour soutenir l’autogestion de la santé. Par exemple, l’outil en ligne My Contraception Tool aide les gens à choisir la méthode de contraception qui leur convient le mieux, et la ressource en ligne myHIV aide les gens à gérer certains aspects de leur VIH.

Afin de réussir à réduire les taux d’ITSS au Canada, les services de santé sexuelle devraient être adaptés aux besoins des jeunes et s’attaquer aux défis uniques auxquels les jeunes sont confrontés lorsqu’ils cherchent à obtenir des soins. Je crois que pour diminuer les ITSS au Canada, nous devons appuyer des stratégies novatrices en matière d’éducation sexuelle, de lutte contre la stigmatisation et de dépistage préventif.

Nous avons été témoins de l’importance des infrastructures sanitaires et de la nécessité d’investir dans les soins de santé et l’éducation.

Honorables collègues, les efforts continus déployés à l’échelle nationale pour s’attaquer au problème des ITSS au Canada me semblent utiles. Il reste encore beaucoup à faire pour que tous les Canadiens aient facilement accès aux programmes de dépistage et aux traitements dont ils ont besoin.

Je suis consciente que certains groupes sont particulièrement vulnérables : les peuples autochtones, les communautés marginalisées et les personnes qui font face à des barrières sociales, comme l’itinérance, la toxicomanie et l’incarcération. À cet égard, je tiens à souligner la nécessité de rapidement mettre en œuvre des politiques concrètes et des programmes pour soutenir les personnes qui ont de la difficulté à accéder aux soins.

Il est temps d’agir. Ne nous contentons pas d’être sur la bonne voie; montrons la voie dans la lutte contre les ITSS, en tirant des leçons des expériences mondiales et en assurant un meilleur avenir à tous les Canadiens. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

(2250)

L’honorable Jane Cordy

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice White, attirant l’attention du Sénat sur la carrière de l’honorable Jane Cordy.

L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, il se trouve que la sénatrice Moodie n’est pas la seule qui retarde le moment où vous irez au lit. J’ai un bref discours à prononcer moi aussi.

Je tiens à prendre un instant pour remercier mon ami, le sénateur Woo, d’avoir cité abondamment mon discours sur le projet de loi C-282, même si tous les propos n’étaient pas exacts. Je n’ai jamais recommandé qu’on annule ce projet de loi.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à une parlementaire importante, la sénatrice Jane Cordy, et souligner son départ à la retraite. Lorsque je suis arrivé au Sénat il y a deux ans, j’ai eu la chance inestimable de bénéficier de ses précieux conseils et de son soutien. C’est elle qui m’a recruté pour que je me joigne au Groupe progressiste du Sénat. Elle n’a pas adopté d’approche agressive ni essayé de négocier un accord. Elle m’a présenté le groupe et elle-même sous leur vrai jour : directs, progressistes, coopératifs et fervents défenseurs de notre pays. J’ai toujours apprécié son style chaleureux et accueillant, sa vaste expérience parlementaire, son dévouement et son amour pour la Nouvelle-Écosse et la côte Est, ainsi que ses connaissances approfondies sur un large éventail de dossiers.

La sénatrice Cordy a été loyale et fiable, et nous sommes nombreux à avoir toujours pu nous tourner vers elle quand nous avions besoin d’aide ou de conseils.

Elle a été la première leader du Groupe progressiste du Sénat. Elle a dirigé notre groupe avec grâce, compétence et générosité pendant cinq ans. Comme elle est actuellement la personne qui siège depuis le plus longtemps au Sénat, elle a vu beaucoup de choses. Elle a été nommée par la gouverneure générale Adrienne Clarkson sur la recommandation du premier ministre Jean Chrétien, au beau milieu des débats entourant la Loi sur la clarté, un événement qui est aujourd’hui enseigné dans les cours d’histoire. Le premier discours prononcé par la sénatrice Cordy a été une réponse au discours du Trône du 31 janvier 2001. Ce discours portait sur la localité de Glace Bay — « la première ville du Commonwealth britannique à avoir été incorporée sous le règne d’Édouard VII », comme elle l’a dit — ainsi que sur des amendements à la Loi canadienne sur la santé qui est, comme elle l’a dit à juste titre « plus qu’une simple mesure législative », mais quelque chose qui « définit ce que sont les Canadiens et ce qui leur tient à cœur ».

La sénatrice Cordy a travaillé sur toutes les réformes qui ont rendu le Sénat plus efficace et plus indépendant. Son expérience nous manquera cruellement, à nous, les sénateurs du Groupe progressiste du Sénat, mais aussi aux sénateurs de tous les groupes, j’en suis convaincu. La sénatrice Cordy a servi le pays avec fiabilité et distinction pendant 8 929 jours et, après 24 ans de service dévoué, je lui souhaite bien des choses alors qu’elle entame le prochain chapitre de sa carrière. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice White, le débat est ajourné.)

La nécessité d’un développement et d’une utilisation sûrs et productifs de l’intelligence artificielle

Interpellation—Ajournement du débat

L’honorable Rosemary Moodie, ayant donné préavis le 13 juin 2024 :

Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur la nécessité d’un développement et d’une utilisation sûrs et productifs de l’intelligence artificielle au Canada.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole pour lancer cette interpellation sur le développement et l’utilisation sûrs et productifs de l’intelligence artificielle au Canada.

L’intelligence artificielle est l’ensemble des technologies qui permettent aux machines d’effectuer des tâches généralement associées à l’intelligence humaine, comme l’apprentissage, la perception et la création. L’intelligence artificielle a le potentiel de changer notre société et notre économie à bien des égards en libérant la productivité et l’innovation, suscitant de l’enthousiasme et évoquant un avenir prometteur pour beaucoup.

Nous craignons toutefois de plus en plus de perdre le contrôle de cet outil très puissant, de laisser des gens de côté et même de nuire à certains en raison de l’évolution incontrôlable de cette technologie émergente.

Chers collègues, c’est la raison pour laquelle j’ai proposé cette interpellation. L’intelligence artificielle a déjà une incidence majeure et omniprésente sur tous les aspects de notre vie. Nous ne pouvons pas nous laisser abattre par l’inaction. Nous ne pouvons pas laisser cette technologie progresser en restant sur la touche et en espérant le meilleur.

En tant que sénateurs, législateurs et leaders, nous avons le devoir et les moyens d’examiner, de comprendre et d’influencer le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle, en particulier pour veiller à ce qu’elle soit sûre et productive.

Nous devons réfléchir aux leçons du passé. Nous savons maintenant à quel point les effets des médias sociaux sont dangereux. Malgré tous les avantages qui en découlent, les médias sociaux ont une influence extraordinaire et, dans certains cas, une incidence négative sur notre culture, notre démocratie, notre santé physique et mentale, notre économie et plus encore.

Que ce serait-il passé si des efforts avaient été déployés il y a 20 ans pour comprendre la manière dont cette technologie pourrait évoluer et quelles mesures de protection et mises en garde s’imposaient? Que feraient les gouvernements et les Parlements s’ils avaient l’occasion de recommencer? Bien que nous ne puissions retourner en arrière, nous pouvons nous concentrer sur l’avenir. Nous convenons tous que l’intelligence artificielle est une technologie révolutionnaire comparable à l’électricité, aux antibiotiques ou à Internet. Elle changera complètement notre mode de vie.

Tandis que nous travaillons à exploiter le potentiel de l’intelligence artificielle au profit de l’économie et de la société, nous devons comprendre où se trouvent les occasions de protéger les Canadiens des préjudices de l’intelligence artificielle.

Cette interpellation est une étape importante de notre dialogue pour comprendre collectivement l’incidence que nous souhaitons avoir en tant que parlementaires. J’exhorte le maximum de sénateurs à y participer.

L’intelligence artificielle a des effets sur la santé, la culture, les droits de la personne, les parlements, les démocraties, les soins de santé, les arts, l’éducation, la recherche scientifique, la croissance économique, la défense et la sécurité nationales, les relations internationales et bien d’autres secteurs. J’espère que vous aurez beaucoup de choses à dire, chers collègues, à propos des effets de l’intelligence artificielle sur ces secteurs et d’autres domaines, ainsi que sur les avantages et les risques que présente cette technologie qui marque un tournant dans l’histoire.

Pour le reste du temps dont je dispose, je me concentrerai sur la gestion de l’intelligence artificielle. Les progrès rapides de cette technologie s’accompagnent de défis de taille en ce qui a trait à l’éthique, à la responsabilité et aux effets perturbateurs sur la société. La gestion de l’intelligence artificielle est devenue un domaine d’intérêt essentiel. Son objectif ultime consiste à atténuer les risques de l’intelligence artificielle tout en maximisant ses avantages.

Tout le monde est responsable de la gestion de cette technologie : les gouvernements, les organismes de réglementation, l’industrie et les développeurs. On constate que des mécanismes de gestion font actuellement leur apparition. Par exemple, les technologies de l’intelligence artificielle peuvent être soumises aux lois et aux règlements existants. Il y a déjà des lois qui portent sur la discrimination, la protection des données et la vie privée. De plus, l’intelligence artificielle est déjà soumise à une réglementation à laquelle elle doit se conformer. Par ailleurs, l’industrie cherchera à régir elle-même l’intelligence artificielle afin de gérer et d’atténuer les risques, pour que ses produits garantissent la protection de ses intérêts commerciaux et le bon fonctionnement de ses services de base.

Beaucoup ont cherché à examiner la question de l’intelligence artificielle à travers la lunette éthique. Par exemple, l’UNESCO voudrait que l’on adopte une approche de l’intelligence artificielle reposant sur les 10 principes liés au respect des droits de la personne, comme la transparence, l’explicabilité, la surveillance humaine ainsi que la gouvernance et la collaboration multipartites et adaptatives. De grandes sociétés technologiques, comme Microsoft, Lenovo et Salesforce, ont adopté le cadre éthique sur l’intelligence artificielle recommandé par l’UNESCO. Pourtant, la transparence et la reddition de comptes doivent être au cœur de tout mécanisme efficace de gestion de l’intelligence artificielle.

(2300)

S’agissant des technologies d’intelligence artificielle, il est important de poser les questions suivantes : d’où viennent les données servant à alimenter les systèmes d’intelligence artificielle? Quels contrôles sont effectués pour garantir l’exactitude, la qualité et la confidentialité? Qui participe au développement et à la création des systèmes d’intelligence artificielle? Des représentants de divers groupes de la société participent-ils aux prises de décision? Les organisations intègrent-elles l’analyse critique? Il est essentiel de prévoir les mécanismes nécessaires pour garantir la transparence et la reddition de comptes dans le développement et la mise en service des systèmes d’intelligence artificielle.

Il est aujourd’hui de plus en plus évident pour nous tous que le recours à l’intelligence artificielle pose des problèmes énormes. Comment allons-nous gérer une technologie d’une aussi grande complexité, qui est omniprésente et dont le développement se fait très rapidement à l’heure actuelle? Nous pouvons dire sans l’ombre d’un doute que nous n’avons certainement pas le choix de ne rien faire, mais il est clair que la gestion de l’intelligence artificielle sera aussi complexe que la technologie elle-même.

Que fait le Canada? Le gouvernement du Canada a pris quelques mesures pour réglementer l’intelligence artificielle dans le cadre des activités de l’État fédéral et dans la société canadienne en général. Il a créé le Guide sur l’utilisation de l’intelligence artificielle générative, qui est une ressource primordiale pour les organismes du secteur public fédéral. Ce guide décrit les principes et les pratiques clés qui devraient être suivis lorsqu’on met en service un système d’intelligence artificielle générative. Il souligne l’importance des considérations éthiques et de la reddition de comptes. Il met l’accent sur les principes d’équité, de sécurité et de pertinence.

Parmi les mesures prises par le gouvernement relativement à la gestion de l’intelligence artificielle, mentionnons la présentation du projet de loi C-27. Officiellement intitulé Loi de 2022 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique, il constitue une mesure législative appréciable pour aborder la nature complexe des technologies numériques et émergentes ainsi que les défis qu’elles posent au Canada. Dans le but d’améliorer la protection de la vie privée des Canadiens tout en encourageant l’innovation dans l’économie numérique, le projet de loi C-27 propose des mesures de renforcement de la responsabilité et des lignes directrices pour atténuer les risques. Il cible des préoccupations précises sur l’intelligence artificielle générative et cherche à protéger les droits et les valeurs individuels tout en mettant l’accent sur l’importance d’encourager l’innovation. Il représente un important pas en avant pour notre cadre de gouvernance.

Le gouvernement a également présenté le Code de conduite volontaire visant un développement et une gestion responsables des systèmes d’IA générative avancés, qui vise à orienter les entreprises qui créent des technologies d’intelligence artificielle générative et met l’accent sur l’importance, là encore, des principes éthiques et de l’innovation responsable. Les signataires du code de conduite s’engagent à viser la responsabilisation, la sécurité, la justice et l’équité, la transparence, la surveillance humaine et la validité et la fiabilité des systèmes. Plusieurs entités d’importance sont déjà signataires du code de conduite, notamment TELUS, Lenovo, le Conseil canadien des innovateurs et IBM.

Tout juste ce mois-ci, le gouvernement canadien a inauguré l’Institut canadien de la sécurité de l’intelligence artificielle, un nouveau centre de recherche dont l’objectif est d’améliorer notre compréhension des risques associés à l’intelligence artificielle et d’implanter des mesures pour s’y attaquer. Dans le cadre de ses travaux, l’institut collaborera avec d’autres instituts de sécurité partout dans le monde.

À l’échelle planétaire, la gouvernance de l’intelligence artificielle est également une nouvelle priorité. Les organisations internationales sont de plus en plus impliquées dans l’examen des considérations éthiques dont nous avons parlé. L’Organisation de coopération et de développement économiques a un outil de surveillance des incidents liés à l’intelligence artificielle, et je vous encourage tous à le consulter. Il rapporte tous les événements où un système d’intelligence artificielle a produit un résultat négatif, que ce soit en raison de préjugés, d’erreurs ou d’un décalage avec les valeurs humaines. De tels outils sont précieux, parce que suivre les incidents permet aux organisations d’apprendre de leur expérience et de peaufiner en conséquence leurs politiques et leurs pratiques en matière d’intelligence artificielle.

Plus tôt cette année, le Forum économique mondial a publié un rapport sur la gouvernance de l’intelligence artificielle générative, où il présente les meilleures pratiques de gestion pour cette technologie. En fait, cette organisation a fait beaucoup de travail sur la gouvernance de l’intelligence artificielle et a créé des outils pour aider les personnes intéressées à tenir compte des répercussions complexes de cette technologie sur les divers secteurs de la société.

En septembre, l’Organe consultatif de haut niveau sur l’intelligence artificielle des Nations unies a publié son rapport final intitulé Gouverner l’IA au bénéfice de l’humanité. Ce rapport est un appel à l’action en faveur d’une approche équilibrée pour exploiter le potentiel de l’intelligence artificielle tout en relevant les défis qu’elle pose. Rédigé par une équipe diversifiée — des représentants gouvernementaux, des chefs de file du secteur technologique et des sommités des droits de la personne, qui ensemble ont consulté plus de 2 000 experts partout sur la planète —, il insiste sur la nécessité d’établir un cadre mondial pour garantir le développement responsable et éthique des technologies.

Enfin, divers gouvernements travaillent à réglementer l’intelligence artificielle. L’Union européenne en est un exemple important, puisqu’elle a récemment adopté une loi sur l’intelligence artificielle. À l’heure actuelle, il s’agit probablement du développement juridique le plus important au monde en matière de réglementation de l’intelligence artificielle. La loi établit un cadre complet pour l’intelligence artificielle et prévoit la création d’un bureau de l’intelligence artificielle de l’Union européenne, qui supervisera la mise en œuvre et l’application de cette loi, en plus d’avoir le pouvoir d’imposer des sanctions importantes lorsque la réglementation ne sera pas respectée.

Chers collègues, pour conclure, la gouvernance de l’intelligence artificielle est une tâche colossale, mais essentielle. Aujourd’hui, je vous ai donné un aperçu très général de certains des efforts en cours, mais j’aimerais conclure en vous faisant part de mes plus grandes préoccupations.

Premièrement, le développement de l’intelligence artificielle exclut des gens de manière significative. L’accès à cette technologie et à ses avantages est jusqu’à présent réservé aux pays très riches de l’hémisphère Nord. Cela me préoccupe parce que cela signifie que l’intelligence artificielle aura presque certainement des conséquences imprévues qui toucheront ceux qui souffrent déjà de marginalisation et de racisme systémiques. Cela signifie également que ces personnes ne bénéficieront pas de manière équitable des avantages en matière d’efficacité et d’innovation qui découleront de l’intelligence artificielle.

Deuxièmement, je suis préoccupée par le manque de transparence dans l’industrie. Dans un article publié en 2022 dans la MIT Sloan Management Review, où plus de 1 000 cadres chargés du développement et du déploiement de l’intelligence artificielle dans le monde ont été interrogés, on apprend que seuls 25 % d’entre eux estiment avoir mis en place des processus de gouvernance parfaitement au point. Cela illustre une réalité troublante, à savoir que l’industrie privée — les principaux générateurs et utilisateurs de ces outils — a beaucoup de choses à améliorer et un long chemin à faire. Nous devons être en mesure d’examiner ces processus d’une manière qui respecte et préserve les intérêts commerciaux de l’industrie tout en veillant à ce qu’elle soit mise au défi de garantir que son travail est accompli de manière responsable.

Enfin, je suis préoccupée par la mise en œuvre des politiques en matière d’intelligence artificielle au Canada et dans le monde entier. Nous avons besoin de politiques conformes, cohérentes et assorties de sanctions appropriées en cas d’inobservation. Sans cela, nous risquons d’étouffer l’industrie ou de la laisser se développer librement à notre propre détriment.

(2310)

Chers collègues, il est presque l’heure d’aller se coucher. Je vous remercie de votre attention. Le développement sûr et productif de l’intelligence artificielle est l’un des enjeux les plus importants de notre époque. J’espère que vous serez aussi nombreux que possible à prendre la parole dans le cadre de cette interpellation, et j’attends avec impatience la suite du débat.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

(À 23 h 10, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Haut de page